Les voix sont calmes, détendues à la vacation du jour. Après un premier coup de stress au départ de Brest hier soir, puis un deuxième dans le raz de Sein où certains ont été obligés de mouiller une ancre pour ne pas culer dans la pétole avec le courant, chacun a pris ses marques. D’abord en admirant la pluie d’étoiles filantes dans la nuit noire, puis à la barre ce dimanche, pour composer au mieux avec le vent arrière et le léger clapot. Cet après-midi, au grand large de la Vendée, on ne se plaint guère. « On a quelques nuages, mais il fait chaud. Les conditions sont très agréables et je bricole des zigzags pour essayer de revenir sur les tout premiers », témoigne Gérald Véniard (Scutum). Les skippers des 48 Figaro Bénéteau en course (abandons d’Etienne Svilarich et de Didier Bouillard hier) naviguent en ce moment sous spi vers la Gironde, poussés par un vent de secteur nord-ouest d’une quinzaine de nœuds, un peu plus soutenu que prévu. « C’est très joli », assure Nicolas Raynaud à bord du bateau Direction de course, « ils empannent pour suivre les oscillations du vent, les bateaux rattrapent leurs propres spis, obligeant les marins à régler et barrer le plus possible. C’est une belle bagarre mais pour l’instant cela tient encore du round d’observation. La grande empoignade stratégique débutera réellement à partir de la bouée BXA, dans l’estuaire de la Gironde, qu’on devrait atteindre demain matin. »
Michel Desjoyeaux (Foncia) est en tête au pointage de 16h. D’un rien : 0,3 mille devant Gildas Mahé (Le Comptoir Immobilier). C’est très serré en tête. Les dix premiers se tiennent en un mille en terme de distance au but et les positions aux classements jouent au yo-yo, sous l’influence des écarts latéraux. Lesquels ont été relativement importants aujourd’hui même si les routes convergent de nouveau en tête. Pour résumer tout de même, un petit quart de flotte (16 bateaux) dans lequel on retrouve une majorité de meneurs au classement général a réussi à faire un petit écart sur le reste de la meute, essentiellement à la faveur du passage du raz de Sein. Aux avant-postes, outre l’inévitable Michel Desjoyeaux et le décidément talentueux Gildas Mahé, on retrouve le très régulier Thierry Chabagny (Brossard, 3e à 0,4 mille), le leader de ce midi Gildas Morvan (Cercle Vert), Eric Drouglazet (Luisina), mais aussi Corentin Douguet (E.Leclerc/Bouygues Telecom), Ronan Treussart (Groupe Céléos), Gérald Véniard (Scutum), Christophe Lebas (Lola La piscine assemblée) et le bizuth Nicolas Lunven (Bostik). Tous ceux-là sont incontestablement bien dans le match.
A l’inverse, sans être lâchés – très loin de là – le leader du général Fred Duthil (Distinxion), le troisième Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs) et le vainqueur 2006 Nicolas Troussel (Financo) ont pris un léger retard. « J’ai été obligé de mouiller deux fois dans le raz pendant que ceux de devant se barraient », raconte Nicolas Bérenger, « j’ai eu très peur de prendre une marée de retard sur ce coup-là. Heureusement ça n’a pas duré trop longtemps, mais j’ai frisé la correctionnelle.» Les débours au premier de ces trois-là se sont réduits depuis ce matin et s’étalonnent désormais entre 1,4 et 2,8 milles. Pas de quoi en faire toute une histoire, à encore 430 milles de La Corogne. « J’ai l’écoute entre les dents et à bloc Jean Floch, à l’attaque pour revenir », raconte avec humour le skipper de Koné Ascenseurs. Entre deux pointages, chacun cherche son salut en vitesse pure (moyennes à 7 nœuds au pointage de 16h) et dans de légers décalages latéraux. Il y a de petits coups à jouer, certes, mais surtout, chacun suit le vent en faisant marcher au mieux le bateau tout en se préparant pour la suite, annoncée copieuse, entre l’estuaire de la Gironde et La Corogne. Tout ou partie des 300 derniers milles devraient en effet se courir au louvoyage en remontant un fort vent de sud-ouest, sans doute jusqu’à 35 nœuds. Le tout en coupant à travers le golfe de Gascogne, jamais confortable dans ces conditions. Et au près, il y aura forcément davantage de stratégie et de tactique. Pour l’heure, les marins anticipent cette deuxième nuit de course où il faudra être vigilant, notamment en doublant le plateau de Rochebonne, au large de Ré, contrée très fréquentée des pêcheurs. Viendra ensuite le pointage du Grand Prix Suzuki à BXA, demain matin. On pourra alors se faire une idée plus précise de la hiérarchie qui se dessine sur cette troisième étape marathon de La Solitaire.
