Cap sur la porte des glaces

gitana
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La porte des glaces a sensiblement modifié le parcours historique de The Artemis Transat, mais il n’était pas possible de laisser ouvert le terrain de jeu lorsqu’un champ de mines glacées bloque l’accès aux bancs de Terre-Neuve. Et si ce petit détour ajoute 210 milles par rapport à une orthodromie (route directe) Plymouth-Boston, il change surtout la manière d’aborder cette traversée de l’Atlantique en obligeant les solitaires à plonger nettement plus Sud, vers le 40° Nord (au lieu du 45°N), soit un point 300 milles plus bas. Et plus Sud, c’est le courant du Gulf Stream qui s’oppose à la route et c’est surtout les dépressions qui prennent naissance sur le continent américain et qui génèrent des vents de secteur Sud-Ouest, donc contraires. Pas de solution pour les contourner par le Nord, moins de liberté pour aborder les bancs de Terre-Neuve : cette édition de The Artemis Transat confirme qu’il fallait grappiller des milles au Sud pour espérer limiter le nombre de bords à tirer. Yann Eliès (Generali) coincé au Nord de l’orthodromie depuis cinq jours en sait quelque chose, lui qui cherche désespérément à glisser alors que le vent le repousse toujours en haut !

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Pleine lune sur les bancs
Et devant son étrave, le trio de tête n’en peut mais ! A force de viser cette porte, les trois leaders ont dû peiner pour traverser une zone de vents mous qui les a ralenti sérieusement pendant plusieurs heures ce lundi après-midi : deux nœuds sur la route, ça ne fait pas lourd pour un monocoque de 60 pieds ! Une sorte de Pot au Noir avant l’heure. D’ailleurs Loïck Peyron (Gitana Eighty) indiquait sa surprise de naviguer dans ce coin réputé pour ses brumes et ses frimas printaniers, sous une chaleur si ce n’est suffoquente, du moins suffisante pour se prendre un coup de chaud après chaque manœuvre. Et des manœuvres, il y en a eu en ce début de semaine ! Des changements de voile la nuit dernière et des virements de bord toute la journée. Et des sueurs froides en voyant fondre sur soi un concurrent que l’on croyait bien plus éloigné. A l’image du premier, Vincent Riou (PRB) qui a de quoi s’inquiéter de la vitesse avec laquelle son dauphin grignote les milles : le Baulois n’est plus à la peine ! A seulement quinze milles, soit une heure et demie, Loïck Peyron met la pression sur le leader, mais lui-même n’est pas à l’abri d’un retour express d’Armel Le Cléac’h (Brit Air) qui ne le talonne plus qu’à 25 milles. Sachant qu’il reste encore plus de 1 100 milles jusqu’à Boston, l’ordre du podium est loin d’être établi.

Surtout qu’après les calmes, c’est le coup de vent qui est annoncé. Du vent de secteur Sud-Ouest qui devrait monter au-delà de trente nœuds avec des rafales à 45 nœuds. Pas le même décor, pas la même façon de naviguer, pas la même progression vers le but ! Il faudra ménager la chèvre et le chou, trouver le compromis qui permette d’avancer en contrôlant ses concurrents sans risquer de casser du matériel ! Et qui dit coup de vent, dit mer dure et chaotique en ces régions de hauts fonds, de courant marin violent, de houles croisées. La seule consolation des solitaires, c’est qu’il verront le paysage, même à minuit : avec la pleine lune, naviguer de nuit est bien plus confortable pour l’esprit et le corps puisque la lampe frontale peut rester dans son tiroir et les déplacements ou les manœuvres ne nécessitent plus de coups de projecteur.

Sous les pavés, la plage
La route va donc devenir nettement plus rocailleuse et les pavés marins vont secouer les organismes aux abords des bancs de sable. Mais aussi pour le peloton qui va se faire « matraquer » et va devoir intervenir sur la plage avant pour passer de foc solent à trinquette, de grand voile haute à un et deux ris, voire envoyer le foc de brise ORC, ce qui est certainement la configuration la plus éreintante sur un monocoque de 60 pieds. Car si les voiles d’avant s’enroulent avec retour au cockpit, le petit foc demande à être sorti de la soute, traîné sur le pont, son étai installé sous les coups de butoir d’une mer ébranlée, le tout doit encore être capelé, le palan souqué et la voile hissée avant d’être réglée ! Harnaché pour ne pas se faire blackboulé, encapuchonné pour ne pas se faire rincer, agrippé à la toile pour ne pas qu’elle s’envole, les yeux bouffis de sel, les mains gonflées de mer, les reins tordus sous l’effort, les pieds noyés dans les bottes, la manœuvre a de quoi lessiver le plus coriace des marins qui n’a plus qu’un désir en tête : que le vent ne mollisse pas dans l’instant !

Eclairé par le lampadaire céleste, les dix solitaires s’attendent donc à passer des nuits moins heureuses que les glissades au portant qui ont régné en début de The Artemis Transat. Le final s’annonce violent, pa s seulement parce que la brise sera au rendez-vous, mais justement parce qu’elle ne sera pas tout le temps présente. Des manoeuvres à gogo, et une pression de plus en plus forte puisque les deux premiers n’ont pas franchement réussi à se départager depuis le départ de Plymouth. Sans compter qu’ils doivent veiller sur un Armel Le Cléac’h et un Yann Eliès en embuscade, puisque tous disent que les plans du Groupe Finot sont redoutables dans la brise au près.

Du grain à moudre
Mais la bataille en tête de la flotte Imoca ne doit pas cacher que le peloton aussi se livre à un sacré combat. Et profite du ralentissement pour gagner des milles, Marc Guillemot (Safran) entraînant dans son sillage quatre solitaires toujours aux aguets. Le différentiel n’est d’ailleurs plus que de 200 milles et avec son placement plus Sud et son état physique qui redevient plus normal, le Breton est en droit de se dire qu’une place sur le podium est encore possible. Surtout quand il y a du près au programme, des bords à tirer et des coups à jouer. Samantha Davies (Roxy) peut aussi se rassurer car après s’être fait remonter par Arnaud Boissières (Akena Vérandas) et Yannick Bestaven (Cervin EnR) à l’occasion d’une grosse molle pendant le week-end, la jeune Britannique s’est offert trente milles d’écart qui libèrent un peu la pression. Tout en restant fidèle à sa stratégie : rester calée sur l’orthodromie. Certes son bateau qui n’est autre que le double vainqueur du Vendée Globe et, qu’avec son équipe technique elle a sensiblement amélioré, est une valeur sûre quand il faut faire du près. Et comme il y en reste plus de 1 300 milles à faire !