Les multicoques sont le fleuron de la voile tricolore et les observateurs s’accordent à reconnaître combien ces machines technologiquement évoluées sont fabuleuses. Mais paradoxalement cette classe qui attire les regards et fait rêver le public lors des transats est une espèce en voie de disparition.
Sous perfusion
Depuis la dévastratrice Route du Rhum 2002, la classe vit sous perfusion . Et malgré une édition 2006 du Rhum magnifique au plan de la performance avec 11 bateaux sur 12 à l’arrivée à Pointe à Pitre et huit en dessous du temps de référence de Laurent Bourgnon, l’année 2007 va être traversée en mode survie. Grâce à quelques armateurs (Groupama , Banque Populaire , Gitana ) fidèles et motivés , il reste encore quatre mousquetaires à en découdre sur un programme rebâti dans l’urgence. Ils seront cinq avec le renfort d’ Yvan Bourgnon ( Brossard), voire six au départ de la transat Jacques Vabre.
Inutile de se voiler la face , les multis sont au creux de la vague. Et face à ces signes du déclin, il fallait réagir. Sous l’impulsion du président de l’ORMA Patrick Chapuis , de Franck David nommé au poste de directeur opérationnel , les acteurs de cet univers magique mais menacé se sont concertés et ont réfléchi à un plan de relance.
Un vrai consensus
D’un hiver où les réunions ont été animées au sein de cette famille passionnée, a émergé une option majeure : le choix de la monotypie à l’horizon 2009. C’est un vrai changement de cap , une rupture avec la politique menée dans la dernière décennie " On a décidé de stopper les multis 60 pieds qui seront au bout d’un cycle pour faire émerger les One Design de 70 pieds. Mais cette option de la monotypie s’inscrit dans la philosophie des multis à savoir la modernité , la performance .
Enfin on s’est accordé sur l’idée de privilégier le retour au grand large et l’aventure océanique" explique Franck David. Dans le cahier des charges accepté par les coureurs qui occupent le devant de la scène, il y avait quatre points fondamentaux la sécurité , la performance , la fiabilité et la maitrise des coûts. Il y avait en effet urgence à stopper la spirale de l’inflation des budgets qui a conduit certains armateurs à quitter les rangs ces dernières années.
Au plan sportif , le concept de la confrontation à armes égales est séduisant " Avec ces bateaux de 70 pieds qui seront des machines high-tech on veut relancer la dynamique sportive " explique Franck David. L’autre objectif déclaré est d’attirer les étrangers " Certains sont intéressés mais n’avaient pas forcément la culture du multi .On leur apporte une solution clef en main " précise t’on à l’ORMA. Cette internationalisation est un serpent de mer depuis des années mais la volonté d’y parvenir est affirmée. Un travail en ce sens est déjà engagé. La réussite de ce projet global et le salut de cette classe passent par cette ouverture à l’Europe des marins.
Le bateau : capitaliser l’expérience
Depuis une dizaine d’années , l’évolution technologique sur les multis de 60 pieds a été spectaculaire et s’est traduite par un bond énorme de ces machines en terme de performance. La philosophie est de capitaliser cette expérience : " Ce monotype de 70 pieds conservera ce que les 15 ans d’expérience et de développement entre les concepteurs , les constructeurs et les teams techniques ont produit de mieux " explique l’architecte Vincent Lauriot Prévost en charge de la conception du futur monotype.
Conçu pour le large
Le large étant la priorité du programme, ce bateau doit être marin d’où cette coque centrale plus longue ( 21, 40m contre 18, 28m ) pour éviter l’enfournement , une hauteur des bras rehaussée pour une meilleure garde à la mer. La puissance sera un peu limitée par rapport aux 60 pieds. Le mât culminera à 28, 50m et la surface de voilure adaptée au programme océanique sera inférieure de 5 à 6% à celle d’un 60 pieds actuel. Ce bateau s’inscrit dans la modernité: il sera notamment équipé de foils courbes , le mât sera basculant en latéral.
La maitrise des coûts est forcément un point important du cahier des charges. L’objectif est de livrer à chaque écurie un bateau et sa garde robe à 2 millions d’euros. Un gain rendu possible par une simplicité de construction et d’assemblage et par l’option de la monotypie. "C’est un vrai challenge industriel. On diminue d’environ 40% le coût à l’unité par rapport à un 60 pieds actuel " précise Franck David. L’objectif est d’aligner cinq trimarans monotypes de 70 pieds sur la transat Jacque Vabre en 2009 et huit sur la Route du Rhum 2010.
Fiche technique .
Longueur hors tout 21, 40m
Largeur horst tout 16, 91m
tirant d’eau 4, 50m
Mât : 28, 50m
Voilure au près : 267 m2
Au portant : 397m2.
Gilbert Dréan
Ce qu’en pensent les skippers :
Pascal Bidégorry ( skipper trimaran Banque Populaire ) : " C’est un projet réaliste dans le contexte actuel : recherche d’optimisation de l’intérêt sportif et des retombées médiatiques en rapport aux investissements consacrés. Actuellement au sein de l’Orma celui qui a le nouveau bateau gagne ! Il y a donc une légitimité inconstestable d’aller sur un projet de type multi One Design avec l’idée de consacrer plus de temps à naviguer et étoffer notre programme course, plutôt que d’occuper 50% du temps à des chantiers techniques de maintenance ou de développement des bateaux."
Ellen MacArthur ( Offshore Challenges ) : " J’ai vraiment apprécié ma période de navigation dans la flotte des 60 pieds ORMA. J’attend avec impatience de découvrir ce nouveau bateau , cette nouvelle classe et de nouveaux challenges sur ces grandes machines de course. L’écurie Offshore Challenge sera certainement intéressée à relancer une campagne ensemble, avec vous "
Yvan Bourgnon ( skipper du trimaran Brossard ) : " Ce projet One Design va inévitablement booster la classe orma parce que les étrangers vont être rassurés par l’idée d’avoir des bateaux fiables , simples et spectaculaires. On garantit le même spectacle avec des budgets restreints et un vrai programme océanique pluriannuel : de quoi ravir les futurs sponsors dont certains ne voudront pas attendre le Vendée Globe 2012 pour communiquer , la Route du Rhum 2010 restera donc incontournable avec les multicoques."
Franck Cammas ( skipper de Groupama ) : " Les multis 60 pieds ont atteint depuis les quatre dernières années leur maturité technologique incluant ainsi sur un même bateau ce qui se fait le mieux sur un voilier de compétition. Ces multicoques sont devenus les voiliers les plus performants, ceux qui procurent de loin les plus belles sensations . Mais ils sont aussi devenus des bateaux très complexes à mener et à gérer… Tout cela freine l’arrivée de nouveaux skippers et sponsors qui appréhendent difficilement de tels projets . La monotypie apporte des réponses claires et sécurise de façon évidente des équipes qui sont intéressées mais aussi très frileuses face aux multiples problèmes à résoudre…"
Alain Gautier ( skipper et manager Foncia ) : "J’avais défendu cette idée à la fois pour des raisons économiques et sportives. Les bateaux coûtaient de plus en plus chers, les grands prix étaient lourds au niveau financier. A un moment donné, il faut regarder la réalité en face. La monotypie est une solution pour continuer à faire vivre cette série. Sera ce la panacée , l’avenir le dira ? elle a beaucoup d’avantages à commencer par la confrontation à armes égales. A condition que certains ne contournent pas la règle comme cela se passe dans d’autres séries comme le Figaro. Il faudra être très vigilant sur l’équité sportive… "
Gilbert Dréan