Drôle d’ambiance dans le camp des multicoques. L’avarie de safran qu’a subie, hier, Laiterie de Saint Malo (Victorien Erussard) prive Crêpes Whaou ! du concurrent le plus menaçant. A 1000 milles de l’arrivée, Franck-Yves et son équipage n’en continuent pourtant pas moins leur folle cavalcade vers l’arrivée. Face à une nouvelle dépression à négocier, générant encore son lot de vents portants, ils peuvent espérer rallier la cité corsaire dès jeudi. Il sera alors temps d’attendre les premiers monocoques.
FICO ou Class 40 ? Force est de constater qu’après huit jours de course, dont sept au gré des vents capricieux et souvent contraires pour s’extraire du Saint-Laurent, les premiers concurrents de 40 pieds tiennent toujours la cadence. Les meilleurs de la classe progressent ce lundi à quasi-égalité du but avec le chef de file des FICO, An Ocean of Smiles, éprouvé par une nuit difficile dans 25 noeuds sous spi.
Des Class 40 comme des Class America …
Dans le camp des Class 40, la traversée de l’Atlantique se poursuit à un train d’enfer. Ce lundi, Mistral Loisirs (Oliver Krauss) tire profit de son décalage au Sud et se propulse en tête. Au classement de 15 heures, il affiche 20 milles d’avance sur son poursuivant Pogo Structures (Halvard Mabire). A 55 milles plus au Nord, Télécom Italia (Giovanni Soldini), pénalisé par la perte d’un spi, croise le fer avec Novedia Group (Tanguy De Lamotte). Ces quatre bateaux progressent dans un rayon de 25 milles par rapport à l’arrivée. Ils se positionnent surtout en vue des prochaines évolutions météo. Entre réflexions stratégiques et coups tactiques, la traversée se poursuit sur le mode d’une régate acharnée. Façon « match-race », comme en témoigne le croisement qu’on vécu au cœur de la nuit noire et du brouillard le quatuor de Novedia Group et le trio de Pogo Structures. Le récit d’Halvard Mabire donne la mesure de l’intensité de rigueur sur des chemins hauturiers : « On est au taquet. Pour rester à notre place, on est à fond tout le temps. C’est vraiment de la régate au contact. Mais, c’est assez bizarre car on navigue sans se voir à cause du brouillard. Cette nuit, on a eu un croisement avec Novedia. C’était vraiment ambiance America’s Cup à travers l’AIS (émetteur-récepteur VHF pour représenter la route des bateaux, ndlr) ! »
Même son de cloche du côté de Tanguy De Lamotte qui ne boude pas son plaisir d’user de tactique rapprochée en plein océan : « C’est génial, c’est intense, on n’arrête pas de regarder les classements et les positions. On a le couteau entre les dents. On est à fond depuis le début. La sortie du Saint-Laurent a été un peu longue mais super intéressante. L’entrée en matière en Atlantique, avec du vent soutenu depuis 36 heures, est chaude mais c’est bien de rester au contact. Pour ça, on est plutôt assez content… »
85 milles du Nord au Sud
Du côté de la météo, tous annoncent des vents mollissants qui vont sans doute offrir aux équipages la latitude d’engranger un peu de repos en vue de la prochaine dépression annoncée dans une échéance de deux jours. Tous se positionnent en vue de l’arrivée de ce nouveau système. Des écarts se creusent en latitude : 85 milles séparent ainsi les nordistes Télécom Italia et Novedia Group du plus extrême au Sud, Prévoir Vie (Benoît Parnaudeau).
Sur une route plus médiane, Mistral Loisirs et Pogo Structures ont pris aujourd’hui l’avantage aux dépens des Italiens de Giovanni Soldini.
Place à la réflexion et aux grands choix stratégiques à la lecture des fichiers météo. Mais aussi au regard des forces et des faiblesses de chacun… et des routes des autres. Ca se passe comme ça une régate à l’échelle de l’océan !
