Les voiles en images

Alinghi
DR

Quel est ton parcours dans la Coupe ?
« J’ai commencé en 1985 pour l’édition 87 de la Coupe en tant que voilier pour Marc Pajot. J’ai ensuite participé à la Coupe 95 en tant que dessinateur avec Laurent Delage (aujourd’hui chez Victory Challenge, ndlr). J’ai rejoint Luna Rossa sur la dernière Coupe pour mettre au point le système de Sail Vision, et maintenant je m’occupe de l’analyse. »

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Quelle formation faut-il pour ce métier ?
« Je suis assez autodidacte. A l’origine, je suis dessinateur de voiles. J’utilise mes compétences de sail designer pour les mettre au service de l’analyse. Je le fais donc avec tout le parti pris dû à ma formation. Il est bien évident qu’un ingénieur aérodynamicien de formation aura un autre parti pris et tirera d’autres conclusions. »

Quel est ton travail au sein de Luna Rossa ?
« C’est l’analyse des voiles en navigation. Je fais fonctionner le système de Sail Vision. Ça sert à connaître la réalité de la forme des voiles et à comprendre comment le bateau fonctionne avec ces voiles-là. C’est un vrai retour d’informations. Une fois que les dessinateurs ont imaginé la voile, que les voiliers l’ont réalisé, et qu’enfin elle est sur le bateau, là on sait quelle est la réalité de la voile. La forme 3D de la voile conçue par le dessinateur est assez loin de la forme de la voile qui va naviguer. Pour des raisons d’élongation de matériau, de déformation du mât, de chargement aérodynamique, entre autres. »

Comment fonctionne le Sail Vision ?
« Il y a tout un réseau de caméras qui filment les voiles en navigation et qui permettent d’enregistrer les formes. On fait de la reconnaissance de forme sur ses images-là et on extrait les formes de voile en navigation à partir du traitement d’images. Les deux gros processus informatiques sont : 1) le traitement de l’image pour pouvoir extraire les grosses bandes de visu noires et blanches que l’on aperçoit dans les voiles. Et 2) d’arriver à reconstruire les moules en 3 dimensions à partir de ces images en 2 dimensions. »

Combien y a-t-il de caméras ?
« On en utilise quatre. Il y a un couple de caméras en tête de mât pour la grand-voile, et un autre en haut de l’étai pour les génois. Comme ces deux caméras sont moulées dans le mât, elles sont difficilement perceptibles à l’œil nu. »

Ce système existe-t-il depuis longtemps ?
« Le premier que j’ai vu fonctionner mais pas développé, était à bord de Kookaburra en 1987. A ma connaissance, le premier système a été développé en 1988 pour la Coupe 92. Le problème de l’époque était d’une part le poids du matériel et d’autre part le fait que les ordinateurs n’étaient pas encore assez rapides pour faire du temps réel. Aujourd’hui, pas mal d’équipes ont ce système. »

Qu’est-ce que cela apporte à l’équipe ?
« C’est un capteur comme un autre. On fait aussi l’acquisition de l’angle du trimmer, du safran, de la gîte du bateau, la vitesse du vent apparent, l’angle du vent apparent, etc. Le but de tout ça est de réunir toutes ces informations dans une base de données et de les mettre en relation avec la performance du bateau. Ainsi, on constate qu’on est performant quand on a tel angle de gîte et telle forme de voile, ou tel angle de vent apparent, par exemple. Après on essaie d’extraire des critères de performance qui seront utilisés ultérieurement. »

Ce système est utilisé à l’entraînement et pendant les régates ?
« Oui, tout le temps. C’est une acquisition de données. On pense que les données de régate sont les plus valables. »

On voit sur certains Class America des caméras en tête de mât, et d’autres depuis le pont. Quelle est la différence ?
« Quand on prend du haut vers le bas, on voit le bateau. Donc on a l’axe du bateau et le bas des voiles, mais on a des problèmes pour avoir le haut des voiles. D’un pur point de vue géométrique, il est plus logique de regarder les voiles d’en haut car elles sont plus étroites en haut qu’en bas, quoique cela commence à changer. Pour intégrer le réglage et le choix des voiles, notre choix s’est tourné vers des caméras en haut, même si d’une certaine façon, cela alourdit le mât. Inversement, les caméras placées au pont voient mieux le haut des voiles mais sont perturbées par la lumière, le soleil, les nuages… »

Les régleurs ont-ils un retour d’informations en direct ?
« On ne leur donne pas toutes les informations en temps réel. On essaye de leur donner des informations utilisables en temps réel. On ne cherche plus à donner la forme totale de la voile aux régleurs. On leur donne simplement quelques éléments de réglage, des valeurs assez simples comme le creux, le twist, la position du creux. Des critères assez simples et facilement mémorisables. »

As-tu été surpris par certains résultats de régleurs ?
« Honnêtement, je suis étonné par la qualité de l’intuition des régleurs. Je mesure des voiles tous les jours et je suis vraiment admiratif de la régularité et de la reproductibilité des réglages. Lorsqu’on fait l’acquisition des flying shapes (les formes en navigation) et qu’on les met dans le programme aéro, eh bien quand on veut modifier ce que les régleurs ont fait, c’est assez difficile de faire mieux. Je pensais que l’intuition était empirique et un peu magique. Qu’ils avaient des bons jours et des mauvais. En réalité, avec les moyens qu’a le régleur – la voile du moment, le vent et la mer – il est toujours au maximum du potentiel. C’est assez surprenant. »

Quelles sont vos limites ?
« Les limites de jauge déjà. A Valencia et à Malmö, on a vu que tout le monde a tenté d’explorer les limites de cette jauge et on est revenu à des solutions un peu en deçà des possibilités données par la jauge. Cela semble plus raisonnable. Il va sûrement y avoir de nouvelles améliorations, des choses surprenantes qui vont arriver. Dès lors qu’on met en place de nouvelles règles, ça donne libre cours à l’imagination… »

DBo. (Source ACM)