Le régime météo sera de nouveau corsé pour la flotte déjà fortement malmenée en ce début de grande traversée. Les équipages, qui font preuve d’une solide résistance, n’en livrent pas moins une course d’une belle intensité, comme en témoigne la lutte qui oppose, par options interposées, les deux duos de grands favoris : Jourdren – Stamm (Cheminées Poujoulat) et Soldini – D’Ali (Telecom Italia)…
Cinq abandons et deux retours au port pour réparer. La note laissée par le golfe de Gascogne dans tous ses états est salée… Après Jardin Bio (Parnaudeau – Maslard) et Les Conquérants de Normandie (Lepesqueux – Monnet), les tandems d’Orca (Tolkien – Brewer), d’Appart City (Noblet – Guillou) et enfin d’Ahmas (MacKenzie – Harris) ont tour à tour annoncé devoir renoncer et quitter les chemins de la course. A ces forfaits, s’ajoutent les « stop and go » de Vale Inco-Nouvelle Calédonie (Ecarlat – Régnier), actuellement en escale à La Corogne, et de Crédit Maritime (Carpentier – Maldonado) dans un petit port de Galice. Ces deux concurrents ont du en effet rejoindre la terre ferme pour réparer avant de reprendre le fil de cette transatlantique. Tous avaient pourtant fait le dos rond et levé le pied dans le plus fort du coup de vent. Mais c’était sans compter avec le régime de traîne et ses copieux grains qui ont continué de mettre les bateaux et les organismes à très rude épreuve.
Système dépressionnaire : prudence, vigilance
Voiles déchirées, problèmes structuraux, soucis électroniques persistants, pilote en panne : les avaries diverses et variées que déplorent les équipages, skippers professionnels comme amateurs, révèlent la violence de ce front qui a cueilli à froid la flotte de la Solidaire du Chocolat. Comme il en a parfois la méchante habitude, au départ d’une transat automnale, le golfe de Gascogne a montré son plus impitoyable visage. Pour l’heure, les eaux atlantiques n’ont malheureusement rien à lui envier. Le front actuellement en marche s’apprête en effet à souffler, dans les heures à venir, un nouveau coup de vent dans les voiles des Class 40. « Au regard de la vitesse de déplacement du système dépressionnaire, cet épisode ne devrait durer que 4 à 6 heures. Mais par son intensité, il demandera encore beaucoup de vigilance aux équipages », explique Richard Silvani de Météo France.
19 bateaux, neuf nationalités
Voilà pour le décor des prochaines heures. Il n’a rien de réjouissant pour les skippers qui vont devoir encore patienter avant de renouer avec des conditions plus maniables… et surtout plus agréables. Pour autant, les 19 équipages qui représentent encore neuf nationalités ne baissent certainement pas les armes. En tête ou dans le peloton, ils luttent avec une belle ténacité. A l’image des deux duos qui ont engagé une course contre la montre pour faire escale et réparer leur voile déchirée (Vale Inco-Nouvelle Calédonie) et leur pilote automatique (Crédit Maritime), tous mettent du cœur à l’ouvrage pour panser leurs plaies, soigner les chocs, réparer les avaries. Ils ne ménagent pas non plus leur peine pour faire le dos rond et rester dans le jeu de la course menée depuis le début par Bruno Jourdren et Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat). Sur une route au nord-ouest, le duo franco-suisse imprime un rythme soutenu à 9 nœuds de moyenne : à fond au près sur la mer qui fait le gros dos !
