Les protos allongent la foulée

Isabelle Joschke
DR

Rien. Ou presque. Et quand c’est presque, ça vient de nulle part. Et ça s’arrête. De nouveau. Et ça repart. Un air de « ça s’en va et ça revient », une mélodie lancinante qui use les nerfs plus que les corps. Sans cesse sur le métier, remettre son ouvrage. Et la bulle anticyclonique est loin d’exploser, au contraire ! Les hautes pressions vont s’étendre vers la France et logiquement, toute la flotte va s’arrêter. Toute ? Pas tout à fait, puisque la brise revient par l’arrière avec une perturbation atlantique. Ceux que l’on a surnommés les « Islandais » (les cinq solitaires qui ont choisi à la sortie de l’archipel des Açores, de faire cap au Nord) sont en train de réaliser le coup du siècle… Ils ont déjà touché une brise de vingt nœuds de secteur Sud Ouest et certains déboulent à plus de huit nœuds vers le Nord Est, au portant sous spinnaker !
 
Pas du tout le même programme au centre de la flotte puisque le vent est nul ou presque, et hésite entre du Sud Ouest et du Nord Est. Normal, c’est le centre 1030 Hpa de l’anticyclone des Açores, qui est calé sur le 42° Nord et le 20° Ouest, exactement là où se trouve le gros du peloton des voiliers de série et nombre de prototypes. Car devant, les leaders bénéficient encore d’un vent de secteur Nord qui leur permet de progresser à plus de sept nœuds sous grand voile haute et gennaker. Mais pour combien de temps ? Tout va dépendre de l’extension des hautes pressions anticycloniques qui devraient les rattraper normalement aux douze coups de minuit…
 
La parabole atlantique
Et ce qu’est en train de faire l’Espagnol Gerard Marin (Escar l’escala-CN Llanca) est tout simplement énorme ! Après avoir joué les lanternes rouges, il se transforme en éclaireur… Pendant quatre jours, le solitaire qui avait terminé quatrième de la première étape, a mangé son pain noir, persévérant inexorablement dans sa stratégie initiale : prendre du Nord, quitte à traverser les calmes pour attraper la bordure polaire de l’anticyclone des Açores, et donc un flux de secteur Sud Ouest. Quatre jours à se morfondre, à douter, à constater que les autres Minis s’échappaient par l’Est, à entendre à la vacation radio du midi qu’il avait près de 200 milles de retard sur le leader des voiliers de série, Thomas Bonnier (architecture élémentaire)…
Et puis voilà, alors que samedi le soleil tombait lourdement derrière l’horizon, un souffle est apparu, puis une bouffée, ensuite un zéphyr, enfin un bon flux venu de l’arrière : du Sud Ouest montant à vingt nœuds et permettant d’envoyer le spinnaker, sur une mer encore plate qui commence à moutonner. Six nœuds, puis huit nœuds, et ensuite neuf nœuds de vitesse constante, tranquille ! 52ème au classement ce dimanche matin, l’Espagnol va égrainer les places par paquet de dix… Car les premiers voiliers de série sont au même moment collés, bloqués, coincés, arrêtés : un nœud voire moins de vitesse vers le but ! Et pour s’en sortir, cela va être très long, des heures peut-être une journée et une nuit entière.
 
Surtout que Gerard Marin ne devrait plus ralentir, au moins jusqu’au golfe de Gascogne. Poussé par son flux de Sud Ouest, il va se faire ensuite rattraper par un front froid qui générera une bonne brise d’Ouest de plus de vingt nœuds, qui pourrait même l’emmener jusqu’aux Sables d’Olonne ! L’air de rien, l’Ibère poursuit en sus intelligemment sa route vers le Nord Est et contourne ainsi le centre anticyclonique par la face Nord, sur une trajectoire parabolique majestueuse. Chapeau bas !
Le seul qui peut aussi se sortir rapidement de ce piège atlantique est Jean-François Quélen (Galanz), deuxième de la première étape en voilier de série. Il a aussi décroché le jackpot mais ne progresse pour ce dimanche après-midi, encore qu’à six nœuds. Mais en grappillant vers le Nord Est, il devrait aussi toucher la belle brise et cavaler sous spinnaker. La parabole atlantique : « manger son pain noir d’abord, pour gagner son pain blanc… »
 
En avant de la flotte chez les prototypes, David Sineau (Bretagne Lapins) a pris le commandement – mais jusqu’à quand, s’il tombe aussi dans les calmes cette nuit ? – en compagnie d’Adrien Hardy (Brossard), de François Salabert (Aréas Assurances) et d’Isabelle Joschke (Degrémont). Cette « bande des quatre » creuse l’écart. Mais côté voiliers de série, Thomas Bonnier a de quoi s’interroger : planté à moins d’un nœud, il va avoir du mal à contrer le retour de Romain Vidal (Bingo), d’Elodie Riou (KPMG) et surtout de Francisco Lobato (BPI), le vainqueur de la première étape, qui reviennent aussi très fort par derrière…
Enfin, une avarie a marqué ce week-end : Dominique Barthel (Yamm) a cassé son safran bâbord : le voilier accompagnateur Kanaloa s’est détourné pour lui apporter de l’aide, si nécessaire.

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