Avec dix-huit prototypes construits spécialement pour cette sixième édition du tour du monde en solitaire sans escale, auxquels il faut ajouter deux bateaux mis à l´eau en 2005 (Maisonneuve et Pakea Bizkaia) et trois bateaux de 2003 sensiblement optimisés (Cheminées Poujoulat, VM Matériaux et Veolia Environnement), la flotte est au trois quarts neuve ou presque. Une première sur ce tour du monde en solitaire sans escale… Et comme l´évolution architecturale aborde tous les secteurs de la navigation, de l´accastillage au gréement, des carènes aux appendices, des voiles à l´informatique, le bond en avant est exceptionnel. Tous les designers s´accordent à dire que le potentiel des monocoques Imoca de cette nouvelle génération s´est accru d´au moins 10 à 15% ! Peu de sports mécaniques peuvent se comparer à ce phénomène, en grande partie dû aux recherches développées aussi pour la Coupe de l´America, pour la Volvo Ocean Race, pour les Mini Transats, pour les maxi-yachts… Point par point, les éléments majeurs de cette révolution nautique qui explique les desseins des coureurs en quête de performances encore plus importantes.
Voiles : la vitesse des bateaux ayant sensiblement cru surtout au portant, les voiles sont devenues plus plates et les solitaires utilisent de plus en plus des gennakers à la place des spinnakers, très difficiles à gérer dans la brise (plus de vingt nœuds). La navigation s´apparente donc en termes de trajectoire, à celle des multicoques. Les surfaces au près ont augmenté principalement sur les voiles d´avant, les trinquettes d´aujourd´hui étant équivalentes à des focs d´hier… Côté grand voile, elles sont toutes à corne, c´est-à-dire que leur forme trapézoïdale permet d´accroître leur surface par le haut grâce à une immense latte (plus de trois mètres) en tête de mât.
Gréement : la hauteur des mâts est en croissance constante et certains monocoques comme Bahrain Team Pindar ont un tirant d´air supérieur à 32 mètres (pour une coque de 18,24m !). Le poids des tubes carbone est de plus en plus faible (420 kg pour un mât classique avec son haubanage) mais les skippers sont partagés entre l´option d´un profil ovale habituel et d´un mât aile. Ce dernier est aérodynamiquement plus efficace, mais impose d´installer des « outriggers » (barres de flèche sur le pont) de plus en plus grands pour tenir en latéral ces mâts. Côté cordes (largeur du profil), elles sont aussi en augmentation avec même, une section longitudinale convexe sur le guindant pour plus de rendement aéro (Artemis). Les génois ne sont plus à poste en permanence pour limiter les poids dans les hauts avec des systèmes de « hook » (croc de blocage) pour les capeler en utilisation.
Carène : déjà présents en 2004 sur les plans de Marc Lombard (VM Matériaux, Veolia Environnement), les bouchains sont nettement plus marqués sur certains dessins comme les VPLP-Verdier (Safran, Groupe Bel), les Finot-Conq (DCNS, Hugo Boss, Generali, Brit Air), le dessin de Kouyoumdjian (Bahrain Team Pindar) et de Rogers (Artemis), ainsi que sur les plans de Bruce Farr (Delta Dore, BT, Foncia, PRB, Gitana Eigthy, Paprec-Virbac). Cet angle, cette « cassure » du bordé particulièrement au niveau du tableau arrière a pour but d´augmenter la raideur à la toile (capacité à tenir la voile dans la brise) sans accroître la largeur au pont, donc le poids de coque. Elle permet aussi à la gîte optimale (20°) d´offrir aux écoulements d´eau une section en « V » plus efficace pour remonter au vent.