Mais dans son sillage, beaucoup de tandems attendent le moindre faux-pas pour passer à l’offensive. Aux avant-postes, tous les complices de Mistral Loisirs – Pôle Santé Elior (Bouchard – Krauss), Initiatives-Novedia (De Lamotte – Hardy) et de Cargill-MTTM (Seguin – Tripon) tiennent leur rang d’outsiders et disputent une course pleine de belles promesses. Quant aux Finlandais de Tieto Passion (Rumpannen – Öhman), les Espagnols de Tales (Botin – De La Plaza), les Italiens d’Adriatech (Consorte – Aubry), ou encore les Anglais de Sail4Cancer (Wright – Brennan) et de 40 Degrees (Harding – Merron), ils s’accrochent et ne cèdent rien. Enfin le casting serait évidemment incomplet sans le bateau transalpin Telecom Italia (Soldini-D’Ali) qui joue parfaitement – et avec une grande conviction – son rôle d’épouvantail sur une route divergente. En 7è position à 65 milles des premiers, pour eux, comme pour tous les autres : il reste 4 500 milles à parcourir. Jusqu’au Mexique, la route est encore longue.
Ils ont dit :
Armel Tripon (Cargill-MTTM) : « On a beau regarder les cartes météo… y’a pas d’alizés en place ! Faut bien s’y résoudre, ça va se passer au près pendant un bon moment cette affaire ! Sinon, on est sous la pluie dans les grains, avec des sautes de vent régulières qui passe de 13 à 30 nœuds… Pour entretenir notre forme physique, c’est pas mal : elle est énorme cette grand voile à border! »
Jacques Fournier (Groupe Picoty) : « Nous avons passé l’après-midi à réparer, mais recoudre une voile quand on subit grain sur grain, ce n’est pas vraiment une partie de plaisir ! Nous nous y sommes repris à trois fois pour avoir quelque chose d’à peu près solide. On s’en remet aux bons soins des dieux de la mer pour que ça tienne jusqu’à la fin de la dépression. Nous avons perdu quatre places durant cette réparation, mais nous sommes toujours en course et il y a de la route à faire… On fait cap au sud, mais on est en train de s’interroger sur la façon d’aborder le front qui arrive. On dort assez peu, on s’alimente difficilement, on est fatigué. Mais on reprend un peu le dessus. On en a encore pendant au moins 48 heures à subir des vents forts. »
Frédéric Nouel (Plan France) : « Le golfe de Gascogne a été fidèle à sa réputation. il nous a accueillis à bras ouverts. On gère le mal de mer, mais la mer ne nous aide pas beaucoup à le faire ! Ce n’est pas très facile, même si ça va mieux ce matin. On tire des bords devant le cap Finisterre, dont on se serait bien passé. On essaye de se dégager de ce passage pour avoir une mer un peu moins chaotique. On est presque les seuls à faire cap à l’ouest. Sous tourmentin pendant deux heures, nous sommes revenus sous deux ris, trinquette. On privilégie la sécurité et l’absence de casse est notre principal objectif. On espère passer rapidement ce passage un peu délicat pour mettre le turbo et se lancer à la poursuite des autres. On arrive à mieux manger, on dort bien, on se relaye, on tient bien le bateau, on a le moral, on sent que ça s’améliore… »
Yves Ecarlat (Vale Inco-Nouvelle Calédonie) : « La grand voile est vraiment en mauvaise état : du tissu mâché en plusieurs endroits. Le bateau marchait très bien, on était en pleine forme, on a géré le front correctement : il y a juste la voile qui était cuite. Faute de budget, on n’a pas pu en acheter une, c’était un peu un pari. On est parti avec les moyens du bord. La course-poursuite 35h après les autres ce n’est pas très rigolo, on aura du monde à rattraper… »
Docteur Jean-Yves Chauve, médecin de la course : « Le départ est toujours difficile à cette période. Les concurrents sont cueillis à froid, ils n’ont pas de temps pour s’adapter à la vie en mer. Quand les conditions sont dures, l’organisme renâcle un peu. On ne dort pas, on commence à être fatigué, il y a une perte de morale qui favorise un ralentissement dans les manœuvres et de la casse. Il faut compter deux jours environ pour s’adapter. Si le premier front était arrivé plus tard, cela aurait été mieux, mais maintenant les équipages sont plus en phase avec le bateau. »