Le leader de ce Vendée Globe devrait aborder le fameux caillou du Cap Horn dans la nuit de dimanche à lundi, heure française, ce qui devrait le mettre dans les temps réalisés par Jean Le Cam en 2004. Avec une différence de taille : du fait de la présence des portes de glace, le parcours final sera de 24 840 milles au lieu de 23 680 milles en 2004-2005. Soit une différence de 1160 milles ce qui correspond, sur une base moyenne de 340 milles par jours, à 3,5 jours de mer. Des chiffres qui traduisent bien l’intensité de la course imprimée par les leaders et ce d’autant plus que la flotte s’est présentée avec près de deux jours de retard sur le tableau de marche de l’édition précédente, du fait du contournement obligé de l’anticyclone de Sainte-Hélène. Refaisons nos comptes : ce qui signifie que dans les mers du sud, ils auront gagné plus de cinq jours de mer. Un différentiel énorme qui explique bien la lassitude évidente de certains navigateurs et la casse qui a affecté la flotte : tenir un tel rythme demande une attention de tous les instants et fatigue le matériel.
S’il fallait une autre preuve de l’intensité de la course, il suffirait de constater le nombre de changements de leaders depuis le départ : 26 au total et 9 des trente skippers qui, à un moment ou un autre, ont pris la tête de la course. Avec, à la clé, quelques records : de l’Equateur à Bonne-Espérance, Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat) a réalisé le meilleur temps en 12jours, 4heures et 50 minutes soit près d’une journée et demie de moins que Vincent Riou en 2004. De même, Michel Desjoyeaux accroche, entre Bonne Espérance et Leeuwin, un temps de 10 jours, 06 heures et 49 minutes soit plus de deux jours de mieux que le temps de 2004. Enfin, avec 15 bateaux encore en course, la flotte paie un tribut important aux latitudes hostiles des mers du sud. A l’heure d’aujourd’hui, la moitié de la flotte a dû jeter l’éponge. Un chiffre à rapprocher des 46% de 1989, 53% de 1992, 63% de 1996, 35% de 2000 et 2004. D’autant qu’au regard des conditions météorologiques rencontrées, les éditions de référence seraient plutôt celles de 1992 et 1996, tant les deux dernières avaient été clémentes pour les solitaires.
Place des grands hommes
Au-delà des considérations chiffrées, ce Vendée Globe aura été, comme à chaque fois, un révélateur de talents. S’il ne fallait en citer que quelques uns, on ne pourrait omettre Sam Davies (Roxy) dont le bonheur d’être en mer et le sens de l’humour ne l’empêchent pas de réaliser une magnifique performance. De même, Arnaud Boissières (Akena Vérandas) respire la sérénité sur un bateau d’ancienne génération tout en tenant la dragée haute à quelques prototypes de l’année, de facture toute britannique. L’occasion pour le skipper arcachonnais de parfaire sa connaissance de la langue de Shakespeare. Comment oublier enfin la course de Steve White (Toe in the water), qui fort d’un partenariat de dernière minute et d’une expérience dérisoire du 60 pieds IMOCA démontre chaque jour des qualités d’adaptation et un bonheur de vivre détonnant.
Enfin, on ne peut achever ce bilan 2008 sans évoquer la formidable dimension humaine de cette aventure planétaire. C’est l’engagement sans compter de Marc Guillemot (Safran) et de Sam Davies aux côtés de leur pote Yann Elies, cloué par la douleur dans la cabine de son Generali. C’est la mobilisation des personnels des TAAF qui seront aux côtés de Dominique Wavre (Temenos) puis de Bernard Stamm lors de leur escale aux Kerguelen. C’est encore ces rencontres en mer improbables entre Vincent Riou (PRB) et Armel Le Cléac’h (Brit Air) qui ne se quittent plus ou bien encore entre Dominique Wavre, en route vers Fremantle qui se déroute pour apporter quelques vivres, du gazole et un peu de solidarité à son compagnon d’infortune Loïck Peyron (Gitana Eighty). C’est enfin Jean-Pierre Dick (Paprec-Virbac 2), contraint de quitter la course suite à sa deuxième avarie de safran, qui a l’élégance insigne d’appeler Sam Davies pour lui confier sa place de sixième. Comme quoi ce sont parfois des petits riens qui font l’étoffe des grands hommes.
