En pointe, François Gabart (MACIF) et Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) ne lâchent rien dans le duel qu’ils se livrent depuis 48 heures. Dans ce combat singulier à vue, leur seule arme est la vitesse, une vitesse très gourmande en fraîcheur physique, en énergie et en résistance. Ça tombe bien, les deux hommes en regorgent. Mais pourront-ils résister longtemps à cette guerre des nerfs, alors que la flotte n’a pas encore atteint la mi-parcours ?
Toujours poussés par un vent de nord-ouest soutenu à l’avant d’un front, les monocoques de tête continuent de surfer à grande vitesse. Ce mardi, on flirte encore avec les 450 milles quotidiens. Les mouvements des bateaux sont toujours aussi violents, le niveau sonore toujours aussi élevé, mais les marins commencent à s’habituer à cet univers agressif. Toutefois, dans ce contexte, le moindre pépin technique ou physique devient très compliqué à gérer.
Après avoir sorti la caisse à outils il y a quelques jours, Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat), a cette fois ouvert la trousse à pharmacie pour y extirper du matériel dentaire : une de ses molaires s’est cassée alors qu’il mangeait. Il a dû la limer et la combler avec un pansement, les nerfs à vifs. Une opération douloureuse, apparemment réussie, et qui n’a pas empêché le marin suisse de continuer à cravacher dans la brise…
Plus loin, en 5e position, on imagine un Alex Thomson passablement énervé. Dans la nuit de dimanche à lundi, Hugo Boss a heurté un objet flottant. Bilan des dégâts : une barre de liaison cassée en trois morceaux et un de ses deux hydrogénérateurs hors service. Pour la deuxième fois, le britannique a dû réparer la barre qui maintenait son safran. Privé d’une de ses sources d’énergie, il doit aussi faire attention à sa consommation d’électricité quotidienne.
Nerfs en pelote
500 milles plus à l’ouest, le trio des poursuivants reste impuissant face à l’échappée des leaders. Les milles défilent entre ces deux groupes et c’est un peu la double peine pour Mike Golding (Gamesa), Jean Le Cam (SynerCiel) et Dominique Wavre qui ont subi le passage du front la nuit dernière. Le skipper de Mirabaud a beaucoup souffert dans cet épisode (150 milles perdus). Joint ce matin, Dominique décrivait des conditions cauchemardesques au milieu des éclairs et des averses diluviennes. A l’arrière de ce front, même si le ciel de traîne et la mer d’un bleu profond offrent un tableau éblouissant, la situation n’est pas plus calme. Le trio navigue dans de grosses vagues croisées qui font craindre à Jean Le Cam des départs à l’abattée intempestifs.
Nerfs d’acier
En queue de flotte aussi, il faut avoir des nerfs d’acier. A la porte Crozet, l’Espagnol Javier Sanso (Acciona 100% EcoPowered) accuse désormais plus de 1500 milles de retard sur les premiers. Un écart qui se monte à 3000 milles pour Alessandro di Benedetto, le seul concurrent qui navigue encore en Atlantique Sud. Entre les deux, Arnaud Boissières (AKENA Vérandas), Bertrand de Broc (Votre Nom autour du Monde avec EDM Projets) et Tanguy de Lamotte (Initiatives-cœur) font la course avec l’anticyclone sud-africain. Heureusement pour eux, le vent est au rendez-vous. Dans cette épreuve, tous n’ont pas les mêmes motivations. Ils savent aussi qu’ils vivent une aventure rare, que peu d’hommes au monde ont ou auront l’occasion d’expérimenter.
C El B.
Ils ont dit
François Gabart (MACIF) : « Le bateau glisse à toute vitesse sans forcer et dans de bonnes conditions. C’est super agréable de vivre ça. Je ne dis pas que la course est facile, loin de là. Rien n’est facile. Le Vendée Globe est l’une des courses les plus difficiles au monde. On en bave, on a des problèmes, mais il y a aussi des moments sympas comme lors de ces deux derniers jours. Les conditions qu’on a eues au niveau de la porte Crozet ont été difficiles, le vent a beaucoup tourné. Je ne sais plus combien de changements de voiles j’ai fait en 24 heures mais on a beaucoup manœuvré et j’étais crevé. Si on va à plus de 20 nœuds pendant plusieurs jours, quand on revient à 18, 19 nœuds, on n’a pas l’impression d’aller très vite. »
Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) : « Avec François (Gabart), on se voit à l’AIS depuis quasiment 24 heures. La course est encore longue, on va avoir une dépression qui va passer dans notre ouest cette nuit et demain matin. Il va falloir manœuvrer. La bagarre est intense aux avant-postes. Par téléphone on a l’impression que ça se passe bien mais ce sont des conditions de vie qui ne sont quand même pas faciles, c’est très humide. Au niveau des températures, on n’a pas encore eu de grand, grand froid. J’ai vu le bateau de François ce matin, on n’était pas très loin l’un de l’autre. Le parcours s’est un petit peu rallongé donc il faudra voir où on en sera au Cap Horn. Ce sera ça la bonne référence pour voir si on est dans les temps pour battre le record mais ce n’est pas l’objectif. L’objectif est d’arriver aux Sables, le mieux placé possible. »
Classement de 16h
1 Armel Le Cléac’h Banque Populaire à 15 001.4 nm
2 François Gabart Macif à 1.2 nm ( mais positionné 30 minutes avant le classement )
3 Jean-Pierre Dick Virbac Paprec 3 à 79.6 nm
4 Bernard Stamm Cheminées Poujoulat à 152.5 nm
5 Alex Thomson Hugo Boss à 159.0 nm
6 Mike Golding Gamesa à 703.0 nm
7 Jean Le Cam SynerCiel à 723.0 nm
8 Dominique Wavre Mirabaud à 899.7 nm
9 Javier Sanso Acciona à 1573.8 nm
10 Arnaud Boissières Akena Verandas à 2019.3 nm