Echos du large
Gildas Morvan (Cercle Vert): « Le passage au raz de Sein a été assez spécial, à la tombée de la nuit, dans la pétole. On a eu de la chance, on a réussi à passer avec un peu courant et juste après, le vent est revenu. La navigation de cette nuit a été super sympa. Je me suis fait un super petit plat : j’ai mangé les paupiettes que ma mère m’avait préparées. Mais à part ça, il y avait des coups à jouer, il fallait aller chercher la pression dans l’ouest, être sur le qui-vive, regarder à gauche à et à droite. Maintenant, j’essaie de me recaler un peu vers les copains, je n’ai pas envie de partir seul dans mon coin. On est tous bâbord amure, le vent est un peu à droite… Nous sommes à 115 milles de BXA. »
Nicolas Luven (Bostik), en train de régler son spi récalcitrant : « Les conditions sont top. Ce matin le vent est rentré avec une quinzaine de noeuds. Je suis bien placé, tout va bien à bord de Bostik. Au passage du raz de Sein, j‘ai eu beaucoup de chance. J’ai été un des derniers à attraper le bon wagon. On a réussi à démarrer avec un peu de vent et de courant. Ensuite, j’ai fait quelques petits empannages opportuns et j’ai eu la bonne surprise ce matin de me retrouver derrière Mich (Desjoyeaux). J’ai pu me reposer cette nuit mais là, ça devient compliqué de lâcher la barre à cause du clapot. »
Thierry Chabagny (Brossard): « Au raz de Sein, il a fallu serrer les fesses pour passer avec le courant. J’étais à la limite, je suis passé avec un petit souffle. Maintenant, depuis la baie d’Audierne, on est sur un bord de spi assez sympa. On est vent arrière et on suit les oscillations. Il faudra peut-être aller un peu plus à terre pour garder de l’air jusqu’à la Gironde. Mais je suis content d’être bien placé, c’est beaucoup plus sympa que se battre pour remonter des places. Cette étape ressemble étrangement à la deuxième où je me suis retrouvé comme aujourd’hui, dans le tableau arrière de Gildas (Morvan) »
Bertrand De Broc (Les Mousquetaires): « Cette nuit, c’était incroyable, il y avait des étoiles filantes partout, on passait notre temps à lever la tête, c’était un super spectacle. Côté navigation, c’était difficile car j’étais collé au bitume. J’ai du arrêter le bateau et faire marche arrière car j’avais des plastiques pris dans les safrans et la quille. Je suis à peu près à 1 mille derrière Chabagny. Il y a des couloirs, des bascules de vent et avec les petites vagues, c’est difficile de rester sous pilote. D’après les fichiers, il semble qu’il y ait un peu plus de vent sur la gauche. De mon côté, je vais rester dans le paquet et s’il y a une opportunité, je la saisirai.»
Patrice Bougard (Kogane): « Ca fait plaisir d’être un peu devant. Je vois le bateau de la Marine, je suis très content. J’ai réussi à me reposer après le raz de Sein car là bas, ça a vraiment été difficile, il a fallu s’arracher les tripes pour sortir contre le courant. J’ai beaucoup barré depuis hier. Là je suis sous pilote, je viens juste de manger et je vais aller me reposer. »
Eric Defert (Suzuki Automobiles): « Au raz de Sein, ça a été l’enfer. J’ai reculé un moment puis j’ai essayé de mouiller mais ça ne tenait pas. Heureusement là, c’est reparti. J’ai 15 nœuds, un vent au 300 qui devrait un peu tourner à gauche. J’essaie de bien me placer pour remonter quelques places, j’ai une grosse pêche pour finir cette étape.. J’ai Défi Mousquetaires près de moi, Région Basse-Normandie et sous le vent, Rapid’Flore. »
Gérald Véniard (Scutum): « C’est clair que là, les conditions sont plutôt sympa. Il fait beau, chaud, je suis en t-shirt. Si on était monté en Irlande ça n’aurait pas été la même chose. Le passage du Raz de Sein a été moyen. On s’est fait un peu fait enfermer à terre avec Foncia. Ca va encore bricoler pas mal pendant une quinzaine d’heures jusqu’à la bouée BXA. Mais pour l’heure, c’est un peu un round d’observation. »
Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs): « Je suis amarré à ma barre, à l’attaque, l’écoute entre les dents. Je suis plutôt mal parti. A la bouée de dégagement, je n’avais plus que 3 ou 4 bateaux derrière moi. En fait, ça fait trois étapes et trois mauvais départs. Il semble que je sois programmé pour revenir dans le match quand ça va pas… Il faut croire que j’ai besoin de ça pour démarrer. »
Robert Nagy (Théolia): « Un peu de chaleur, ça change et ça fait du bien. Sur le plan d’eau, la flotte est bien partagée. Moi je suis plutôt du côté gauche en descendant, en compagnie de Fred Duthil, et j’attends la bascule au sud-ouest. J’ai eu du mal au raz de Sein. J’étais décalé à 150 mètres de Gildas Mahé. Ils ont pris la risée devant moi, et là, je les ai vus partir. Sur ce coup là, ils m’ont mis un mille. Je suis toujours un peu handicapé par mon poignet, mais je fais attention, et les conditions n’ont pas été très gênantes. »