Vendée Globe. Damien Séguin boucle son tour du monde avec une voile en lin

Damien Seguin a franchi la ligne d’arrivée de son deuxième Vendée Globe consécutif, en 15e position à 09h 33min ce lundi après 84 jours, 20 heures et 31 minutes de course. À 45 ans, le skipper handisport a réussi son pari de continuer à naviguer au plus haut niveau.

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A bord de Groupe Apicil, Damien Séguin a fait le choix de partir avec une grand voile en lin conçu avec All-Purpose et Trilam. “Elle est en super état, j’en suis très fier. C’est aussi quelque chose que l’on voulait mettre en avant sur ce Vendée Globe. L’innovation fait partie de la performance, mais cela a un coût environnemental. Au sein de la classe, on est décideur. J’ai voulu aller loin avec cette voile, qui est 100% française. Low-tech, mais elle a fait le tour du monde ; c’est un test grandeur nature. On peut aller beaucoup plus loin dans l’éco-responsabilité.

« Long et difficile », voilà les mots utilisés par le skipper de Groupe APICIL pour résumer son deuxième Vendée Globe. Particulièrement ému au franchissement de ligne, le champion handisport reste malgré tout heureux d’avoir bouclé la boucle, et d’accrocher le Top 15. « Ce n’était pas la place dont je rêvais au départ, mais elle est jolie, et je suis allée la chercher avec mes tripes. »

Je crois que je vieillis ! (rires) C’était pas une course comme les autres, j’ai jamais vécu une course autant dans la difficulté physique, psychologique et sportive, c’était une délivrance, j’ai pas honte de dire que ça a été dur. J’ai galéré quand même ! Alors j’ai laissé les émotions parler. Passer la ligne, ça fait quelques jours que j’attends ce moment, plus j’approchais plus ça retardait… Au final, ce chenal était super avec le soleil levant, les premiers bateaux qui arrivent… Ça reste une belle communion de vous voir tous à l’arrivée, il y avait de l’émotion, parce que ce que je fais, ce n’est pas que pour moi. C’est peut-être la première fois de tout ce Vendée Globe que je profitais d’un moment positif, donc ça faisait du bien ! Sportivement oui, j’ai ressenti beaucoup de frustration. J’ai eu pas mal de difficultés sur pas mal de niveaux, un manque de chance et de réussite au niveau météo. Il faudra que je refasse le film, mais je crois que Sam et moi, on est vraiment les deux à avoir mangé notre pain noir, ça use et ça cogite. Ce n’était pas le Vendée Globe dont je rêvais.

J’avais mille raisons d’abandonner, mais j’avais aussi mille raisons de continuer. Quand on est dans la difficulté, il faut aller chercher au plus profond de soi-même. En tous cas, on peut faire deux fois le tour de la planète, la seule chose en commun c’est qu’elle est ronde, tout le reste peut être différent. Par rapport à il y a quatre ans, c’était plus dur et plus long, mais je suis très fier de l’avoir bouclé.

Je ne m’explique pas encore complètement cette phase-là, ça fait partie du sport, on peut pas être à 100 % psychologiquement et physiquement tout le temps. Je pensais avoir mis le curseur au bon endroit. J’ai un bon bateau, il a gagné le dernier Vendée Globe, mais il a les défauts de ses qualités, il est robuste mais n’est pas très bon dans le petit temps. Ce début de course dans la pétole, ça m’a déconcentré, il m’a fallu un peu de temps pour trouver une autre façon de m’exprimer sur cette course-là que par le seul résultat sportif. Le changement de mode n’a pas été simple, il a été porté en extérieur par beaucoup de gens. L’équipe technique m’a mis un bateau extraordinaire entre les mains, j’avais un peu honte parfois de ne pas réussir à concrétiser sur l’eau, mais j’ai continué. Quand on prend le départ d’une course, il faut la terminer.

