Vendée Globe. Pas de répit pour les 28 skippers encore en course

Charlie Dalin a les Kerguelen en ligne de mire et fait sa course seul en tête. Derrière la flotte continue de progresser et s’étale sur plus de 3 700 milles.

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Si 28 skippers sont encore en lice. Trois se retrouvent dans la baie de Cape Town devenue le théâtre de la fin de leurs illusions sportives. Alex Thomson d’abord, puis Sam Davies et Sébastien Simon. Sam Davies (Initiatives-Cœur) aimerait repartir. “Repartir pour me reconstruire, pour le team et pour les enfants à sauver” : réparer, parvenir à reprendre sa route et finir ce tour du monde. “J’ai besoin de repartir pour me reconstruire”.

La veille, Alex Thomson (HUGO BOSS) était arrivé lui aussi à Cape Town après avoir affronté des rafales à plus de 50 nœuds de vent. “J’ai eu un peu de temps pour digérer ça, assure le skipper d’HUGO BOSS. C’était une conclusion brutale et terrible de ma course”. Cet après-midi, Sébastien Simon (ARKEA PAPREC), qui a annoncé son abandon hier, s’est amarré à proximité de ces deux compères d’infortune. “Je suis en contact avec Seb, on va surement pleurer ensemble et boire une bière”, confie Sam Davies.

LE CAP, AFRIQUE DU SUD – 5 DECEMBRE: Skipper Sebastien Simon, Arkea Paprec, est photographié en train de discuter avec Sam Davies, Initiatives Coeur, à son arrivée au ponton avant d’abandonner après avoir subi des avaries majeures lors du tour du monde à la voile du Vendee Globe, au Cap, Afrique du Sud, le 5 décembre 2020. (Photo by Nikki Behrens/4DGS photo/Alea)

L’histoire est aussi triste qu’ironique : là où tout s’arrête pour eux, tout avait commencé il y a 34 ans. En 1986 en effet, des marins rincés par les affres du BOC Challenge s’attablent dans un bar de Cape Town et commandent eux aussi des bières. Guy Bernardin, Bertie Reed et Philippe Jeantot rêvent à voix haute d’une course autour du monde. Le premier Vendée Globe aura lieu trois mois plus tard. À sa manière, Sam Davies a aussi convoqué l’histoire. Elle répète sa volonté de repartir, invoque pêle-mêle Isabelle Autissier – qui avait démâté au BOC Challenge 1992 avant d’être la première femme à boucler un tour du monde en solitaire -, à Nick Moloney (en 2004-2005), et Enda O’Coineen (2016-2017). “J’ai beaucoup de respect pour ceux qui ont fini hors course”, souligne la navigatrice.

Pour Charlie Dalin, “c’est quitte ou double”

Du respect, c’est ce qui transcende le spectateur à terre qui assiste par procuration à la progression de la flotte, après près d’un mois de compétition. Il y a aussi de l’admiration à voir les défricheurs de la tête de course tenir bon et résister aux caprices d’Éole et de Neptune. Et si Charlie Dalin creuse l’écart (plus de 190 milles d’avance sur Thomas Ruyant), imaginer une croisière qui s’amuse est une hérésie. Le leader raconte : “la mer est désordonnée, ça va de 30 à plus de 40 nœuds parfois. À chaque fois que j’ai essayé de mettre plus de toile, ça s’est terminé sur de gros plantés (…). Quand tu pars en surf, tu serres un peu les fesses”.

Se ménager, résister, tenir le coup et se projeter aussi. C’est la mission du moment pour le skipper d’Apivia et son premier poursuivant. Car derrière eux, une dépression se creuse, tutoie les 50 nœuds, et engendre un front dynamique qui les attend dans la nuit de mardi à mercredi. “D’un côté, Charlie peut créer un sacré écart avec le reste de la flotte s’il reste devant le front, décrypte Sébastien Josse, consultant du Vendée Globe. Mais vu l’état de la mer, il peut aussi tout perdre en prenant cette option. C’est quitte ou double”.

