La décision a été prise vers 16h15 et l’avenant annoncé à tous les coureurs à 17h ce dimanche. En raison de la persistance du manque de vent mais surtout de la météo prévue entre le cap Finisterre et Vigo, cette première étape est écourtée. Une ligne d’arrivée va ainsi être installée aux abords du cap Ortegal, devant le port galicien de Carino. Soit une réduction d’environ 130 milles nautiques. Les premiers bateaux devraient couper cette ligne d’arrivée lundi soir. Et il y aura vraisemblablement de gros écarts, déjà, probablement une quinzaine d’heures entre le vainqueur et le dernier.
Rarissime, ce genre de décision n’est facile à prendre pour personne et pose comme on imagine d’importants problèmes d’organisation, de logistique, de communication. Mais en mer, c’est toujours la météo qui décide. Et Richard Silvani, de Météo France est formel : « jusqu’à demain soir, sous l’influence d’un petit minimum dépressionnaire, il devrait y avoir de l’air jusqu’au cap Ortegal, dans l’ordre sud-est, puis ouest-sud-ouest et enfin ouest pour une quinzaine de nœuds jusqu’à cette nouvelle ligne d’arrivée. Le problème, c’est la descente le long des côtes de Galice qui aurait été très problématique, quasiment sans aucun vent, à des vitesses nulles et très aléatoires». A tel point que les premiers concurrents ne seraient pas arrivés à Vigo avant… mercredi et les derniers jeudi, à savoir la date prévue pour le départ de la deuxième étape ! Impossible, à tenir, évidemment.
Nicolas Troussel en tête
Une fois franchie la ligne, les bateaux rallieront au moteur le port de Vigo, d’où partira la deuxième manche à destination de Cherbourg-Octeville. Et nos marins dans tout cela ? Alors que certains commençaient à se rationner en eau, les choses ont évolué dans la flotte. Au ralenti, certes, et dans la pétole, mais elles ont évolué. Au pointage de 16h ce dimanche, Nicolas Troussel (Financo) s’est constitué un matelas intéressant d’une dizaine de milles sur l’étonnant Christian Bos (Région Midi Pyrénées) et de 15 milles sur Frédéric Duthil (Distinxion Automobile). Les sept qui complètent la liste du Top Ten sont entre 20 et 26 milles de Financo. On trouve là et dans l’ordre Christopher Pratt (DCNS 97), Erwan Tabarly (Athema), le Cap Verdien Antonio Pedro Da Cruz (Baiko) qu’on n’avait jamais connu à pareille fête, et encore Jeanne Grégoire (Banque Populaire), Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs) Gildas Morvan (Cercle Vert) et enfin Thomas Rouxel (Défi Mousquetaires), 10e à 26 milles. Voici ceux qui, pour le moment en tous cas, se sont les mieux sortis du « concours de lenteur », décrit ce matin par le leader Nicolas Troussel. Lequel – mais c’était avant de connaître cette décision de réduction de parcours – ne s’emballait pas outre mesure : « j’ai dû tirer les bons bords la nuit dernière et c’est top, mais c’est loin d’être fini ». Au final, dans cet océan d’incertitudes, c’est la pétillante bizuth franco-allemande Isabelle Joschke (par ailleurs très bien placée à la 13e place sur son Synergie) qui trouvait les mots justes, de sa petite voix douce : « je me suis déjà retrouvée dans des situations sans vent comme ça, mais jamais aussi longtemps. Il faut faire abstraction de la notion du temps, car le temps s’est arrêté… » Le chrono, lui, se déclenchera donc demain soir aux abords du cap Ortegal. Il sera doux pour certains et cruel pour d’autres, les derniers ayant plus de 50 milles de déficit.
Vers 16h, le champion de France en titre Nicolas Troussel avait timidement mais enfin démarré, à 6 nœuds, sous spi dans du sud-est qui tournera donc par le sud-ouest d’abord et jusqu’à l’ouest en fin de parcours. Le vainqueur 2006 peut désormais nourrir de légitimes ambitions et faire logiquement figure de favori pour cette première manche de fous à la recherche du vent perdu. Mais on sait trop ce que cette course recèle dans sa mallette à surprises pour en jurer mordicus dès ce soir. Pour les leaders, il reste en théorie une trentaine d’heures de navigation. Pour les autres, un peu plus… Il y aura forcément des insatisfaits, les marins en sont d’éternels. « L’année dernière on pestait parce qu’on avait 45 nœuds de vent, cette année c’est l’inverse » résume un Frédéric Duthil sur qui on peut compter pour attaquer encore et encore. Jusqu’au bout. Et on pourra faire tous les calculs imaginables, la Solitaire ne sera pas jouée à l’issue de cette première étape. Dès la deuxième, ce semi-marathon vers Cherbourg avec ses coefficients de marée de 100 et ses courants formidables du Raz Blanchard, tout pourra être remis en cause. Les rois d’Espagne ne seront pas forcément prophètes chez les vikings de Normandie. Et inversement.
B.M.
Jacques Caraës revient sur les raisons de la décision de réduire le parcours.
« Les raisons sont simples. Avec l’absence de vent, la situation météo est telle que si nous faisions l’ensemble du parcours, les derniers concurrents n’arriveraient pas avant jeudi, jour du départ de la deuxième étape. Avec le Comité et l’ensemble de l’équipe Direction de Course, il nous a semblé bon de réduire ce parcours, et ce à un moment opportun. La ligne d’arrivée sera mouillée dans l’est du Cap d’Ortegal, sans que cette décision n’offre d’avantages aux uns ou aux autres par rapport à une route nord ou sud. A priori, les premiers devraient arriver lundi soir, ils rejoindront ensuite Vigo au moteur. Cette décision a été communiquée aux skippers. Les trois bateaux officiels ainsi que celui de la Marine Nationale s’assurent que tout le monde a bien reçu le message ».
