Débat. Que sont ces foils qui sifflent sur nos têtes ?

Après plus de 50 ans de régates sur des bateaux archimédiens et membre de l’international Board de l’IRC, mon tropisme naturel est bien évidemment d’être réfractaire à l’invasion des foils et autres DSS dans mon univers. Et j’ai de bonnes raisons pour cela : On ne peut pas se retrouver en même temps sur les mêmes lignes de départ avec ces engins sur pattes, ni imaginer des croisements en baie avec des différentiels de vitesse ingérables, sans même parler des règles de course ni du bilan carbone de ces moustaches du diable !

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Mais, à contrario, je partage le point de vue de Pascal Bruckner, dans notre époque dominée par le déclinisme et le catastrophisme, que l’aveuglement et le repli sur soi qu’il appelle « le sacre des pantoufles » ne sont pas des solutions. Car, avec ou sans moi, le principe de réalité s’applique et je voudrai éviter d’être classé parmi les vieux schnocks. Prenons donc un peu de recul… Force est de constater qu’entre les AC75, AC50, AC40, Ultim, Imoca, Figaro 3, Flying Nikka et maintenant un mini 6,50, le mouvement est en marche. Effet de mode ou tendance durable ?

Par Philippe Serenon

Naissance des foils

Les foils ont été inventés au début du XXème siècle, à une époque où les matériaux ne permettaient pas encore de faire des bateaux légers et volants. Donc on n’en parla plus pendant longtemps mais le ver était dans le fruit. Le premier véritable foiler fut le Monitor en 1955.

Une solution intermédiaire pour limiter la surface mouillée avait été inventée pour les hydravions : la coque à redan. Yves Parlier, avec Guillaume Verdier et Romaric Neyhousser, ont essayé il y a tout juste vingt ans avec son hydraplanneur mais l’aventure tourna court, faute de vitesse suffisante pour faire déjauger les patins; Mais l’idée était attirante et montrait la voie du vol.

En 1928, le Moth avait vu le jour en Australie et en 1929, naquit son pendant américain. Après la 2ème guerre mondiale, fut créée la classe IMCA qui garda toujours sa philosophie de classe ouverte au développement et à l’innovation contrairement aux séries olympiques dont la stricte monotypie fige les bateaux pour l’éternité, les entrainant vers une disparition inéluctable (Soling, FD …) ; Le 470 survit mais pour combien de temps …

Au fil du temps et des développements, les foils apparurent au tournant du nouveau siècle, grâce à la légèreté du carbone qui permet de faire aujourd’hui des coques qui ne pèsent que 10 kgs et donc volent dans très peu d’air offrant le spectacle magnifique de ces papillons volants (traduction de l’anglais moth) en régate.

Le coup était parti et cela n’échappa pas aux animateurs de l’America’s Cup, l’innovation étant l’un des moteurs de la victoire dans le cadre des jauges à restriction successives. : Ainsi naquirent le catamaran AC72 puis l’AC75 et son petit frère l’AC40.

Envolée inéluctable mais pas exclusive

Du plus petit, le Moth, au plus grand, l’AC75, une multitude de supports ont aujourd’hui des foils et volent y compris au large, suffisamment vite pour se positionner idéalement par rapport aux systèmes météo pour naviguer dans les meilleures conditions possibles pour aller toujours plus vite.

Que les gens de ma génération qui n’auront jamais l’occasion de naviguer en course sur de tels bateaux ne puissent se projeter est logique. Mais le mouvement est en route. Aujourd’hui, les milleniums apprennent à naviguer en kite foil, en wing foil, en Wazp, en Flying Phantom, en Peacoq … Ces bateaux sont le reflet de l’époque : simples, faciles à mettre en œuvre, autoapprenants, offrant des sensations de vitesse brèves mais intenses. Pour eux, la culture de la vitesse prévaut sur la culture maritime. Le référentiel est totalement différent d’une génération à l’autre : l’innovation apportée par Tabarly avec ses divers Pen Duick, exceptionnelle pour son temps, fait partie des livres d’histoire et les jeunes ont la gentillesse de nous écouter poliment raconter les aventures de l’époque mais ne se sentent pas vraiment concernés. Hédonistes, souvent urbains, soucieux de leur environnement, ils croquent la vie comme elle se présente face à un futur incertain : Carpe Diem.

Par contre, pour passer d’un engin de plage à un habitable volant pour aller au large, le budget est loin d’être à la portée de toutes les bourses , qui  plus est pour des bateaux au range d’utilisation étroit : Il faut du vent pour monter sur ses foils  … mais pas trop pour pouvoir naviguer à fond. Sans compter qu’il ne suffit pas de savoir voler sur des dériveurs, il faut aussi apprendre à naviguer au large ce qui veut dire manœuvrer et maîtriser les outils de navigation et savoir faire des routages.

Il y a donc encore un bel avenir pour des bateaux sans foils, pour autant qu’ils procurent des sensations fortes sur de longs parcours de course au large. Aujourd’hui la nouvelle génération de bateaux IRC flirte régulièrement avec les 20 nœuds au portant, tout en restant efficaces au près : JPK, Ker, Andrieu, Nivelt, Mills et autres (i.e. Roma 430 de Ceccarelli), sans parler des TP52 ou Fast 40+.

Mais pour cela, il faut se donner les moyens de former les futurs équipiers. C’est la véritable raison d’être du Sun Fast 30 OD, initié par l’UNCL et le RORC, pour offrir à cette nouvelle génération un bateau accessible, amusant et rapide avec le souci de l’environnement. Il se veut être une passerelle idéale pour passer des petits engins volants aux grands bateaux.

Pour conclure, citons Antoine Houdar de la Motte : “Donnez le même esprit aux hommes, vous ôtez tout le sel de la société. L’ennui naquit un jour de l’uniformité.” Cela n’a jamais été aussi vrai que dans la société actuelle, alors gardons-nous en bien et que chacun trouve son plaisir sur l’eau !

Philipe Serenon