Un départ ouaté.
Le départ de la Route du Rhum en ce dimanche 29 octobre ne restera pas dans l’armoire aux bons souvenirs de Jean Le Cam. Parti un peu au vent de la flotte après le Pointe du Grouin, Jean se retrouve dans la difficulté au moment de doubler la marque mouillée sous Fréhel, empétré face à un fort courant contraire. C’est en 7ème position qu’il abord la première partie très tactique de cette édition 2006 d’une Route du Rhum si peu orthodoxe. Le vent, faible à inexistant, est calé à l’ouest et c’est au près que les concurrents tentent de s’extraire de la Manche et de rejoindre les flux plus soutenus d’Atlantique Nord. La route passe par l’Angleterre et Jean se retrouve vite au cœur de la gestion problématique d’une navigation de nuit en plein brouillard au milieu des cargos et autres bateaux de p&eci rc;che. « On fait mieux comme entrée en matière…. »
2ème Jour : Dans le sillage de Dick
La Route de Pointe à Pître prend en ce premier lundi de course la direction de l’Irlande. Un vaste anticyclone s’est égaré en ce début d’automne an cœur de l’Atlantique et dérive en s’étalant vers le Nord Est. Un flux soutenu de Nord Nord Est circule en sa bordure et les solitaires y voient avec anticipation les promesses d’une descente tout schuss vers les Açores. Reste à accepter de laisser à sa gauche la route de Pointe à Pître dans l’attente d’une rotation du vent à l’avant du bateau, signal qu’il sera temps de changer d’amure et de mettre enfin cap au Sud. Jean Pierre Dick est à ce moment un leader très à son affaire dans les petits airs de la Mer d’Irlande. Les écarts restent faibles mais les Nordistes tiennent la tête et accélèrent progressivement tandis que les voiliers restés près des côtes de Bretagne luttent face aux courants. Jean s’installe dans le trio de tête devant le Britannique Brian Thomson.
3ème jour : Accélération
C’est un Jean Le Cam heureux comme un marin surfant à pleine vitesse sur son VM Matériaux qui entame sa troisième journée de course. Les deux marins qui le précèdent au classement général résistent fort bien à ses assauts. Le Cam choisi dorénavant d’attendre patiemment son heure. Le gros chat fuschia est bien calé dans le tableau arrière des souris Dick et Jourdain. Comme eux, il est « à fond » sur les réglages et la vitesse. Oubliés les classements et autres calculs de moyenne et de gains horaires. Le Cam est en course, en phase, en harmonie avec une Route du Rhum qualifiée ce matin avec enthousiasme de « géniale », avec ce vent, cette glisse sous les étoiles et l’enivrante vitesse d’un VM Matériaux répondant en tous points aux attentes de son skipper.
4ème jour : Changement de leaders
L’ouest paie. Roland Jourdain a prolongé son bord et s’empare du commandement aux dépends de Dick plus abattu dans son sud. Le Cam partage les conceptions de son ami Bilou et reste un moment le plus nord de la flotte. VM Matériaux aime le vent puissant et c’est dans l’ouest qu’on trouve plus de pression…Les Açores sont en ligne de mire et les modèles météos tournent presque aussi vite que les cerveaux des navigateurs pour déterminer le plus en amont possible le meilleur point de passage au milieu, à l’ouest ou à l’est des îles… de ce passage découlera le bon angle de vent pour gagner au plus vite les alizés. Calé dans le sillage de Sill et Véolia, Le Cam rompt soudain l’engagement et choisi de partir à nouveau à l’ouest pour contourner l’archipel. Dick l’imite. Bilou plonge au sud et prend le risque d’aller jouer avec le dévent des îles.
5ème jour : Le combat des chefs
A l’approche de la mi-parcours de cette Route du Rhum 8ème du nom, ils sont 4 monocoques de 60 pieds à se disputer férocement le commandement. Jean-Pierre Dick est un leader impressionnant. La puissance de son Virbac-Paprec s’exprime pleinement dans le vent soutenu orienté Nord Nord Est qui lui a permis de parer à toute vitesse au matin du 5ème jour l’archipel des Açores. Dans son sillage, c’est Jean Le Cam qui occupe désormais le fauteuil de dauphin. Son VM Matériaux a suivi la même trajectoire que Dick, préférant traverser l’archipel Portugais dans sa partie ouest. « Bilou est parti au sud » lâche d’un ton laconique un Le Cam apparemment peu ému des choix de son camarade de Port la Forêt, troisième au classement général. Sa concentration et son énergie sont pour l’heure entièrement dédiées à la glisse de son plan Lombard. « Je barre beaucoup, car c’est le seul moyen d’aller vraiment vite sous gennaker. Les gains comparés aux performances du pilote automatique sont de l’ordre de 3 nœuds ! » L’émulation entre ces trois hommes bat son plein. Trois ? « Wavre va très vite. Son bateau va bien » tient à souligner Le Cam qui continue de voir en Téménos un adversaire de choix toujours en lice pour la victoire à Pointe à Pitre.
