Le Cam-Riou, une aventure humaine et maritime incroyable

Le Cam sauve par Riou
DR

Le chavirage

- Publicité -

Jean Le Cam, skipper de VM Matériaux : « Il était 1 heure du matin, le 6 janvier. Je progressais, par 56 degrés sud, en approche du cap Horn et je venais d’empanner à l’endroit le plus sud de la course. Je profitais d’une bascule de vent, j’étais content, je n’avais plus qu’à matosser : la vie était belle. J’ai reçu un appel de Vincent et au cours de notre discussion, j’ai senti un choc : un choc pas banal, un choc grave. Le bateau a commencé à avoir des attitudes bizarres. J’ai donné ma position à Vincent, mais j’ai dû parler dans le vide : la communication était coupée. J’ai alors appelé Michel Ollivier (project manager de l’équipe de Jean) qui a pu prévenir la Direction de Course, puis, en 30 secondes le bateau a chaviré. J’ai réussi à fermer une porte, mais pas la deuxième par laquelle le bateau se remplissait d’eau. Je me suis alors organisé pour la suite. J’ai récupéré dans ce qui flottait tout ce qui était nécessaire pour ma survie : une caisse de nourriture, de l’eau, des vêtements secs dans un sac sous vide et une TPS (combinaison de survie), mon pouf « Igor », une polaire trempée que j’ai essorée. Je suis allé me réfugier dans le compartiment à l’avant du mât. La trappe a cédé et j’ai progressé vers l’étrave… Ma première des priorités a été de lutter contre le froid : si tu as froid, tu pars en hypothermie et tu crèves… »

Vincent Riou, skipper de PRB : « Suite à notre conversation qui a vite tourné court, je ne me suis pas posé de questions… Cela arrive souvent lors des appels téléphoniques par Iridium. Mais j’avais un mauvais pressentiment et quand la Direction de Course m’a contacté pour me donner la position de Jean et me demander de me dérouter, je m’apprêtais à prendre des nouvelles… »

Denis Horeau, Directeur de Course du Vendée Globe : « Michel Ollivier m’a appelé à 1h16 pour me dire que Jean était en train de chavirer. Nous avons demandé à Vincent Riou et Armel Le Cléac’h de se dérouter. Nous nous sommes aussi mis immédiatement en relation avec la Marine et les secours chiliens, qui ont formidablement réagi en évaluant les moyens dont ils disposaient sur la zone du chavirage. Le pétrolier qui l’a rejoint, et qui  a permis de guider Vincent et de l’aider à repérer le bateau retourné, a apporté une aide très précieuse. Tous les marins en mer se sont révélés extrêmement réactifs. »

Le sauvetage

Vincent Riou : « Je n’ai aperçu le bateau que quand j’étais à 0,6 mille environ. Cela faisait une demi-heure que j’étais pourtant accroché à mes jumelles… Je ne voyais rien dans ces conditions de mer difficiles. La présence du pétrolier m’a bien aidé et quand j’ai enfin vu VM Matériaux, j’ai rassemblé des trucs (boîtes de conserve, etc…) pour les envoyer sur la coque afin me faire connaître. Nous n’avions aucune nouvelle et la première des priorités était de s’assurer que Jean était bien à bord. J’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois, et au 3ème passage, j’ai entendu une voix et surtout j’ai vu le petit spectacle de pyrotechnie de Jean avec la fusée parachute qu’il a envoyée à travers le passe coque ! Il savait à présent que j’étais là et il fallait que je reste à tout prix à côté de lui en multipliant les empannages au plus près. Quand Armel est arrivé, il a pris le relais autour du bateau de Jean afin que je transmette des informations à la Direction de Course. J’ai envoyé des photos pour montrer que la trappe de survie était immergée et que les opérations de secours, l’intervention de plongeurs notamment, seraient difficiles. J’ai de nouveau pris le relais quand Armel a rencontré des soucis de moteur et au bout de 3-4 tours, j’ai vu des caisses sortir du bateau par l’arrière et la trappe de survie qui flottait. Et là, j’ai vu le bonhomme sortir et se hisser sur la coque en bonne position : debout le  long du safran. J’ai alors préparé mes armes et fait plusieurs approches. Dès que je le lâchais des yeux, j’étais inquiet. Il fallait que je gère trois paramètres : la trajectoire, la vitesse du bateau et le bout à lancer pour que Jean puisse s’amarrer. J’avais la bonne distance et quand j’ai entendu un « crac », je ne me suis même pas retourné…  »

