Les deux leaders foncent à vive allure vers la première porte des glaces de l’océan Pacifique. En passant au sud des îles Auckland, le tandem Gabart – Le Cléac’h n’a pas hésité à traverser le plateau de Campbell. Au risque de rencontrer une mer comme défoncée par un tractopelle fou. La raison en est simple : sur la limite ouest du plateau, les fonds remontent brusquement de plus de 3000 mètres à moins de 500 mètres. Cette brusque variation de la profondeur entraine ipso facto une diminution de la longueur d’onde de la houle. La mer y devient abrupte, difficile à négocier.
A bord de Banque Populaire, Armel Le Cléac’h a même dû se coltiner de reprendre la barre, malgré les vagues qui passaient régulièrement par dessus la casquette du roof. Mais il est parfois des conditions où le toucher de barre d’un marin est bien plus réactif qu’un pilote automatique, aussi sophistiqué soit-il. Quoi qu’il en soit, les deux leaders naviguent toujours bord à bord, comme en témoigne la vidéo de François Gabart (MACIF) où l’on peut, entre deux vagues, apercevoir la voile de son adversaire.
Derrière le duo de tête, l’objectif est avant tout de limiter les dégâts. De Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec 3), aux prises avec une mer qu’il qualifiait lui-même de particulièrement difficile, à Javier Sanso (Acciona 100% EcoPowered), tous vont devoir composer avec une mer croisée, ainsi qu’un régime général de vents orientés plein ouest, obligeant les uns comme les autres à multiplier les empannages. Or, s’il est une manœuvre particulièrement scabreuse par vent fort, c’est bien celle-ci. Un passage de la bôme non maîtrisé et ce sont, dans le meilleur des cas, les lattes de grand-voile qui cassent. Au pire, on peut endommager l’espar lui-même, voire même risquer le démâtage. On comprend que dans ces conditions les navigateurs multiplient les précautions.
Dans le grand jeu tactique qui oppose les poursuivants entre eux, Alex Thomson (Hugo Boss) a choisi de s’éloigner de la route de Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat) en se décalant vers le nord-est, au prix d’un double empannage. Le navigateur britannique, qui présente un très léger déficit de vitesse sur son homologue suisse, joue la carte de l’option de navigation pour conserver sa quatrième place. Jean-Pierre Dick a, lui, aussi décidé de remonter vers le nord-est pour essayer d’accrocher la queue du régime de nord-ouest qui propulse les deux premiers.
Resserrement
A l’avant du peloton, Jean Le Cam (SynerCiel) pousse les feux pour tenter de rester le plus longtemps possible dans le régime de nord-ouest précédant le front qui le rattrape. Le navigateur breton a laissé quelques plumes dans la traversée de la dorsale et voit, bien malgré lui, ses poursuivants revenir à moins de 120 milles de son tableau arrière. Mike Golding (Gamesa), Dominique Wavre (Mirabaud) et Javier Sanso (Acciona 100% EcoPowered) sont les principaux bénéficiaires de l’opération. A noter que le Majorquin est revenu, en une semaine, au contact immédiat du peloton et que son pari de réussir un tour du monde en course sans utilisation d’énergie fossile risque de bouleverser la donne des éditions à venir.
Arnaud Boissières (Akena Vérandas) semble, quant à lui, prendre de plus en plus de plaisir à mesure qu’il laboure les mers du Sud. Plus à l’arrière, la situation est un peu plus compliquée pour Bertrand de Broc (Votre Nom autour Monde avec EDM Projets), Tanguy de Lamotte (Initiatives-cœur) et Alessandro Di Benedetto (Team Plastique), aux prises avec un anticyclone qui se reconstitue sur eux. Heureusement, ces trois-là ont le plaisir de naviguer chevillé au corps.
PFB
Ils ont dit
Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) : « Le vent est toujours bien établi, la mer aussi. Des conditions un peu rock ‘n’roll ! On est passé pas très loin de l’île Auckland et avec la remontée du plateau continental la mer était bien croisée et le vent s’est renforcé ; on est passé de 35 à 50 nœuds avec des rafales à 55 en quelques minutes. Quand le vent a commencé à rentrer et la mer à se former, j’ai barré quasiment une heure. Il fallait gérer un vent à 50 nœuds. Ça n’a pas duré trop longtemps mais le pilote n’est pas aussi performant qu’on peut l’être à la barre. Avec François, on a des passages de portes assez proches. On devrait faire un bout de chemin ensemble je pense. Les options se jouent au niveau des portes. Au cap Horn, il y aura un bon bilan à faire. Mais pour l’instant on se concentre sur le Pacifique. »
Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec 3) : « La mer est impressionnante, très, très, très formée. Le vent est à 32 nœuds. Ça accélère mais ça freine aussi très vite. J’ai prévu d’empanner pour remonter vers des latitudes un peu plus clémentes et voguer vers la Nouvelle-Zélande, qui m’est chère… (Revenant sur la réparation effectuée hier – ndlr) Hier je me suis résolu à monter. Comme on est attaché, on pourrait penser qu’on peut monter comme un singe, très vite. Mais moi je prends mon temps, pour toujours rester accroché au mât. Et je suis resté longtemps car mon bricolage m’a pris du temps, j’avais les mains froides… C’est le système de lashing des voiles que je devais changer. »
Mike Golding (Gamesa) : « Il y a eu un véritable tassement des quatre bateaux au sein de notre petit groupe, avec Dominique Wavre à 100 milles derrière moi, Javier Sanso à 100 milles derrière lui et Jean le Cam à environ 140 milles devant moi. Nous allons rencontrer des conditions compliquées, il va falloir être vigilant et trouver le timing idéal pour empanner. Ça va être serré. Une route un peu plus au nord, comme celle de Dominique Wavre, a ses avantages. Dominique va avoir quelques nœuds de vent en plus tandis que, pour Jean (Le Cam) et moi, ce sera plus léger au sud. »
Classement de 16h
1 Armel Le Cléac’h Banque Populaire à 11 517.1 nm
2 François Gabart Macif à 2.2 nm
3 Jean-Pierre Dick Virbac Paprec 3 à 543.9 nm
4 Alex Thomson Hugo Boss à 916.0 nm
5 Bernard Stamm Cheminées Poujoulat à 919.8 nm
6 Jean Le Cam SynerCiel à 1681.3 nm
7 Mike Golding Gamesa à 1836.7 nm
8 Dominique Wavre Mirabaud à 1961.4 nm
9 Javier Sanso Acciona à 2029.1 nm
10 Arnaud Boissières Akena Verandas à 2697.0 nm