L’aube du sixième jour….
Pointé la veille à une trentaine de milles de Jean Pierre Dick, Jean Le Cam, au sortir d’une sieste réparatrice, s’est installé à la barre, bien décidé à lâcher les chevaux et à faire parler la puissance de son VM Matériaux. « J’ai allumé très fort » avoue-t’il, visiblement heureux d’une démonstration de force concrétisée au tableau d’affichage par un spectaculaire retour de près de 30 milles sur la route directe, et par la satisfaction jouissive pour tout compétiteur de se trouver au cœur de l’Océan Atlantique à vue de l’un de ses principaux rivaux. Le jour s’est ainsi levé en ce sixième jour de course sur la vision assez exceptionnelle de ce bord à bord imprévu entre deux monocoques de 60 pieds lancés à pleine vitesse d ans un vent soutenu de secteur Nord Nord Est. « J’ai allumé tous mes feux » expliquait Jean lors d’une vacation avec son équipe à terre. « Virbac Paprec est exactement sous mon vent et je n’ai pas envie de me le tamponner ! »
L’engagement risque de durer, au moins jusqu’au prochain empannage stratégique pour revenir sur la route directe. Roland « Bilou » Jourdain est à l’affût sous le vent des duettistes, à moins de 11 milles de l’extraordinaire mano à mano qu’il souhaite à l’évidence arbitrer. Vitesse, stratégie, engagement… la Route du Rhum version monocoque prend des accents de Solitaire du Figaro…
7ème Jour : Bilou s’échappe…
Alors que Lionel Lemonchois triomphe à la satisfaction unanime et sincère de ses pairs à Pointe à pitre, la bagarre fait rage en tête de la flotte des 60 pieds Imoca quelque part au cœur de l’immensité Atlantique. Bagarre intense à laquelle la météo, loin d’éclaircir les débats, brouille au contraire la donne en se jouant semble-t’il des fichiers et des prévisions les plus sophistiquées. Ainsi cette nuit, et contre toute attente, Jean Le Cam a-t’il connu une nuit à ses propres dires, « apocalyptique », à se battre, se débattre dans des conditions totalement irrationnelles de vents tournants et de grains violents, le tout copieusement arrosé sous des trombes d’eau. Apparemment plus serein dans un environnement plus limpide, Roland Jourdain en a profité pour s’échapper en route directe vers les Antilles. Il semble aujourd’hui lorgner lui aussi plus loin dans l’ouest vers l’arrivée d’un front dépressionnaire. Bôme cassée puis réparée, Bilou pousse à fond son option et continue de progresser en route directe. Il porte son avance en quelques heures à 125 milles sur le duo Dick-Le Cam.
La reconquête
Pas désabusé le moins du monde mais fidèle à ce sens des réalités qui le caractérise, Jean Le Cam livre un verdict sans appel à l’issue d’une nouvelle et somptueuse passe d’armes entre les protagonistes de la tête des Monocoques Imoca : « Bilou s’en sort bien ! » Roland Jourdain continue en effet de bénéficier de son passage très à l’est lors de la traversée de l’archipel des Açores. Il a ainsi pu glisser sous la dorsale que ses adversaires ont dû contourner loin dans l’ouest, faire route directe sur l’ortho et se recaler depuis ce matin dans la veine de vent fort qui ramène à toute vitesse Jean Le Cam et son VM Matériaux. Le Cam va vite. Il contient la puissance de Virbac-Paprec en vitesse pure et a recouvré sa seconde place un moment subtilisé par le Suisse Dominique Wavre . Un long sprint dans les alizés est engagé. Avantage Jourdain. Le Cam sert la pression. » Après 9 jours de mer, jamais Jean n’a en effet semblé aussi relâché. « C’est le sprint final et je suis d’attaque ». Tous les sens en éveil, Le Cam voit et sent tout ; « Wavre n’a pas encore passé le front. Armel (Le Cléac’h) a bien joué, mais il est trop loin. Dick est derrière… » A un petit millier de milles de l’arrivée, les solitaires se livrent sans retenue. Reste pourtant une inconnue qui n’échappe à aucun de ces marins aguerris ; le contournement de la Guadeloupe est synonyme de fort ralentissement… par devant. « C’est sûr et on le dit depuis le début, l’arrivée par le Nord de la Guadeloupe peut être scabreux. On peut tous venir tamponner sous la Soufrière…» Avec cet espoir en tête, la chasse au Bilou est lancée…longtemps stabilisé à 110 milles, l’avance de Roland Jourdain va désormais commencer à fondre. Dans le même temps, la distance qui sépare VM Matériaux de Virbac-Paprec s’allonge, passant en quelques heures de 20 à près de 40 milles.
