De l´importance de la première bascule

China Team contre Luna Rossa Challenge
DR

La première bascule de vent est décisive car en match racing, l’équipage qui navigue en tête dispose d’un avantage important. Le bateau de tête peut en effet contrôler son adversaire en s’intercalant entre celui-ci et la bouée. Pendant les bords de près, il peut se placer entre son concurrent et le vent afin de toujours bénéficier du meilleur angle ou de la bonne rotation. Le leader est également libre de choisir où aller : en direction d’un vent plus favorable, plus fort ou d’un courant porteur. Lorsque vous êtes le poursuivant, en revanche, vous souhaitez très souvent vous dégager du bateau de tête, ce qui vous pousse dans la plupart des cas vers le côté défavorable du plan d’eau. En conclusion, être devant, très tôt dans le match, multiplie vos chances de victoire.

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Prendre la bonne décision sur la première bascule de vent permet également de parcourir moins de distance pour se rendre à la bouée… c’est un peu comme prendre le couloir intérieur lorsque vous courrez autour d’un stade : même si vous évoluez à la même vitesse que vos concurrents, vous gagnez en distance. Il est difficile de décrire le processus qui mène les équipes météo à faire les bons choix concernant l’évolution du vent. Chacune a sa propre organisation et fonctionne avec ses propres compétences. Hamish Wilcox est responsable du programme météo de Luna Rossa. Il a déjà travaillé sur la Coupe, pour la voile olympique et a été trois fois champion du monde de 470.

La part d’analyse

Il examine une montagne de données provenant des bouées météo mouillées sur la zone de course et générées par le MDS (Meteorological Data System). A partir de là, il doit être capable d’indiquer à l’équipage quel côté du plan d’eau choisir après le départ. Pour cela, il peut communiquer avec le bateau jusqu’à cinq minutes avant le coup de canon. Voici ses explications :

"C’est un rôle de soutien pour l’équipe où vous devez filtrer une somme énorme d’informations puis prendre une décision. Vous devez être capable de prendre des risques et dire : voilà ce que je pense. Bien sûr, il peut arriver de vous tromper, mais vous devrez y retourner et recommencer."

"Les équipes ont de nombreuses manières d’appréhender la première bascule de vent" explique Wilcox. "C’est une chose de se mettre sur la ligne de départ, face au vent, et d’estimer qu’il y a plus de pression de tel ou tel côté du parcours (comme nous le faisons tous), mais nous utilisons aussi le MDS pour appuyer nos intuitions, quand, par exemple vous pensez qu’il y a plus de pression sur la gauche et que les chiffres sur l’écran vous prouvent que c’est ça."

Les météorologues utilisent donc les informations du MDS pour confirmer la pertinence de leurs modèles informatiques sur une petite échelle, à savoir celle d’une régate de la Coupe. La comparaison des modèles (qui ne sont que des prospectives) avec les données réelles fournies par le MDS, leur permet ainsi d’affiner leurs programmes météo. Mais ce n’est pas toujours suffisant pour savoir exactement dans quelle direction le vent va tourner, ni pour connaître sa force (la pression) sur les différentes parties du plan d’eau.

"Ensuite, il y a toujours une équation complexe, propre à chaque bateau et à la force du vent, où le navigateur vous dira qu’un nœud de vent supplémentaire vaut mieux que 10 degrés de rotation favorable " ajoute Wilcox. "Donc, vous devez savoir ce que vous recherchez dans telle ou telle condition."

La part d’intuition

Ce genre de travail demande à la fois d’être un expert en informatique, un excellent analyste, tout en restant un peu devin, afin de véritablement ‘sentir’ le vent, de façon intuitive.

Glyn Davies, le responsable du programme MDS qui fournit les données à toutes les équipes, considère que 75 à 80 % de réussite dans l’analyse de la météo, c’est déjà un très bon ratio. Selon lui, l’important est aussi de savoir interpréter ces analyses clairement.

"Le travail de l’équipe météo est de récupérer quelque chose d’assez compliqué et de le simplifier pour l’équipage. La plupart des équipes ont probablement des statistiques pour chaque condition de navigation rencontrées dans ce secteur. Cela leur permet de savoir ce qui s’est passé avant dans un cas similaire. En se concentrant peut-être sur deux bouées météo, elles peuvent vérifier la proximité des conditions réelles avec leur modèle et à partir de ça, élaborer à une prévision. "

A Valencia, la brise thermique est dominante pendant la saison de compétition ; certains pensaient donc que la météo serait facile à prévoir.

"Lorsqu’ils ont annoncé la ville d’accueil, les gens disaient, Oh, avec de la brise de mer, ce sera des bords obligatoires. Plus personne ne dit cela maintenant. Ce n’est pas facile ici. La brise est influencée par de nombreux facteurs – c’est une chose complexe. Cela peut aller d’un léger vent de nord-est orienté au 70 ou au 100, jusqu’à un vent beaucoup plus sud, soufflant à plus de 20 nœuds."

Lorsque les régates des Valencia Louis Vuitton Acts commenceront en mai prochain, regardez la façon dont les équipes bataillent pendant les phases de pré-départ. Il faut s’attendre à des pré-départs extrêmement disputés, à chaque fois que le côté favorable du plan d’eau sera évident …les gars de l’équipe météo n’y seront pas pour rien.

Source ACM (P.Rusch/C.El)