Cette quatrième semaine a été semée de galères à bord : les safrans ont décroché plusieurs fois, Stéphane a dû négocier un gros départ à l’abattée dans lequel son support de pilote s’est arraché ; les concurrents en ont profité pour reléguer Stéphane à l’arrière du peloton. Le cap de Bonne-Espérance ne s’est jamais fait tant attendre, l’entrée dans l’Océan Indien marque toutefois la remontée du 60 pieds “Compagnie du Lit / Ville de Boulogne-Billancourt” sur la flotte !
Cet océan n’a pas épargné l’avant de la course et les abandons ont été nombreux ces dernières heures, cette semaine a été éprouvante pour de nombreux skippers et les quarantième rugissants portent bien leur nom… Stéphane navigue en bon marin et garde le moral, sa voix claire et posée témoigne de son envie d’en découdre, il a d’ailleurs retrouvé sa place de leader dans le “groupe des 5” et pointe désormais à la 10ème place.
Il partage avec vous son carnet de bord, déjà un mois de course rythmé entre compétition et aventure !
IMPRESSIONS DE STEPHANE : L’ETE INDIEN
“L’océan indien… D’emblée ce nom fait rêver, il évoque un certain exotisme, l’aventure et réveille l’histoire des grands navigateurs partis en quête de précieuses épices. Les récits de mer dans ces parages ne manquent pas, décrivant des mers chaotiques et des vents hargneux.
Sorti de mes rêveries, cette fois l’océan Indien j’y suis pour de bon. Mais alors, comment est-il en vrai ?? Fidèle à sa réputation, j’ai été accueilli par une première dépression, puis une seconde puis une troisième. A chaque fois l’anémomètre est monté à 40 noeuds de vent (force 8 à 9). En fait cet océan, dans sa partie australe, est une autoroute à dépressions, elles se succèdent sans discontinuer.
L’enchaînement classique est le suivant : vent fort de nord-ouest en avant du front, violentes rafales dans le front et traine active de sud-ouest. Ensuite, une brève période d’accalmie (12h à 24h) permet de panser les plaies et de se reposer avant la suivante.
Conséquence de ces variations de direction de vent : la mer est particulièrement mauvaise et désagréable. Ce matin par exemple, j’avançais au portant à 17 noeuds mais les vagues m’arrivaient avant : le bateau se faisait fracasser m’obligeant à ralentir pour préserver le matériel.
Autre conséquence de ces variations, les manoeuvres incessantes pour adapter la voilure du bateau. Par exemple aujourd’hui je suis passé de grand-voile 3 ris à grand-voile haute, de trinquette à grand gennaker avec tous les intermédiaires. Je vais revenir avec des biceps du tonnerre ! Chaque manoeuvre commence par l’habillage : salopette, bottes, guêtres, veste étanche, bonnet, harnais. Quand on est au milieu de la nuit, que le vent hurle dehors et que les vêtements sont humides, rien que l’habillage est une partie de plaisir. Surtout que le bateau bouge dans tous les sens, il faut réussir à se caler. Puis j’ouvre la porte de la descente et là j’ai le sentiment d’être un gladiateur qui entre dans l’arène. Dans ces moments il faut s’oublier et penser à la manoeuvre, au bateau pas le moment de se poser la question « mais au fait pourquoi suis-je ici ? ».
La bonne nouvelle dans ce tableau un peu sombre, c’est que ces conditions permettent d’aller vite, très vite même ! Et puis il y a ces fameux albatros : ils me fascinent. Comment font-ils pour vivre dans des contrées aussi hostiles ? Comment se reposent-ils ? Ces questions, ils s’en fichent : ils planent inlassablement. Tel Icare on a envie de se coller des ailes (ici il fait froid la cire ne devrait pas fondre) et d’aller jouer avec eux.
Dans deux jours je serai en France, aux îles Crozet. Franchement il y a un business à faire ici : ouvrir une grande base de location de bateaux pour aller découvrir les îles. Mais si ca marcherait, c’est certain. Jugez un peu, dans la journée le thermomètre monte jusqu’à 10 degrés (passons sur la nuit), il arrive que l’on voit le soleil, il ne pleut pas tout le temps et au moins ici on fait de la voile, le vent ne manque jamais. Pourtant ici c’est l’été, un drôle d’été indien…
Je finirai par une pensée pour mes copains qui ont endommagé leur bateau nécessitant parfois l’abandon. Cette course est dure et injuste. Thomas, Romain et Eric qui ouvrent pour rester en course, Sébastien, Kojiro et surtout Kito : je pense bien à vous.“