« C’est usant, long et mentalement, ce n’est pas facile » (Herrmann)

Dans ce premier groupe qui s’étend sur 670 milles avec Maxime Sorel (V and B – Mayenne, 11e) qui s’accroche avec ténacité, il y a aussi Boris Hermann (8e). Lui aussi confirme la dureté du moment, les variations du vent, les courants forts et la mer agitée. “Le bateau ne va pas très vite mais parfois, ça veut aller trop vite, ça se lance dans des surfs trop violents”, admet le skipper de Seaexplorer – Yacht Club de Monaco. Il faut réapprendre à naviguer. C’est usant, long et mentalement, ce n’est pas facile”.

À bord de MACSF, Isabelle Joschke reste stoïque, face à la caméra, malgré la forte houle qui secoue son bateau. La navigatrice franco-allemande démontre au quotidien ses capacités à se surpasser alors que la fatigue s’accumule et que les conditions n’arrangent rien. “Les dernières 48 heures étaient infernales, la mer difficile et le vent très instable”, lâche-t-elle alors que son bateau part au tas.

Dans ce groupe, Louis Burton (3e) a résolu le problème qui l’a fortement ralenti ces dernières heures. En cause ? Un capteur d’angle de barre affichant un message d’erreur. “Il a dû débrancher entièrement l’électronique pour réparer entre 15h et 1h30 du matin”, a précisé l’équipe de Bureau Vallée 2. Par ailleurs, Jean Le Cam (Yes We Cam!, 6e), qui a résolu des soucis de pilote automatique, a été le plus rapide des dernières 24 heures.

Chacun sa réalité, chacun ses appréhensions

La flotte s’étalant sur plus de 3 700 milles, à chacun sa réalité, ses conditions, ses doutes et ses appréhensions. Derrière le groupe de tête, Romain Attanasio (PURE-Best Western Hotels & Resort) et Clarisse Crémer (Banque Populaire X) ont enfin retrouvé un peu de vent (environ 12 nœuds depuis ce matin) après avoir passé le cap de Bonne-Espérance. « Romain a pris des milles d’avance et j’aimerais bien me rapprocher de lui, a expliqué Clarisse lors du Vendée Live ce midi. Je me sens vraiment bien, j’arrive à prendre la mesure de ce que je suis en train de faire. »

À 300 milles plus à l’Ouest, le quatuor de foilers Alan Roura (La Fabrique), Stéphane Le Diraison (Time for Oceans), Armel Tripon (L’Occitane en Provence) et Arnaud Boissières (La Mie Câline – Artisans Artipôle) se rapprochent du cap de Bonne-Espérance qu’ils devraient dépasser ce dimanche. Mais leurs préoccupations sont ailleurs : une dépression se creuse à Port-Elizabeth et descend plein Sud. Elle pourrait pousser la bande des quatre à proximité de la zone d’exclusion des glaces d’ici deux jours. « Je n’aime pas trop ça et je n’ai pas envie de tenter le diable », souligne Arnaud Boissières.

Quelques instants heureux

Pour le dernier groupe, là aussi, le quotidien diffère. Fabrice Amedeo (22e, Newrest – Art & Fenêtres) assure “se traîner dans l’anticyclone de Sainte-Hélène” et d’être dans “un espace hors du temps marqué par le calme et l’immobilité”. Alexia Barrier (TSE – 4myplanet), elle, bénéficie de conditions plus propices : « j’ai entre 18 et 20 nœuds de vent, la mer est bien rangée, ça glisse bien ! ». C’est plus délicat pour Jérémie Beyou en revanche. “Il est dans un petit couloir et n’a pas réussi à toucher de vent fort”, souligne Christian Dumard, le météorologue du Vendée Globe. Enfin, Kojiro Shiraishi (DMG MORI Global One) s’emploie avec son équipe pour réparer un problème de bout dehors.

En ce samedi où les conditions, quelles qu’elles soient, n’ont rien d’un cadeau, il reste des instants heureux, des petites bulles de bonheur qu’on savoure plus que tout. C’est le regard songeur de Damien Seguin (Groupe APICIL) alors que les vagues se fracassent contre son bateau (“je suis content que le pare-brise résiste !”). C’est le premier albatros aperçu par Manuel Cousin (Groupe SÉTIN) dans la matinée. C’est le thé chaud et réconfortant de Pip Hare (Medallia), “un vrai régal” confie-t-elle. C’est ainsi tout ce que forme le Vendée Globe : une multitude d’émotions aussi extrêmes que les conditions du moment.