10ème Jour : L’accordéon de la Guadeloupe
A 800 et quelques milles de Pointe à Pitre, Jean Le Cam continue de tirer la quintessence de son VM Matériaux. Son fidèle plan Lombard optimisé cet hiver lui a, cette nuit encore, donné de larges satisfactions en maintenant avec facilité les impressionnantes moyennes affichées au classement général par les voiliers en tête de cette route du Rhum version Imoca. Bien ancré à la seconde place, Le Cam aligne à présent des journées à plus de 320 milles vers les Antilles. Il s’est donné un peu d’air en reléguant l’accrocheur Jean-Pierre Dick à plus de 40 milles. Dominique Wavre et Armel le Cléac’h sont aussi bien présents dans le tableau d’arrivée tel que Le Cam le préfigure désormais : tassement des vitesses à l’approche des îles et retour de la flotte par derriè ;re. Roland « Bilou » Jourdain tient assurément le bon bout. Jean le philosophe n’exclut aucun scénario et concentre toute son énergie à rester le plus longtemps possible en phase et en rythme avec les pulsations de l’alizé.
11ème jour : Le break est fait.
Au matin du 11ème jour de course et à la faveur d’un impressionnant rush sous gennaker, Jean Le Cam s’est définitivement débarrassé de la menace Jean-Pierre Dick. Les deux hommes ont longtemps navigué bord à bord et dans le même système météo. C’est un véritable tour de force que vient de réaliser Le Cam. 404 milles de parcourus en 24 heures au pointage de ce matin ! Il aura fallu l’arrivée d’un petit front « m…ique » pour ralentir un moment la fulgurante descente des alizés tout schuss d’un Jean Le Cam au comble de la délectation à la barre de son VM Matériaux. Des pointes à 23 noeuds, pour une moyenne supérieure à 16 noeuds par jour, Le Cam a grappillé quelques milles à son ami Jourdain. Il a surtout poussé son avance sur le troisième Jean Pierre Di ck à plus de 90 milles. Pointe à Pitre est à moins de 400 milles de son étrave. L’alizé qui a légèrement molli en début de journée reprend de la vigueur en fin de soirée et facilite l’atterrissage du grand bateau fuschia à la tête à l’anglais, cap nord de la Guadeloupe.
Un final d’anthologie
« Depuis des mois, je m’insurge contre ce contournement de la Guadeloupe » râlait encore au matin du 12ème jour Jean Le Cam en approche des îles paradisiaques des Antilles. « J’arrive en position de chasseur et ce ne doit pas être drôle pour ceux qui sont devant ! » En l’occurrence son ami Bilou dont le « matelas » d’avance aura drôlement fondu dans la chaleur de l’alizé et sous les assauts d’un Jean Le Cam conquérant et plus que jamais passionné par sa machine. « Cette dernière nuit a été superbe » résume le skipper de VM Matériaux. On comprend en sous-titre combien le marin a pris plaisir à glisser ainsi à pleine vitesse et avec un maximum de confort dans les forts flux de Nord puis de Nord Est qui soufflent vers la Guadeloupe. L’approche des îles s’est naturellement signalée par un affaiblissement de l’alizé. La houle s’est aussi assagie mais VM Matériaux jamais n’a molli avant de parer la Tête à l’anglais dans le Nord de l’île. Comme prévu, le dévent de l’île puis du volcan de la Soufrière a d’abord freiné Jourdain, autorisant un retour à moins de 20 milles de Le Cam dans le goulot de Basse-Terre. L’effet d’accordéon, coup de frein par l’avant puis redémarrage lorsque ça « tamponne derrière », préserve un moment l’avantage Jourdain. Puis c’est l’arrêt total après Basse-Terre. Une voile à l’horizon. C’est Le Cam. Le bateau fuschia brille au soleil déclinant et se rapproche inexorablement. La nuit tombe. Bilou « pompe » sa grand voile. Le Cam n’est plus qu’à… 3 00 mètres quand retentit le coup de canon de la victoire.
VM Matériaux , temps de course de 12 jours 12 heures 26 minutes et 53 secondes à 11,79 nœuds de moyenne. 27 minutes et 55 secondes derrière Roland Jourdain (Sill et Véolia)
www.jeanlecam.fr