Avec tous les petits pépins physiques, il va y avoir un bon bilan médical, je pense que je vais mettre un certain temps à récupérer. Ces bateaux sont hyper exigeants, j’ai pu le constater avec tous les capteurs médicaux qu’on avait mis en place. Concrètement les chocs qu’on se prend en permanence, le bruit, l’intensité… Le skipper est vraiment la limite, ça devient invivable à bord. Je pense qu’à un moment il va falloir revoir cette équation. Quand t’es à quatre pattes pour manger, que tu ne peux pas manger chaud pendant quatre jours, la notion de plaisir elle est compliquée. Sur un Vendée Globe, il y a la partie compétition et il y a la partie aventure. Il faut quand même que les deux parviennent à converger. Je suis de ceux qui pensent que les records ne sont pas forcément faits pour être battus, le course c’est aller plus vite que les autres, on n’a pas forcément besoin d’aller toujours à 30 nœuds.

On peut être un fier capitaine crochet, un sportif au palmarès médaillé olympique, et être secoué par l’émotion d’une descente du chenal des Sables d’Olonne. Quatre ans après une édition sans public qu’il avait achevée en 7e position, Damien Seguin aura eu du mal à « rentrer dans sa course » après cette vague de soutien offerte par le public vendéen. Un peu en retrait de la tête de flotte sur son début de parcours, le skipper tombe dans la pétole au large des Canaries, et tente de la traverser par l’Est quand tous les cadors de la classe IMOCA la contournent vers l’Ouest. Le décalage est créé et ne pourra pas se résorber.

Les déboires s’accumulent dès le premier Pot-au-Noir complexe, qui le fait franchir l’équateur en 17e position. Dans l’Atlantique Sud, il bataille avec Pip Hare, Romain Attanasio et Louis Burton, mais l’arrivée dans l’océan Indien le cueille à froid. Il part seul vers le Nord pour préserver son IMOCA, l’ancien Maître CoQ IV, vainqueur de l’édition 2020, remis au goût du jour avec des grands foils lors d’un vaste chantier. Le 13 décembre est une journée à oublier pour le skipper, dont la cadène s’arrache dans la tempête et crée une voie d’eau à bord. En essayant de réparer, Damien Seguin se blesse au cou et au genou, et sera contraint tout le long de sa course de porter régulièrement une minerve.

L’élastique claque
Le Pacifique ne sera pas plus tendre avec Groupe APICIL, même s’il parvient à reprendre plus de 500 milles à Romain Attanasio. Mais que de détours pour cela, alors que les systèmes météorologiques défavorables s’enchaînent et que, juste derrière, Jean Le Cam le reprend en naviguant quasiment droit sur la route. Le cap Horn est franchi après 54 jours de mer, soit trois de moins que sur son Vendée Globe 2020, mais Damien Seguin n’est pas au bout de ses peines.

Le retour de l’Atlantique est aussi une épreuve, alors qu’il est le premier à être arrêté par la barrière anticyclonique et voit revenir, à deux reprises, tous ses concurrents de derrière, qui avaient parfois accusé jusqu’à 2000 milles de retard sur lui. L’élastique claque, et la douleur est vive ! C’est là que l’épreuve mentale prend toute sa puissance, et impose à Damien Seguin d’aller chercher dans ses retranchements pour continuer à se battre, notamment dans un Pot-au-Noir exceptionnellement Sud et épais.

Ultime récompense tout de même de ce tour du monde, cette victoire dans la bataille finale, alors qu’un sprint s’enclenche au Nord des Açores dans un nouveau regroupement de flotte. Lançant à pleine vitesse son foiler, le skipper de Groupe APICIL prend l’avantage sur ses sept concurrents, et parvient à allonger la foulée pour franchir en premier la ligne d’arrivée. Loin des résultats sportifs qu’il avait pu obtenir sur The Transat CIC (8e) ou sur le Retour à La Base (5e) mais avec la satisfaction d’avoir tout de même joué avec les cartes qu’on lui a donné. Avant le départ, il expliquait : « il faut vraiment comprendre que le Vendée Globe, c’est une course à part, et où absolument tout peut se passer. »