Kito, on sait que ton histoire avec le Vendée Globe a été tumultueuse jusqu’à présent avec deux abandons prématurés en 2008 (démâtage) et 2012 (collision avec un chalutier). Relancer un projet a dû de demander un important travail sur toi-même…
Kito de Pavant : « Effectivement, le tour du monde en solitaire est un gros dossier. Il faut beaucoup travailler et même en travaillant on n’est pas sûr de réussir. Je l’ai expérimenté à deux reprises, et pourtant j’y avais mis du cœur… En 2008 et 2012, je partais pour gagner. Cette fois, la démarche est un peu différente, les temps ont changé. Je ne suis plus un jeune premier, j’aurai 55 ans au moment du départ. J’ai avant tout envie de passer trois mois en mer, de tracer un joli sillage sur la planète bleue et d’arriver aux Sables-d’Olonne. Pour cela j’ai besoin de fiabiliser le bateau, de bien le connaître et de me sentir à l’aise à bord. »
Le chantier d’hiver ira donc dans le sens de la fiabilité ?
K.d.P. : « Oui. J’ai vraiment besoin de terminer le Vendée Globe et j’axe ma préparation autour de cette nécessité. La performance passe au second plan même si je dispose d’un très bon bateau de la génération du Vendée Globe 2012-2013 (l’ancien Virbac-Paprec 3 avec lequel Jean-Pierre Dick a terminé 4e du dernier Vendée Globe, NDR). Durant le chantier, nous n’allons pas faire de transformations majeures, nous resterons sages sur les évolutions technologiques. Mais nous prévoyons tout de même un jeu de voiles totalement neuf et une modification de la répartition des ballasts – entre autres. Nous allons démonter entièrement le bateau pour effectuer une grande vérification. Il s’agira aussi de mettre Bastide Otio plus à ma main car je vais passer du temps en mer dans des conditions pas faciles. Nous travaillerons donc sur l’ergonomie du plan de pont afin de rendre le bateau agréable à naviguer, ce qui n’est clairement pas le cas aujourd’hui. Nous allons revoir le système de barre qui est aberrant. L’objectif est que je puisse prendre du plaisir à bord, retrouver de bonnes sensations, comme cela était le cas sur Groupe Bel. La remise à l’eau de Bastide Otio est prévue en avril. »
Étais-tu satisfait des performances de ton 60 pieds avant d’abandonner la Transat Jacques Vabre ?
K.d.P. : « En l’état, Bastide Otio a de nombreuses qualités… et autant de défauts ! Nous allons gommer ces imperfections à l’occasion du chantier. La Transat Jacques Vabre ne s’est pas passée comme prévu mais je ne suis pas très étonné. Les ennuis qui ont entraîné l’abandon ne sont pas très graves, ce sont essentiellement des problèmes d’électronique, de connectique. On a aussi cassé une voile, mais elle n’était pas neuve, loin s’en faut. Nous n’avons pas rencontré de problème majeur. C’est à la fois rageant sur le moment et rassurant pour la suite. Très honnêtement, je préfère rater une Transat Jacques Vabre plutôt qu’un Vendée Globe. »
Kito de Pavant à bord de Bastide OtioTu ne participeras pas aux deux épreuves préparatoires les plus importantes inscrites au calendrier de l’IMOCA en 2016, The Transat et la New York-Vendée. Pourquoi ce choix ?
K.d.P. : « Pour des raisons de budget et de timing. Car mon objectif est d’avoir un bateau au top le 6 novembre 2016, pour le départ du Vendée Globe. Je souhaite donc le préserver en vue de cette échéance. Nous allons prendre le temps de bien faire. Nous resterons en Méditerranée, un peu dans notre coin. Je m’entraînerai beaucoup, je participerai à quelques courses d’exhibition et je vais tenter d’améliorer le record de la Méditerranée que je détiens déjà. »
Une fois engagé dans le Vendée Globe, penses-tu que les souvenirs de tes deux abandons t’inciteront à naviguer plus prudemment pour terminer l’épreuve ?
K.d.P. : « Difficile à dire… Je vais essayer de naviguer normalement, comme je sais le faire. Je n’ai pas été un casse-cou lors de mes précédentes tentatives. En 2008, mon démâtage n’a pas été lié à une mauvaise utilisation du bateau. Et en 2012, j’ai été très malchanceux en ayant un accident bête causé par un improbable concours de circonstances. Pour la prochaine édition, l’idée est de naviguer plutôt sagement… En même temps faire le Vendée Globe n’est déjà pas sage (rires) ! Je me prendrai certainement au jeu de la régate. Toute la difficulté de cette course est de mettre le curseur au bon endroit entre préservation du matériel et recherche de la performance. Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour l’instant, on prépare. »
Comment s’est passé, début novembre, ton parcours de qualification, qui était aussi ta première en solo sur Bastide Otio ?
K.d.P. : « Très bien ! Après quelques jours passés à Cascais à remettre le bateau en ordre de marche suite à la Jacques Vabre, j’ai décidé de boucler un parcours en solitaire de 1 500 milles qui m’a permis de décrocher définitivement ma qualification pour le Vendée Globe. J’ai effectué un aller-retour entre le Portugal et les Canaries et cette navigation s’est déroulée dans des conditions globalement douces. C’était instructif, j’avais besoin de reprendre mes marques en solitaire. Je n’ai rien cassé mais j’ai étoffé la job list pour le chantier, au grand regret de mon équipe technique (rires) ! »
Nous sommes désormais à moins de onze mois du départ du Vendée Globe et le plateau sportif se précise. Comment l’analyses-tu ?
K.d.P. : « Tous les skippers qui prennent le départ du tour du monde en solitaire et sans escale ont l’aventure dans le sang. Nous aurons un joli plateau avec des figures, des vraies personnalités. Je note que beaucoup de « vieux » reviennent – j’en fais partie. Et il y aura aussi des jeunes loups qui ont les crocs. Pour ce qui est des bateaux, on sera confronté à une situation inédite dans la mesure où les IMOCA de dernière génération, dotés de foils, ont des polaires très différentes de celles des bateaux plus anciens. On peut s’attendre à des trajectoires divergentes lors du tour du monde. Les performances des uns et des autres seront très « météo-dépendantes ». Les conditions rencontrées lors des premiers jours de course pourraient ainsi être déterminantes. On peut s’attendre à un Vendée Globe à deux, voire trois vitesses. Mais c’était déjà le cas lors des éditions précédentes, sauf peut-être en 2008-2009 où il y avait beaucoup de bateaux neufs aux performances relativement proches.»
Parmi les teams ne disposant pas de plans porteurs, seul Maître Coq a pour l’instant annoncé faire la bascule en 2016. On comprend que tu ne suivras pas Jérémie Beyou dans cette option…
K.d.P. : « Ah non, la question ne s’est même pas posée ! Risqué, le choix de Maître Coq peut toutefois se comprendre car à terme, les bateaux à foils iront plus vite. C’est aussi un plus pour la communication, on ne parle que des foilers en ce moment ! Mais le timing me paraît court pour partir sereinement pour le prochain Vendée Globe. Les foils sollicitent la structure des bateaux et le mental des skippers. Ce sera compliqué pour eux, ils auront en permanence une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Il y a des endroits où il est assez déconseillé de casser le bateau, surtout la coque… Les nouveaux 60 pieds montrent des signes de faiblesse inquiétants. En même temps, les teams des bateaux neufs vont avoir le temps de renforcer, d’optimiser le concept. Et après tout, chacun fait comme il veut ! »
Propos recueillis par Olivier Bourbon / Agence Mer & Média