Voix du large…
Jean Le Cam, VM Matériaux, à la vacation de 11h : « La descente vers le Cap Horn ça se présente comme d’habitude, avec du vent soutenu et du passage de front. Je suis un peu épuisé. Hier, j’ai bien dormi et là, je m’apprêtais à m’endormir. Au bout d’un moment, ça pèse sur le bonhomme, ce genre d’exercice. C’est de la fatigue, du stress. Avant la Porte, j’ai pris 45 nœuds de vent… Si je devais retenir une image de ce grand sud version 2008, je pense que c’est la décision de la direction de changer les portes. Heureusement qu’on a eu ces portes, sinon c’aurait pu être dramatique, vu le rythme soutenu des skippers. S’il n’y avait pas eu ces portes, cela aurait été " too much ". On va bien plus vite qu’il y a quatre ans. Ça sous-entend qu’on est plus proches de la limite des bateaux, donc forcément plus sur les nerfs. »
Sam Davies, Roxy, à la vacation de 11h : « Je me suis retrouvée en tee-shirt et pieds nus sur le pont. J’étais vraiment étonnée, car il faisait tellement beau et chaud, c’était incroyable. Quand j’ai fait le trophée Jules Vernes il y a 11 ans, j’ai eu l’impression d’avoir passé six semaines dans un frigo. Il faisait dur, froid et humide. Alors quand il y a des moments comme hier, où le climat est doux, il faut en profiter, ça arrive trop rarement. C’est vrai que je suis plutôt en forme. Je pense que j’ai eu de la chance depuis le début de cette course. Je n’ai pas eu de gros soucis sur Roxy, et je n’ai pas eu les grosses tempêtes comme certains. Finalement, j’ai peu de souvenirs où je n’étais pas heureuse. Je n’ai même jamais pleuré. Une fois, je me suis cogné les coudes, j’ai failli pleurer mais je suis plutôt tombé dans les pommes… Sinon, JP m’a appelé pour me dire qu’il m’offrait sa sixième place pour le Nouvel An, j’étais vraiment trop malheureuse pour lui. Là, on a une super belle mer et je fais des surfs à 24-25 nœuds. C’est drôle, je n’arrive plus à dormir quand le bateau marche à 12 nœuds. »
Marc Guillemot, Safran, à la vacation de 11h : « Le Pacifique est plutôt calme et tempéré. On a du temps gris, un peu de crachin. Il fait 12°, on ne va pas s’en plaindre. Mon retard sur les premiers est important, mais ce n’est pas le reflet de ma course. Je vais bénéficier du temps rendu pour aller aider Yann. On est dans des systèmes tellement différents qu’un tel écart peut encore augmenter de 50%, voire diminuer d’autant. J’ai été me balader dans le mât pour mettre en place un brélage pour pouvoir hisser ma grand-voile au deuxième ris. Je garde déjà de bons moments en mémoire : comme mon arrêt pour réparer mon mât, où je suis monté sous le regard de 150 éléphants de mer qui n’en avaient rien à faire… Ce sont des moments assez magiques. »
Les 10 premiers au pointage de 16h00
1- Michel Desjoyeaux (Foncia) à 8333,4 milles de l’arrivée
2- Roland Jourdain (Veolia Environnement) à 64,6 milles du premier
3- Jean Le Cam (VM Matériaux) à 345,3 milles du premier
4- Armel Le Cléac’h (Brit Air) à 705 milles du premier
5- Vincent Riou (PRB) à 739,6 milles du premier
6- Sam Davies (Roxy) à 1935,8 milles du premier
7- Jean-Pierre Dick (Paprec-Virbac 2) à 2021,3 milles du premier
8- Marc Guillemot (Safran) à 2226,1 milles du premier
9- Brian Thompson (Bahrain Team Pindar) à 2484 milles du premier
10- Dee Caffari (Aviva) à 2653,8 milles du premier