Le texte officiel de la réduction de parcours
Avenant N°4 aux instructions de course – Etape N°1
Agissant en application de l’article 12.2 des Instructions de Course, le Comité de Course et la Direction de Course ont décidé de l’avenant suivant :
Modification du parcours de la 1ère étape :
– les marques n° 1, 2, 3, 4 sont supprimées.
– après la bouée « Radio France », faire route sur la ligne d’arrivée dont la nouvelle définition est décrite ci-dessous.
Ligne d’arrivée :
Zone : Port de Carino (dans l’Est du Cap Ortegal, baie de Santa Marta).
Ligne d’arrivée entre le bateau comité, mouillé par 43°45,01 N et 007°51,04 W, à laisser à tribord, et la Bouée « France Info » (bouée jaune gonflable) mouillée dans le 135°du bateau comité à laisser à bâbord.
Grand Prix GMF Assistance :
Le classement issu du pointage fait par la Direction de Course à 04h30 le lundi 28 juillet 2008 sera utilisé pour le classement du Grand Prix GMF Assistance.
Directives :
Après avoir franchi la ligne d’arrivée, la procédure reste inchangée (déplombage des arbres d’hélices par l’organisation).
Ensuite, les skippers devront faire route en solitaire pour rejoindre directement et au plus tôt le Port de Vigo.
Considérant l’article 21.4.3.b), aucune personne extérieure à l’organisation ne sera autorisée à monter à bord.
Le 27 juillet 2008 à 17h00.
La Présidente du Comité de Course,
Dominique Bérenger.
Ils ont dit (vacations de ce midi, avant la réduction de parcours)
Nicolas Troussel (Financo), leader : « Il y a un tout petit peu d’air, 5 nœuds, c’est pas encore violent, pas encore les grandes vitesses. Est ce que j’avance ? Je suis un peu surpris. Hier soir, j’étais déjà bien placé et dans la nuit, j’ai du tirer les bons bords…C’est dur de trouver du temps pour dormir car le vent bouge beaucoup, il faut être la barre ou sur les réglages. Hier, on a eu beaucoup de changements de voiles à faire et cette nuit encore, des virements de bords. C’était un bon entraînement de manœuvres ! C’est un concours de lenteur. »
Christian Bos, (Région Midi Pyrénées), 2e : « ça fait plaisir en tout cas de prendre la 2e place, j’avais un peu peur la nuit dernière. J’avais l’impression d’être tombé dans un trou. J’ai jamais autant changé de spi et de génois. Nicolas Troussel devant, s’est échappé, ça part par l’avant. Là, on a du 120, 150 (sud-est, ndr) les mieux servis seront les premiers devant. Après ce sera à la queue leu leu si le vent se lève sud-ouest comme prévu. A la météo, ils nous donnent jusqu’à 18 nœuds. Ce sera bien pour se reposer enfin. »
Fred Duthil (Distinxion Automobile), 3e « L’année dernière, on pestait car il y avait 45 nœuds. Cette année c’est l’inverse… et je crois bien que je préfère me prendre des seaux d’eau dans la gueule. Côté nourriture, je n’ai plus que 4 plats préparés mais je ne vais pas mourir de faim. En revanche, il ne faudrait pas que ça dure 2 jours. En liquide, je fais attention à ce que je bois, car je n’ai pas une tripotée de bouteilles d’eau. C’est rare que le vent s’établisse plus de 5 minutes. Ado de 30, refus de 30… il faut être constamment à la barre et à l’écoute. C’est la première fois que je subis une étape aussi éprouvante nerveusement. Hier soir, j’étais dans le tableau arrière de Financo et je n’ai pas fait ce qu’il fallait cette nuit. Je suis un peu énervé car ce gars-là, faut pas trop le laisser partir… »
Thomas Rouxel (Défi Mousquetaires), 10e : « On a eu 48 h éprouvantes, finalement plus moralement que physiquement. C’est dur car j’ai perdu beaucoup de places au début. J’essaye de revenir dans le match, mais je n’ai pas réussi à accrocher le paquet de tête qui nous a collé un caramel dans une risée. C’est dur le petit temps mais en même temps, c’est chacun son tour… donc il faut faire avec. »
Isabelle Joschke (Synergie), 13e et 2e bizuth : « Pour passer le temps, j’écoute un peu de musique et j’apprécie la radio VHF de Jean-Yves Chauve. C’est sympa, ça permet aux coureurs de discuter entre eux. J’écoute, même si je ne suis pas bavarde. Je ne suis plus 1ère bizuth mais les classements intermédiaires ne veulent pas dire grand chose. Faut pas s’emballer. De la même manière qu’il ne faut pas s’affoler si on passe la première bouée en dernier. «
Eric Drouglazet (Luisina), 23e : « Ce n’est pas le petit temps qui me dérange, c’est la pétole, quand c’est la loterie ! Pour le moment, je fais marcher le bateau. Autour de moi j’ai Pietro D’Ali à dix mètres à mon vent, Docteur Valnet, Sopra, et quelques autres… »
Robert Nagy (Theolia), 38e : « Quand tu es devant ça peut être rigolo, quand tu es derrière c’est dur ! C’est une question de chance.. Hier soir, j’étais 40 mètres derrière Jeanne (Grégoire), avec Nicolas Bérenger. Et moi je suis resté posé là, sans pouvoir rien faire ! Je m’attendais à ce qu’il y ait un peu de loterie, mais en même temps, les bons sont devant. Alors il ne faut pas tout attribuer à la loterie. Les riches vont s’enrichir avec la petite dépression. »