Artifices : pour réduire le risque d´enfournement, c´est-à-dire éviter que l´étrave ne plonge sous l´eau, deux systèmes ont été développés pour cette édition. Le « trim tab » de Paprec-Virbac et de Gitana Eighty correspond aux volets sur le tableau arrière des vedettes rapides : relevés, ils modifient l´assiette longitudinale du bateau qui soulève son étrave (portant) ; abaissés, ils allongent artificiellement la longueur à la flottaison du bateau (près). Adopté cet hiver, les « strakes » (moustaches) sont des excroissances ajoutées sur le bordé entre l´étrave et le pied de mât. Ce petit redan, semblable dans sa forme à une coque d´hydravion, permet de soulager l´étrave quand elle plonge dans une vague et offre une accroche supplémentaire pour gagner en cap.
Appendices : originale la forme des dérives de Safran ! Les architectes Marc van Peteghem et Vincent Lauriot-Prévost associés à Guillaume Verdier, se sont inspirés des foils courbes utilisés sur les trimarans océaniques. L´objectif est de réduire l´encombrement sur le pont lorsque les dérives sont remontées, et de jouer un rôle complémentaire à l´anti-dérive par un effet sustentateur afin de soulager l´étrave… Côté quille, c´est l´utilisation d´un acier pour sous-marin nucléaire qui a permis à DNCS de réduire l´épaisseur du profil (moins de traînée hydrodynamique) pour un poids quasiment équivalent à celui d´un voile carbone ! Enfin, les safrans sont presque tous relevables avec des systèmes extrêmement sophistiqués pour alerter le skipper en cas de choc avec un objet flottant (alarme par aimant).
Cockpit : les monocoques Imoca sont particulièrement humides et le stationnement dans le cockpit dès que la brise dépasse les vingt nœuds, devient rapidement pénible à cause des embruns et des trombes d´eau qui recouvrent le pont ! Plusieurs monocoques sont dotés d´une protection sur glissières pour manœuvrer à l´abri, même si la visibilité sur l´avant est inexistante. D´autres skippers ont adopté des bulles en plexiglas pour barrer sans se mouiller. Deux plans Finot-Conq ont adopté une organisation originale (DCNS, Hugo Boss) puisque tous les renvois des manœuvres de pied de mât passent au centre, entre deux descentes. L´eau déferle toujours sur le pont, mais le skipper peut aller vers sa plage avant en passant par le milieu du bateau au lieu des passavants extérieurs plus exposés.
Énergie : grosse évolution liée aux recherches sur les énergies douces… L´idée est de réduire la part du carburant qui reste lourd, polluant, dépendant d´un problème mécanique. Les éoliennes ont la cote car elles sont de plus en plus efficaces à partir de vingt nœuds de vent apparent, ce qui est presque toujours le cas dans les mers du Sud. Raphaël Dinelli en a imaginé une imposante mais légère grâce à des pâles en carbone dont la nouveauté est un axe de rotation vertical au lieu d´être horizontal. Côté panneau solaire aussi, le skipper de Fondation Ocean Vital a développé des cellules photovoltaïques à haut rendement avec un film transparent protecteur extrêmement fin et résistant. Les hydro générateurs sont aussi embarqués comme sur Aquarelle.com : l´hélice immergée à partir de quinze nœuds de vitesse apporte un plus en termes d´énergie sans générer de frein sensible.
Intérieur : finis les emménagements cosy avec meuble central, couchette inclinable, cuisine à cardan et table à cartes de Concorde ! L´heure est à l´épuration, avec parfois un sens du dépouillement qui confine à la « zénitude »… Deux écoles s´affrontent : les partisans du lumineux qui ont peint leur intérieur en blanc avec des panneaux en plexi pour créer des puits de lumière ; les défenseurs de tranquillité nocturne qui ont laissé le carbone noir apparent ! La tendance mobilière est au siège moulé en mousse qui englobe le corps (Foncia) ou au bureau rotatif (Gitana Eighty, Paprec-Virbac) sur glissière pour déporter la table à cartes, son siège et les rangements de matossage…
(Source : DBo / Vendée Globe)