Seulement 19 jours après avoir effectué les premiers essais sous voiles, le 90’ flambant neuf (et construit en 88 jours !) Nicorette s’alignait au départ de l’édition 2004 du « Fastnet des antipodes »… avec l’ambition clairement annoncée de s’emparer des honneurs de la ligne. A bord de cette machine de guerre au rodage à peine entamé, Ludde Ingvall était entouré de Richard Bouzaid (Alinghi), Ed Smyth et Rodney Daniel (Oracle), ce trio de choc composant la cellule arrière. Après 2 jours, 16 heures et 44 secondes d’une course particulièrement éprouvante, Ingvall s’emparait malgré des conditions très difficiles de sa seconde victoire dans cette épreuve, et déclarait à son arrivée à Hobart : « Ce sont les moments les plus durs que l’on peut passer en mer, et j’ai l’impression d’avoir fait trois semaines de course ». Une course marquée certes par le naufrage de Skandia et l’abandon de Konica – Minolta, mais qui n’aura pas été sans heurts pour les vainqueurs non plus…
Ludde Ingvall : « Je savais que la zone de départ serait trop étroite et encombrée, aussi mon plan était de partir sous les autres Maxi, et d’utiliser le gros potentiel de Nicorette au près pour regagner du terrain une fois que le plan d’eau serait plus dégagé. Ce potentiel est à mettre au crédit de notre canard avant, équipé d’un trimmer, que je peux actionner grâce à un bouton (…) Le départ est donné, nous partons derrière Konica, à plus de 11 nœuds, j’appuie sur le bouton en question et voilà que le bateau part du mauvais côté ! Un frisson parcourt mon échine – j’ai actionné le mauvais bouton, le trimmer pousse l’étrave vers les bateaux spectateurs !!! Je corrige mon erreur, mais le volet est coincé dans la mauvaise position, car le moteur, en surcharge (trop de fonctions hydrauliques sont activées en même temps) s’est arrêté. Ty Oxley se rue à l’intérieur pour tout réenclencher (…) »
Environ deux heures après le départ, alors que Nicorette se trouve coincé entre Konica et Skandia (devant), une avarie de gennaker oblige l’équipage à envoyer le grand spi.
« Avec ses 600 mètres carrés, cette voile était cruciale pour nous lors de la première nuit, car elle est 150 m2 plus grande que le reacher, plus légère aussi. Il s’agissait de notre seul spi réellement capable de nous faire descendre, aussi n’avions nous aucune marge d’erreur (ndlr : pour être jaugé en IRC, Nicorette a dû sérieusement réduire sa garde-robe). Ce qui s’est passé ensuite nous a vraiment mis à l’épreuve : sur une simple erreur de communication, notre précieux spi s’est trouvé enroulé autour de l’étai et finalement est parti en lambeaux. J’étais effondré (…) Il a fallu une heure avant que nous puissions établir une autre voile de portant, moins adaptée, une heure pendant laquelle nos rivaux creusaient l’écart. Nous pensions que la course était probablement perdue, et que toutes les critiques que l’on aurait pu nous adresser alors se seraient trouvées parfaitement justifiées ».
Alors que la météo s’est considérablement dégradée, Ludde Ingvall décide d’adopter une stratégie conservatrice – on navigue à la côte le long de la Tasmanie, et la vitesse doit être considérablement réduite. Une option payante, pas toujours facile à appliquer cependant…
« Par moments, je limitais la vitesse du bateau à 8 nœuds et dans les pires endroits, nous tâchions de ne pas dépasser 6 nœuds. Ce qui est bien plus difficile à faire qu’à dire, car pour un bateau comme Nicorette, il est hors de question de se traîner à 6 nœuds dans 30 nœuds de vent. J’ai suggéré de mettre des traînards à l’eau, ou encore de sortir le système de propulsion rétractable, mais cela n’aurait pas eu beaucoup d’effet. Le meilleur moyen de ralentir était de mettre la quille dans l’axe, et parfois même nous l’avions sous le vent lorsque les conditions étaient vraiment rudes (…) De vives discussions se sont engagées avec les barreurs, qui parfois pensaient qu’il fallait pousser un peu plus (…) Je suis reconnaissant à l’équipage d’avoir suivi mes ordres, car je sais que ce n’est pas toujours facile. On m’avait demandé cela alors que j’étais un jeune barreur, dans la Whitbread 85 – 86, et que nous étions pris dans une tempête au large de l’Afrique ». La stratégie de Ludde Ingvall s’avère clairvoyante, et bientôt Konica Minolta, le leader, est en vue : le Maxi a tardé à s’abriter, et constitue maintenant une cible de choix pour Nicorette… alors que l’annonce du retrait de Skandia tombe. 10 minutes plus tard, Konica abandonne à son tour : il reste alors 100 milles à courir dans des endroits mal pavés, il faut continuer à jouer la prudence, mais la victoire est désormais à portée d’étrave.
JB