Multiples collisions…
Lever de rideau sur l’Atlantique. Les bancs de Terre Neuve et le Cap Race sont désormais laissés dans les tableaux arrières, la course prend une nouvelle tournure sur fond de grands espaces hauturiers. Après une semaine de retournements de situation sur le mode de la régate au contact, cette journée de dimanche reste marquée par l’avarie de Laiterie de Saint-Malo. Coup dur pour Victorien Erussard et son jeune équipage, qui ne ménageaient pourtant pas leur peine pour gagner des milles et reprendre du terrain sur l’échappé du golfe du Saint-Laurent.
Sous l’influence d’une dépression bien calée au Nord et qui génère des vents portants dans son Sud, Crêpes Whaou ! mène toujours la danse à belle cadence. Franck-Yves Escoffier et son équipage ont avalé 320 milles sur les dernières 24 heures. Dans leur sillage, Laiterie de Saint Malo avait également passé la surmultipliée. Les équipiers du bord, surmotivés, misaient sur la fougue de leur jeunesse pour tirer le meilleur de leur trimaran de 20 ans d’âge, très à l’aise en haute mer. Preuve était encore faite que la valeur n’attend pas le nombre d’années.
Mais c’était sans compter avec les malheureuses surprises que réserve parfois l’océan. On connaît désormais la suite : Victorien Erussard et ses complices sont contraints de rentrer par leurs propres moyens avec un appendice de fortune. L’Atlantique reste semé de pièges et d’embûches et la liste des collisions avec des cétacés ne cessent de s’allonger. Difficile en effet d’oublier que le catamaran Délirium a lui aussi subi une telle mésaventure qui s’est soldée par un safran bâbord hors d’usage. 600 milles derrière Crêpes Whaou !, Hervé de Carlan et son équipage ferment aujourd’hui la course des multicoques de 50 pieds au large de Cap Race. Ils sont rejoints par le monocoque IMOCA Cervin EnR. Yannick Bestaven et ses hommes sont en effet de retour dans la course après une escale technique de 24 heures dans le Sud de Terre-Neuve pour réparer le palier de safran bâbord endommagé par une rencontre avec une autre baleine…
Class 40 : « Forty…ssimo » !
Chez les 40 pieds qui ont fait leur entrée sur la grande scène océanique, la transat se poursuit sur un tout autre registre. Après une régate côtière aux nombreux rebondissements, place à une course de vitesse dans les plus belles règles de l’art. A fond sous spi ! A bord des 40 pieds, les navigateurs ne font pas mystère de leur satisfaction d’avoir attrapé une brise favorable dans leurs voiles. Après le passage de Saint-Pierre et Miquelon dans un épais voile de brouillard et des vents souvent évanescents, les équipages goûtent aux plaisirs de la glisse. Aux quatre coins de la flotte, les speedomètres affichent deux chiffres et prennent des couleurs dans des conditions qui favorisent les accélérations. Le moral des bords, lui, grimpe aussi en flèche comme en témoigne volontiers Pierre-Yves Bazin à bord de Rêv’86 : « Alors c’est ça le portant en class 40…. ça m’a l’air bien rigolo ! Pour nous c’était notre premier envoi de spi dans petite brise à bord de ce joli bateau, et c’est bien sympa ! Nous filons entre 12 et 16 nœuds : ça nous change et nous donne des conditions de glisse fort agréables. »
Les bancs de Terre-Neuve dépassés, les élèves de sa classe se sont aussitôt éparpillés. Les écarts se creusent désormais et les 17 voiliers se dispersent en latitude. Rompez les rangs sur l’océan ! Aux manettes en tête, les Italiens de Giovanni Soldini (Télécom Italia) impriment toujours le rythme. Mais ils sont suivis comme leur ombre par le Pogo Structures d’Halvard Mabire, décalé au Nord et qui affiche moins de 2 milles de retard. Revenu en force, ce dernier a avalé 260 milles en 24 heures. Une jolie progression qui donne la mesure du potentiel de ces voiliers aux allures portantes…
Ils ont dit
Victorien Erussard (Laiterie de Saint Malo) :
« Nous étions à 22-23 nœuds. J’étais à l’intérieur avec Loïc Escoffier : on avait repris du terrain et des milles sur Crêpes Whaou ! et on discutait de notre stratégie pour les prochaines heures. Loïc Fequet était à la barre. Nous avons senti un choc violent et nous avons été propulsés d’un bon mètre. Personne n’est blessé, mais en nous retournant dans notre sillage nous avons vu une baleine… et le safran ! Et nous n’avons plus vu grand chose parce qu’on a eu du mal à freiner le bateau. Le moral n’est vraiment pas bon. Nous avons installé un safran de secours, mais il a l’air plus adapté pour traverser une baie que l’Atlantique. Je n’ai pas une grande confiance. Nous avons affalé la grand voile et progressons sous ORC que nous réglons pour garder un peu de maniabilité. Nous sommes à 350 milles de Cap Race (Sud Est de Terre-Neuve, ndlr). Il nous faut rentrer par nos propres moyen et nous n’avons plus que 40 litres de diesel et plus que 5 jours de bouffe… »
Hervé de Carlan (Délirium) :
« Le safran bâbord est définitivement hors service depuis sa rencontre avec un OFNI la nuit précédente. Il était en sursis ; et dès les premières sollicitations au portant, le tiers restant a été sectionné au niveau de la flottaison. Donc, plus de safran bâbord et un cata volage à plus de 12/15 nds ! Nous sommes obligés réduire la toile plus tôt, de rester très vigilants à la barre et d’anticiper toutes embardées. Tout au moins d’essayer ! Dommage pour cette fortune de mer qui nous met un peu hors-jeu… »
Halvard Mabire (Pogo Structures) :
« Et bien ça y est, nous sommes en océan ouvert, au portant… Et toujours dans le brouillard. Après cette fantastique régate "à vue" – c’est bien la première fois que je fais une semaine de régate au contact sans voir les concurrents ! – et en navigation côtière, les fous sont lâchés en plein Atlantique. Première constatation, dès que l’on ne les tient plus ces Class 40, ça s’éparpille ! A croire que l’idée est de ratisser large et d’occuper un maximum de longitude. En regardant les traces après Cap Race, on s’aperçoit qu’il y a de la dispersion, comme si la flotte sortait d’un mauvais tromblon dont le coup serait parti de St Pierre. A bord tout se passe bien : nous sommes contents de trouver un peu de glisse, même si le manque de visibilité donne parfois une atmosphère surréaliste. »
Pierre-Yves Chatelin (Destination Calais) :
« Depuis notre passage à St Pierre nous fonçons dans la brume, avec 20 à 25 nœuds dans notre dos, sur une mer à peine formée. Un rayon de soleil et ce serait le paradis ! De temps en temps la visi s’améliore, il se met alors à pleuvoir… Tout va bien sur Destination Calais qui plane à haute vitesse vers l’Est. Cette nuit nous avons perdu du temps à cause de notre sous-barbe de bout-dehors dont une épissure a glissé. Nous avons dû refaire une sous-barbe complète et arrêter le bateau pour la mettre en place : pas évident, mais ça semble tenir… »