« Les spectateurs pourront “spectater“ et les marins "mariner" prévoyait hier Michel Desjoyeaux. Bien vu. Même si à la pointe du Grouin ce matin, on a d’abord craint un temps de cochon, puis redouté un retard de la procédure tant la brume et le crachin réduisaient la visibilité à sa plus minimale expression. Et puis le voile s’est levé comme un charme devant la cité corsaire, comme pour ouvrir un solennel rideau géant sur le grand spectacle des 74 solitaires engagés dans cette Route du Rhum – La Banque Postale. A 13h02, le maire de Saint-Malo, René Couanau, donnait le top départ libérateur depuis le Pont-Aven, ferry amiral de la Britanny Ferries. A la pointe du Grouin, envahie de milliers de spectateurs, tout comme au Cap Fréhel au même moment, l’énorme ligne de départ – 2 milles de longueur, séparée en son milieu pour multi et monocoques – était déjà le théâtre d’une belle empoignade. Mais finalement, seul le monocoque 60 pieds Maisonneuve Basse-Normandie de Jean-Baptiste Dejeanty se rendait coupable d’un départ prématuré et devait réparer en revenant couper la ligne correctement.
Franck Cammas en tête
Léger clapot, ciel bas mais visibilité dégagée, dans une dizaine de noeuds de secteur nord-ouest, les solitaires étaient contraints de tirer des bords pour progresser vers le Cap Fréhel. Sous les centaines d’objectifs, devant des dizaines de milliers de regards, le spectacle était grandiose et les multicoques Orma prenaient logiquement les devants. Le meilleur départ était pris par le tenant du titre Michel Desjoyeaux sur Géant, devant Franck Cammas (Groupama 2), auteur d’un départ bâbord amures pour le moins osé mais virant et croisant tout de suite la flotte pour gagner au large, et le Foncia d’Alain Gautier, 3e sur la ligne. Les vitesses de progression n’étaient certes pas exceptionnelles – environ dix noeuds pour les multis 60′. Très vite les trimarans Orma – chatouillés dans leur suprématie par le multi 50 Crêpes Whaou! du Malouin Franck-Yves Escoffier – s’extirpaient de la gigantesque forêt de voiles, suivis d’essaims de centaines de petits bateaux spectateurs. Et si 40 minutes après le départ, la bagarre sur la gauche du plan d’eau, à terre donc, faisait rage en tête entre le Géant de Michel Desjoyeaux, le Sodebo de Thomas Coville, le Banque Populaire IV de Pascal Bidégorry… et donc l’étonnant Crêpes Whaou ! de Franck-Yves Escoffier, c’est Franck Cammas (Groupama) qui menait la danse et creusait visiblement l’écart à la faveur de son option à droite du plan d’eau, c’est-à-dire plus au large. Côté ambiance : "il y a énormément de monde, ça crie de partout et il faut vraiment être vigilant", témoignait en direct Pascal Bidégorry, à la barre de son Banque Populaire IV, "mais pour l’instant ça va, j’essaie de m’appliquer!"
Du côté des monocoques, sur la ligne de départ, il n’y avait que Jean Le Cam et son VM Matériaux pour représenter les monocoques Imoca dans les trois premiers sur la ligne (2e), les deux autres plus prompts à s’élancer étant des Class 40, le Cap VAD de Thibaut Derville (1er) et le Nous Entreprenons de Jacques Fournier. Une gloire éphémère tout à fait anecdotique quand on a 3543 milles d’océan à traverser avant d’espérer atterrir à Pointe-à-Pitre. Mais très vite cinq grands favoris des 60 pieds "type Vendée Globe" reprenaient leurs droits en tête et se livraient une belle bagarre : Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec), Vincent Riou (PRB), Roland Jourdain (Sill & Veolia), Jean le Cam (VM Matériaux) et l’étonnant Jérémie Beyou (Delta Dore). Du côté des 40 pieds, Dominic Vittet (Atao Audio System) et Damien Grimont (Chocolats Monbana) étaient eux aussi très en vue dans leur catégorie.
Mais le tout était observé avant le cap Fréhel, célèbre première marque de passage de la course, où la brume épaisse tombait de nouveau à 15h. Rivés à la barre, l’oeil en permanence sur les réglages et sur les autres bateaux, les 74 marins solitaires écrivent déjà de leurs étraves la légende de cette Route du Rhum – La Banque Postale, craignant sans doute les "phases de vent très faible", toujours prévues par la météo dès la fin de la journée et cette nuit. Mais ce n’était encore que les tous premiers bords de l’aventure….
Les mots du leader, Franck Cammas (Groupama) :
"Sur le départ, il m’a manqué quelques secondes pour passer devant Géant et j’ai été obligé d’abattre pour passer derrière toute la flotte. Mais je suis finalement bien content d’avoir persisté, car il y avait plus de pression au large et dans du petit temps qui convient bien à Groupama. Sur l’eau, c’était une belle fête, avec tous ces bateaux suiveurs, tous ces spectateurs. Mais maintenant, la nuit va être délicate car il y a très peu de vent d’annoncé en Manche. Alors, il va falloir garder les yeux ouverts."
Source La Route du Rhum – La Banque Postale