Le cap Horn en double

Jean Le Cam : « Cela reste une histoire exceptionnelle. J’ai même fait un film de notre passage en double du cap Horn à bord de PRB. J’étais le réalisateur et je voulais qu’on le passe au plus près ! Imaginez un peu : je perds mon lest au cap Horn et qui vient me récupérer ? Vincent, celui qui était mon concurrent direct lors de la dernière édition du Vendée Globe. Ensuite, 24 heures après, il y a eu le démâtage de PRB. Je me suis senti pire qu’horriblement gêné  : même si en revenant à l’origine des choses et au fait que c’est à cause d’un container ou d’un OFNI que mon bateau a percuté, j’a senti que ce démâtage était de ma faute : en tout cas généré par les manœuvres effectuées par Vincent pour me secourir. »


Ushuaia

Vincent Riou : « PRB est au mouillage à Ushuaia. Nous avons imaginé différentes solutions. Mais vu les conditions il était inimaginable d’installer un gréement pour un retour en convoyage. Il est donc en attente d’un cargo, qui va le ramener en Europe. A priori, il doit être embraqué entre le 20 et le 25 janvier. J’essaye de ne pas penser à la suite de la course et à la remontée de l’Atlantique que j’attendais avec impatience. J’essaye d’oublier cet épisode, même si je n’ai aucun regret. Quand on prend le départ du Vendée Globe, on s’engage totalement. On sait qu’il faut être capable de faire preuve d’autonomie : pour soi et pour le groupe. Nous partons naviguer dans des mers difficiles, cela fait totalement partie du jeu d’être récupéré par un concurrent comme d’aller en sauver un… Avec Jean, nous allons faire un rapport sur tout ce qui s’est passé, mettre à plat nos réflexions pour que le collectif tire le maximum d’informations de ces événements et de cette expérience. Isabelle Autissier doit même écrire l’histoire pour nous… »

La solidarité prime avant tout

Jean Le Cam : « Avant tout, je voulais remercier tout le monde pour tous les messages de soutien que nous avons reçu à la maison et auxquels nous n’avons pu répondre. Ils m’ont beaucoup marqué par leur sincérité et leur profondeur. C’est rassurant de voir que dans ces moments difficiles, on peut croire en l’être humain. Nous avons vécu une aventure humaine incroyable, où la solidarité prime avant tout et sur tout. Pour le reste, j’ai bien l’intention de participer au prochain Vendée Globe. Déjà avant le départ, j’en parlais. Mais avec tous ces événements, il est d’autant plus clair que je ne souhaite pas en rester là … »

Réaction de Jean-Charles Chaigne, … VM Matériaux

« Le 6 janvier, nous avons vécu une journée difficile et nous n’avons été soulagés que quand Jean a été récupéré par Vincent. C’est une histoire incroyable qui s’est écrite et que nous avons vécue en direct, de celles qui font le mythe du Vendée Globe. Tous nos sincères et chaleureux remerciements vont à Armel Le Cléac’h et bien sûr à Vincent Riou, qui n’a pas hésité à mettre son bateau en danger. Nous sommes aussi très reconnaissants envers la Direction de Course, qui s’est montrée très professionnelle dans la gestion des secours, comme dans la communication. Pour le reste, c’est notre 3ème Vendée Globe, nous mesurons pleinement l’image dont bénéficie cette course et nous restons très attachés aux valeurs, notamment la solidarité, véhiculées par la voile. Il serait aussi malvenu de ne pas apprécier les retours et les effets positifs de l’Odyssée de VM Matériaux qui a débuté en 2006 avec Jean Le Cam. Nous sommes ravis de notre participation. »