Le dernier concurrent encore en mer vient d’arriver à Funchal après 11 jours de mer. Il fait partie des malchanceux du large qui ont rompu une pièce qui ne casse jamais. Son sourire béat autant qu’épuisé témoigne de son abnégation. Il clôture cette première étape de la transat 6.50 qui, fait unique dans les annales du directeur de course, aura vu chaque marin à bon port.
Cette première étape aura donc été magique. En premier lieu pour nos fainéants de génois qui n’ont juste eu qu’à faire les beaux à la bouée de dégagement, les spis prenant le relais jusqu’à la ligne d’arrivée. Mille cent milles de portant avec des journées à plus de 200 milles pour tous, à rebondir de vague en vague pendant des heures, qui s’allongent en même temps que paupières s’alourdissent. Cela laisse de gros cernes sous les yeux, des brûlures d’écoutes qui filent et de nombreux spis découpés selon les pointillés.
Pour l’anecdote côté cernes, les hallucinations nous ont souvent permis de naviguer en équipage, que ce soit avec les pompiers ou grand-mère à bord. Le manque de lucidité a aussi fait louper le virage pour rentrer à Madère à un des meilleurs protos, qui a coupé par la passe des îles désertes pour limiter la casse. Sortez une carte, ça a dû être chaud !
Dans chaque catégorie la bagarre a été superbe. Les cadors se faisant coller une patate par un sacré marin au féminin en proto et l’envolée du vainqueur en série a été parfaite. A tous les étages du classement, le récit de chacun à l’arrivée fait sentir combien chaque place a été chère, tous refusant de négocier avec leur rêve.
Maintenant à quai, les bouts-dehors se remettent doucement de leurs courbatures pendant que certains marins, que l’on croise en descendant prendre le petit déjeuner, les yeux rouges et sentant la fumée, soignent le mal par le mal. Une étape de course Mini comme les autres. Simplement, cette fois-ci, ce sont plus de 3000 milles qui s’annoncent devant nos étraves et, pour beaucoup dont je fais partie, le plus gros morceau de notre vécu maritime.
Je n’ai jamais été particulièrement fasciné par le mythe de « La Transat », par traverser la mare. Ce qui m’attirait dans le mini c’est plus de toucher du doigt la « course au large » : les milles que l’on avale tout schuss, la bagarre météo et toute son imagerie plus ou moins populaire.
Je dois cependant avouer que maintenant que nous sommes sur une île déjà un peu au milieu de nulle part – avec des waypoints nommés Canaries, Cap Vert, pot au noir, Fernando de Noronha et une bouteille pour Neptune à bord – ces noms prennent une résonance nouvelle. Comme autant de terres inconnues que nous allons chacun découvrir tandis qu’elles jalonneront notre introspection solitaire. Je me surprends à croire que si, sur les trois semaines de cette deuxième étape, la course aura ses droits, l’océan et ses magies prélèveront aussi leur écot.
Et qu’à un moment ou un autre nous nous sentirons tous Amiraux de la Mer Océane.
Matthieu Girolet