Ils n’en parlent pas encore beaucoup, mais il devient de plus en plus clairement l’objet de leurs pensées. A moins d’une semaine de mer pour les premiers, le Cap Horn commence à se profiler dans les têtes. D’abord, parce que l’île Horn marque une frontière psychologique d’importance : une fois dépassée l’extrémité de la Terre de Feu, les solitaires en mettant du nord dans leur cap se débarrassent de leur manteau d’angoisses contenues. Mais aussi, parce que véritable frontière météorologique, cette transition autorise les hypothèses les plus optimistes : pour les premiers, ce peut être l’occasion d’enfoncer un peu plus le clou de leur domination quand, pour leurs poursuivants, se profile l’espoir d’une zone tampon qui permettrait de recoller et qui sait, de reprendre la main…
Carpe diem
Pour l’heure, il s’agit avant tout de profiter de l’instant présent, d’engranger goulûment les milles, de retrouver les plaisirs de la glisse. C’est surtout l’occasion de vérifier que de l’autre côté du monde, il existe aussi des heures paisibles et des instants de grâce. De ces journées-là, ils ne témoigneront que peu, si ce n’est entre eux ou avec quelques intimes, capables de les comprendre au-delà des mots. Les bonheurs simples sont souvent plus difficiles à raconter que certaines épopées fantastiques. La carène qui glisse en douceur, qui accélère en dévalant la houle, la vague qui se forme des deux côtés de l’étrave et qui prend du volume tout en léchant les flancs du navire, sont autant d’instantanés que l’on garde en mémoire sans pour autant se payer de grands mots…
S’il en est deux qui peuvent goûter ce bonheur sans retenue, ce sont bien Michel Desjoyeaux (Foncia) et Roland Jourdain (Veolia Environnement). Le trou qu’ils ont creusé sur leurs poursuivants commence à leur garantir une certaine sérénité… Et ce, même si Jean Le Cam (VM Matériaux) estimait quant à lui que la punition aurait pu être plus sévère : lui-même possédait en 2004 un matelas confortable de près de 300 milles sur ses deux poursuivants, Vincent Riou et Mike Golding, au passage du Cap Horn. Que l’histoire se répète, en changeant de distribution des rôles, ne serait pas pour lui déplaire.
Plus à l’arrière, Vincent Riou (PRB) et Armel Le Cléac’h (Brit Air) ont retrouvé une vitesse appréciable même si l’écart qui les sépare des premiers se monte à plus de 550 milles. Pour le vainqueur du Vendée Globe 2004, il s’agit avant tout de continuer à naviguer proprement et d’attendre que son heure vienne.
Un peu plus loin, Sam Davies (Roxy) et Marc Guillemot (Safran) continuent de connaître des heures contrastées. La jeune Britannique que rien ne semble pouvoir atteindre, continue son tour du monde initiatique avec un bonheur communicatif et s’installe de plus en plus confortablement au sein du top ten. Marc, quant à lui, continue d’osciller entre déconvenues et bonheurs du jour. Sans être Horace ni Ronsard, le navigateur trinitain ne veut pas perdre une miette de cette formidable aventure humaine. Steve White (Toe in the Water), élu marin du mois en Grande-Bretagne, continue de mener sa course toute en équilibre. Le navigateur tentait de réparer son vit-de-mulet brisé quand son compatriote Brian Thompson (Bahrain Team Pindar) déplorait à nouveau des soucis d’alternateurs. Des bricoles au regard de la déception de ceux qui ont laissé leurs espoirs le long d’un quai de Fremantle, de Port Elizabeth ou des Sables d’Olonne ; on conçoit mieux pour ceux qui restent en mer, qu’il soit parfois difficile de se plaindre.
Les 5 premiers au pointage de 16h00
1- Michel Desjoyeaux (Foncia) à 9233,6 milles de l’arrivée
2- Roland Jourdain (Veolia Environnement) à 58 milles du premier
3- Jean Le Cam (VM Matériaux) à 342,9 milles du premier
4- Vincent Riou (PRB) à 551,9 milles du premier
5- Armel Le Cléac’h (Brit Air) à 559,5 milles du premier
Classement des premiers étrangers
7- Sam Davies (Roxy) à 1638,4 milles du premier
9- Brian Thompson (Bahrain Team Pindar) à 2291,4 milles du premier
11- Dee Caffari (Aviva) à 2380,3 milles du premier