Au large des Canaries, la flotte profite depuis deux jours d’alizés consistants, favorables à une progression rapide vers le sud-ouest. Les 60 pieds glissent au largue à vive allure, presque aussi vite que le vent. ” J’ai 25 nœuds de vent et là, je marche à 22 nœuds ” annonçait Samantha Davies (Roxy) à la vacation du jour, juste après avoir avalé une très british tartine beurre-Marmite. Ces jolies moyennes ont pour théâtre une mer formée rendant les conditions de vie sur le pont plutôt humides. Avec quelques surventes rencontrées ça et là aux passages des grains, cette grande session de glisse se révèle aussi jubilatoire que stressante. Car la fausse route n’est jamais très loin et l’erreur de manœuvre non plus, comme le relatait Jean Pierre Dick, dont le gennaker est passé à l’eau hier (270 m² à récupérer à la force des bras), mais aussi Brian Thompson qui a déchiré une de ses voiles d’avant. De l’avis de tous, il va falloir tenir ce rythme élevé et trouver le juste équilibre entre pédale d’accélérateur et préservation du matériel. C’est bien ce dilemme qui chagrinait Jérémie Beyou, joint à la vacation du jour. 11e à 112 milles des leaders, le navigateur de Delta Dore était partagé entre la frustration de voir s’échapper ses adversaires et la volonté de ne pas se laisser embarquer dans des cadences infernales.
Peyron toujours devant, Le Cam nouveau dauphin
Aux avant-postes, en tout cas, on tient la mesure sans faiblir. Loïck Peyron, leader incontesté depuis 36 heures a même réussi à distancer ses camarades. Le skipper de Gitana Eighty dispose désormais de 24 milles d’avance sur son nouveau dauphin Jean le Cam. L’ascension de VM Matériaux en deuxième position est le résultat d’une superbe moyenne ces dernières 24 heures, probable bénéfice d’une trajectoire originale, décalée au vent de ses adversaires. Dans le tableau arrière du bateau rose, respectivement à 7 et 9 milles, Sébastien Josse (BT) et Jean Pierre Dick (Paprec-Virbac 2) complètent le carré d’as. Sur le tableau de classement, il faut aller chercher au minimum 20 milles plus loin pour trouver dans l’ordre Yann Eliès (Generali), Roland Jourdain (Veolia Environnement) puis Armel Le Cléac’h (Brit’Air) et son compagnon de route Vincent Riou (PRB), pendant que l’oriental Marc Guillemot (Safran), passé non loin de Palma (Canaries), s’est retrouvé freiné par le dévent des îles. Mike Golding est le dernier invité de ce top 10. Tout se petit monde s’est étalé d’ouest en est sur une centaine de milles, chacun cherchant le couloir idéal pour attaquer, dans une poignée de jours, le fameux pot au noir.
Les courses poursuites de Michel Desjoyeaux et Bernard Stamm
600 milles plus loin, c’est une tout autre course que joue Michel Desjoyeaux (Foncia), positionné cet après-midi à la latitude du Cap St Vincent, au sud du Portugal. Le vainqueur du Vendée Globe 2000-2001 enchaîne les empannages en bordure d’anticyclone et passe beaucoup de temps à la barre, dans l’espoir de recoller peu à peu un peloton plus véloce que lui. Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat), reparti jeudi matin des Sables d’Olonne, n’a pas encore franchi le cap Finisterre. Pour ces deux coureurs, mais aussi pour le canadien Derek Hatfield qui a repris la mer à 02h00 ce matin, il faudra s’accrocher et trouver des motivations de substitution. Terminons par Jean Baptiste Dejeanty. Ce dernier annoncera demain à la mi-journée s’il repart ou non en course.
Voix du large…
Jean-Pierre Dick (Paprec-Virbac 2) : « J’ai eu une journée très agitée avec pas mal de frayeurs. J’ai laissé filer ma drisse de gennaker qui est passé à l’eau. Du coup, j’ai fait un gros coup de chalut. Cela a été une bagarre de plus d’une heure pour le remonter à bord. On laisse pas mal d’adrénaline dans ce genre de manœuvre. La voile n’a rien, je suis admiratif de sa solidité…. »
Marc Guillemot (Safran) : « Les conditions sont un peu stressante. On a un flux de nord-est de 25 à 32 nœuds. On évite de justesse le départ à l’abattée. Ça ne laisse pas beaucoup de place à la décontraction. Comme j’ai pris un peu de retard, il faut que je maintienne la cadence. Actuellement on a des cumulus, du vent et du soleil…. »
Sébastien Josse (BT) : « Être derrière Le Cam et Peyron ? On ne peut avoir que du respect. J’espère que je n’attendrai pas 16 ans pour être aux avant-postes… Pour les jours à venir, la situation ne me paraît pas si limpide : visiblement, il y a une panne des alizés avec des vents erratiques. Il devrait y avoir du changement dans la situation météo. »
Steve White (Toe in the Water) : « Je fais un petit jeu pour voir combien de calories je peux mettre dans un sandwich afin de me donner des forces pour le grand sud. Je n’ai pas déjeuné pendant les 15 premiers jours aux Sables, car j’étais trop occupé et j’ai perdu pas mal de kilos. Cela fait maintenant environ 800 calories à mon avis, car il y a 600 calories de fromage et à peu près un tiers d’un pot de beurre de cacahuètes, ce qui fait 200 calories. Ce n’est pas évident à manger, je vous assure. Le beurre de cacahuètes vous colle au palais, et la bouche ne s’ouvre plus. Puis je me mets à la table à cartes et j’attends que cela descende. Un peu comme ces serpents, qui avalent des oeufs…. »
Les 5 premiers au pointage de 16h00 1- Loïck Peyron (Gitana Eighty) à 22 290 milles de l’arrivée 2- Jean Le Cam (VM Matériaux) à 27,5 milles du leader 3- Sébastien Josse (BT) à 34,9 milles 4- Jean Pierre Dick (Paprec-Virbac 2) à 36,4 milles 5- Yann Eliès (Generali) à 56,6 milles