Russel, quel est le premier bilan de ces navigations à Lorient avec Franck Cammas ?
L’équipe bouge beaucoup et est très concentrée. Tout ce que l’équipe accomplit ici avec Franck Cammas qui est un expert en multicoque est énorme. Pour moi, aujourd’hui (ndlr mercredi) c’est la première journée sur trimaran avec des vents forts. Et c’est impressionnant de voir de ce côté de la terre comment les bateaux ont évolué."
Avez vous été déconcerté par ces trimarans que pensez vous de leur puissance et de leur réactivité?
Nous savons qu’ils sont puissants mais quand on le vit, c’est autre chose. On en prend vraiment conscience. Ce qui est impressionnant pour moi c’est de réaliser qu’on navigue sur ces bateaux à travers l’océan, parfois seul ou à deux. C’est totalement incroyable. Je ne pense pas que le monde de la voile et même les gens en dehors de ce monde apprécient à sa juste valeur tout ce que cela englobe. Je suis admiratif. "
Le match-racing en multicoque va être très différent de ce que vous pratiquez. Cela complique t’il le jeu?
Oui cela modifie inconstestablement le jeu, mais les principes basiques du duel restent similaires. Mais parce que la manoeuvrabilité et l’accélération du bateau sont éloignées , les techniques deviennent différentes. Comme les bateaux se comportent et se mènent très différemment la régate aura un autre visage. "
Un trimaran de 90 pieds c’est une machine de guerre… cela va corser la difficulté ?
Naviguer et régater sur le 90 pieds sera un vrai challenge. L’équipe s’entraîne sur le 40 pieds à Valence. De naviguer sur le 60 pieds ici change notre approche et nous est très utile. Ce sera encore différent avec le 90 pieds, ce sera un autre niveau de difficulté. Notre équipe essaie de se servir de ses expériences passées pour faciliter et accélérer l’apprentissage en trimaran. On progresse. "
Propos recueillis par Gilbert Dréan
Retour sur l’entraînement avec Groupama
Pour percer les secrets de ces machines puissantes et déroutantes , américains et suisses ont fait appel au savoir faire des skippers français. La méthode et les moyens employés par le Défi Oracle sont impressionnants. Environ 35 personnes ont fait le déplacement à Lorient depuis la base américaine de Valence : des navigants , mais aussi des ingénieurs du design team , des préparateurs physiques et également leur cuisinier australien.
Deux axes de travail président à ce stage intensif : tester le matériel électronique les formes de voile et se familiariser avec les secrets du multicoque. Sur l’eau l’équipage américain et ses stars l’australien James Spithill, John Kostecki médaillé olympique, Russel Coutts répètent leurs gammes dans les courreaux de Groix. Ils ont bénéficié de conditions idéales avec des plages de vent homogènes.
Leur professeur Franck Cammas porte un regard élogieux mais sans complaisance " Ce sont des professionnels de la régate. Ils sont rigoureux, organisés. Mais les problématiques sur un multi sont très différentes de celles qu’ils connaissent. Les critères de réglages de voiles , les priorités de pilotage ne sont pas les mêmes que sur un Class America. On peut être parfois à l’opposé de certains de leurs fondamentaux. C’est pareil pour la tactique où les phases d’avant départ où tout est compliqué avec nos mâts basculants. On acquiert pas en deux semaines des réflexes fins et un vrai feeling avec ces bateaux qui sont complexes et puissants. "
Cette semaine était placée sous le signe du match racing avec l’équipage de Banque Populaire emmené par Pascal Bidégorry , un partenaire qui a joué le jeu à fond. Les deux trimarans se sont livrés un duel sans concession sous le regard d’un autre expert du multi Fred Le Peutrec qui a en prime une expérience olympique en Tornado. De l’extérieur le trinitain analysait la stratégie " Le duel en multicoque est radicalement différent du match racing classique. Il s’agit pour moi de voir avec eux ce qu’on peut faire et ne pas faire lorsque la pression du vent revient de l’arrière ou dans les phases de contrôle. L’intérêt c’est d’éprouver les situations réelles de départ , de contrôle, de relance, de reconstruction de la vitesse avec un trimaran . "
Décontractés mais très professionnels , les régatiers d’Oracle se montrent très réceptifs aux consignes et à ces subtilités. Sur l’eau ils sont enthousiastes et écarquillent les yeux quand ils déboulent à plus de 30 noeuds. Ils trouvent ces machines très "Fun" et sont étonnés d’apprendre que ces trimarans sont aujourd’hui au creux de la vague. Mais si cette bataille de l’America’s Cup est abracadabrante et pas forcément positive pour l’image de la voile , l’effet boomerang pour les multis de 60 pieds et leurs skippers est tout bénéfice. Quant à Franck Cammas , son implication avec Oracle pourrait être plus étendue à l’avenir, a laissé entendre le tacticien John Kostecki.
Gilbert Dréan