Ils ont dit
Christophe Dietsch (Prince de Bretagne) : « Rattraper un système météo »
« Cette nuit, on a eu un peu de travail et beaucoup de réflexion pour faire les empannages au bon moment. On a renvoyé la toile progressivement. A chaque fois, on a réveillé un peu tout le monde afin d’être sûr de faire ça sans casse et sans problème. A présent, on a tout dessus avec le grand gennaker et on essaie de barrer au maximum pour profiter à fond de la vitesse du bateau. On est toujours dans le brouillard. On voit à 500 mètres. Ca ressemble aux Bancs de Terre-Neuve. C’est vrai qu’il y a un peu de fatigue accumulée après cette première semaine de course mais le moral est au top. »
Victorien Erussard, Laiteries de Saint-Malo : « Par nos propres moyens »
« On se traîne à 5 noeuds. Nous devons rationner cinq jours de nourriture pour les 20 prévus pour rejoindre la Bretagne. On essaie de réfléchir à la construction d’un petit safran de secours avec les moyens du bord que l’on réalisera demain, lors d’une accalmie. Là, on vient d’empanner. On fait de l’Est. Franck-Yves (Escoffier) nous a conseillé de nous mettre au portant et de nous servir des voiles d’avant puis d’installer des traînards sur l’arrière. C’est une situation un peu délicate mais au moins, on va pouvoir rentrer par nos propres moyens. Ce que l’on espère vraiment, c’est qu’un cargo nous avitaille rapidement. Mais vu le nombre de bateaux qui circulent en Atlantique Nord, on est plutôt confiant. »
Franck-Yves Escoffier (Crêpes Whaou !) : « Des bords au portant »
« Oui, ce safran cassé, cela m’embête. Laiterie de Saint Malo avait parcouru de beaux milles, il disputait une belle course. Il est mené par un équipage de jeunes navigateurs : du sang neuf pour toute la classe. Mon fils est à bord, et je suis très déçu pour lui. Heureusement, tout le monde va bien, il n’y a pas de blessés. Tous sont solides et ils sont plus en sécurité à bord de leur bateau. Ils vont y arriver, même s’ils vont mettre du temps.
Nous avons 25-30 nœuds et progressons sous deux ris Solent, dans une houle de 3 à 4 mètres qui nous pousse, le bateau ne demande qu’à partir. Nous allons gérer, continuer à faire des milles …. »
Pierre-Yves Chatelin (Destination Calais) : Quid du soleil ?
« Reverrons nous un jour le soleil ? Il pleut presque sans arrêt, le vent varie entre 23 et 30 nœuds. On avance, mais il faut toujours être très vigilant pour ne pas se faire surprendre par une rafale ou une vague. En plus, on se fait larguer par presque tout le monde sans bien comprendre pourquoi. On se bat pour rester sous spi même quand ce n’est plus très raisonnable : on règle tout le temps, je ne sais pas ce qu’on peut faire de plus, mais visiblement ça ne suffit pas. La course n’est pas finie, mais il est certain que le portant fort ne nous avantage pas ! Les milles s’ajoutent aux milles. Le bateau va bien malgré une barre souvent très dure et l’équipage reste en forme et combatif. Un rayon de soleil et ce serait le bonheur… On a récupéré un peu d’eau ce matin car on consommait un peu plus que prévu, c’est parfait ! »
Giovanni Soldini (Télécom Italia) : « plus de spi médium »
« Nous ne sommes pas très contents. Il y a 36 heures, nous avons déchiré notre spi médium. Et ce n’est pas drôle, nous avons tout le temps des doutes : spi léger ou spi tempête ? Et, à partir de 20 nœuds, nous ne pouvons plus pousser le bateau au bout de son potentiel. Cette nuit, le vent a adonné, toute la flotte est partie tribord amures. Nous allons voir comment vont se passer les prochaines heures : le vent va mollir et on va négocier une nouvelle dépression. »
Gilles Dutoit (Techneau) : « Des moments extraordinaires »
« Ca va très bien à bord. Il commence à pleuvoir très fort. Nous avons eu jusqu’à 25 nœuds la nuit dernière et dans le brouillard nous avons vécu des moments de mer extraordinaires. On se fait vraiment plaisir. Le vent va tomber un peu. On va essayer de se reposer pour continuer à avancer quand il va forcir à nouveau. »
Olivier Grassi (Khat 7) : « Une régate de folie »
« Nous sommes repartis après avoir cassé une drisse de spi. Cela nous a donné un peu de travail, mais tout est revenu dans l’ordre. Au portant, on tient des bonnes moyennes, et on s’amuse ! Nous sommes cinq à bord et cela nous permet de bien nous reposer, notamment pour les quarts de nuit dans le brouillard et sans lune. Nous espérons continuer à ce rythme-là. La météo est en effet assez compliquée avec plusieurs routes possibles : certaines plus risquées que d’autres. Nous allons essayer de ne pas trop nous éloigner de nos camarades, même si nous faisons notre course. Nous disputons une régate de folie, je n’ai jamais vu ça : c’est comme si on était entre trois bouées ! Le niveau est assez homogène. Les pros comme les amateurs sont au taquet tout le temps. Rien est joué et il reste certainement des coups à faire d’ici la fin… »
Jacques Fournier (L’Esprit Large-Talmont Saint Hilaire) : « Le grand spi par 3 500 mètres de fond »
« Put… de M… c’est l’expression de Jean-Edouard (Criquioche) qui s’est élevée dans
le cockpit. Le grand spi à littéralement explosé, il est par 3 500 mètres de fond comme notre moral. Découpé suivant les pointillés. Nous avions des craintes quant à sa solidité, et bien elles sont confirmées. Le spi lourd de remplacement n’est finalement pas adapté aux petits airs qui seront majoritaires à présent. Donc le mode course est off à présent dans nos têtes… »