Corentin, la veille de repartir et de mettre cap sur le Brésil, le bateau est fin prêt ?
Oui. Avec mon préparateur technique, Fanfan, on a refait complètement les safrans que nous avons démonté, poncé, passé à l´antifouling neuf, etc. On a pu aussi refaire un ponçage de la carène et changer deux ou trois éléments de l´électronique qui s´étaient avérés défectueux. Nous avons également changé quelques petites pièces du gréement, un axe sur le haut du mât, un réa de drisse. L´idée était de partir demain samedi avec un bateau quasiment neuf ou presque. C´est fait. Tout est clair.
Le skipper ?
Tout va bien, cette dizaine de jours d´escale à Lanzarote m´a permis de bien récupérer et de me refaire une forme physique. Cela veut dire très peu de sorties nocturnes (une seule et mes collègues en ont profité pour me jeter dans le port !), en revanche beaucoup de sommeil, beaucoup de sport aussi : de la natation en piscine, du surf… J´essaie de bien m´alimenter avant de retourner au régime plat lyophilisé-barre de céréales. On a embarqué l´essentiel de l´avitaillement, ne reste plus que quelques fruits frais à prendre juste avant le départ.
Comment se présente cette seconde étape décisive, expliquée par Corentin Douguet ?
Quatre tronçons distincts. D´abord des Canaries au Cap Vert, avec une porte (passage obligé, NDR) là bas. Sur ce tronçon, on a souvent du vent arrière, mais il semblerait qu´on ait une petite rupture d´Alizés et qu´on parte pour deux ou trois jours de près, il faut encore que j´affine la météo avec Jean-Yves Bernot. Ceci dit, si rupture il y a, ce sera d´autant plus intéressant à gérer au niveau météo. Ensuite, on axe sa route en fonction du point de passage dans le Pot-au-Noir que je déciderai à l´avance, fonction de la météo et de l´optimum statistique. Je pourrai peut-être l´ajuster légèrement en cours de route, mais pas tellement car nos bateaux vont moins vite que les phénomènes météo. De plus, nous ne sommes ni au Vendée Globe ni à la Volvo Ocean race, nous n´avons pas d´images satellites, il faut simplement faire avec la météo de RFI. La troisième partie c´est le Pot au Noir lui-même, la fameuse zone intertropicale et son lot d´incertit! udes, de zones de calmes alternant avec des grains forts. Enfin, il reste la grande et très longue traversée vers le Brésil et on pourrait même ajouter une cinquième partie, l´atterrissage à Salvador de Bahia qui peut être complexe si on arrive à marée descendante par exemple.
Le trop célèbre Pot au Noir, c´est le juge de paix ?
Il faut relativiser. Certes, la traversé du Pot au Noir est le plus aléatoire du parcours, mais derrière il reste une sacrée belle balade à faire et le temps de refaire un éventuel retard, même supérieur à 15 milles. Je sais qu´en pareil cas je ne m´affolerai pas. C´est une équation à multiples inconnues. Souvent, dans le Pot au Noir, les passages les plus positifs sont à l´ouest mais tu te retrouves sous le vent avec une route à faire de dix degrés plus lofé (vers le vent, NDR). En revanche, si tu passes trop à l´est, ce n´est pas bon non plus. C´est toujours une histoire de compromis….
Si tu devais l´expliquer aux terriens ?
J´ai l´expérience de mon passage là bas voilà quatre ans : des zones de calmes entre zéro et 5 nœuds… et soudain des grains qui font monter le vent à 35 nœuds, voire 40 ou 45. Le jour, ce n´est pas un souci, tu les vois arriver, en général sur une mer d´huile et tu as le temps de réduire la toile, de t´y préparer. La nuit, c´est plus problématique. En même temps c´est bien les grains : t´as tellement chaud que quand ils arrivent ça te rafraîchit, tu as de l´eau douce, et d´un seul coup tu te retrouves à 12 nœuds sur la route, tu avances enfin… Au final, ces grains sont positifs, c´est mieux d´aller les chercher pour ressortir vite. C´est vrai que tu subis forcément la part d´aléatoire, que c´est dur pour le moral si tu vois un concurrent s´en aller avec et pas toi. Mais derrière il y a tellement de chemin à faire… il ne faudra surtout pas dramatiser ce genre de situation si elle survient.
Deux semaines après ton arrivée victorieuse dans la première étape, tu as enfin réalisé ?
Oui, je crois… C´était marrant aussi de voir à distance mon grand pote Thierry Chabagny gagner le Tour de Bretagne en Figaro en même temps. Au téléphone, nous avons décrété que le 24 septembre serait désormais un jour férié pour nous ! Ici, il n´y a pas la pression du départ de La Rochelle, c´est dur de se faire une idée mais en même temps c´est serein. J´ai réalisé en voyant quelques articles de presse, mais je refuse de m´enflammer : c´est bien de gagner la première étape mais ce serait encore mieux de gagner la Transat tout court !
Justement, pour la gagne tout peut arriver, non ?
Bien sûr. J´ai du monde qui pousse derrière ! Mes douze plus proches poursuivants tiennent en douze heures, et les deux plus proches sont à une heure et trois heures… ce n´est rien du tout à l´échelle d´une traversée de l´Atlantique. L´histoire récente de la Transat prouve qu´on peut avoir beaucoup d´avance et devoir par exemple abandonner sur casse, comme Samuel Manuard qui démâte en 2003, ou bien mettre énormément de temps à faire les derniers milles. Ceci dit, je préfère tout de même avoir ce petit bonus que du retard, c´est évident, même si je répète que je n´ai vraiment pas un énorme droit à l´erreur. Et comme dans tous les sports, tant que la ligne d´arrivée n´est pas franchie…
Quel jour faut-il t´attendre à Bahia ?
Je franchirai la ligne le 26 octobre à 18h02 TU… (il éclate de rire) Sérieusement, je n´en sais rien, la seule chose que je peux dire est que j´ai pris 23 jours de vivres et d´eau, mais j´espère bien ne pas avoir besoin de tout ça. Le record de Yannick Bestaven en 2001 est à un peu plus de 17 jours. Voilà, la fourchette large est là, entre 17 et 23 jours…
Confiant ?
Aucune angoisse. Je me sens très serein. Je suis un peu dans la position d´un pilote de Formule 1 qui a gagné les essais et s´apprête à prendre le départ en pole position. Je sais que j´ai un petit bonus mais que le plus difficile reste à faire