” On a l’impression de régater en baie de Quiberon ” ont déclaré en chœur plusieurs navigateurs aujourd’hui. Et pour cause ! Après 19 jours de mer et pas loin de 5000 milles parcourus, ils se retrouvent bord à bord, à portée de canon. A l’échelle d’un tour du monde (environ 24000 milles marins, près de 45000 km), naviguer à vue entre concurrents est tout simplement insolite. Hier, Sébastien Josse a aperçu Loïck Peyron s’engluer sous un nuage noir et en a fait le tour pour prendre la tête de la course. Ce matin, il a opéré un contre-bord d’école pour se recaler dans l’axe de son adversaire direct. Tout le groupe de tête progresse dans un mouchoir de poche et se surveille du coin de l’œil. Tous sauf Jean Le Cam, irréductible breton qui se décale régulièrement de ses rivaux. Son option orientale laisse dubitatifs ses adversaires. Tel Icare trop proche du soleil, Le Cam se rapproche dangereusement du centre anticyclonique où règnent des calmes piégeurs. Mais s’il a vu juste, cette tactique osée lui rendra les rênes de la course qu’il a lâchées depuis le Cap-Vert.
Nouveau départ
Ils arrivent à l’entrée des mers du sud et des fameux 40es Rugissants qu’ils atteindront dimanche. Cette descente de l’Atlantique n’a pas défini de hiérarchie précise dans ce 6e Vendée Globe. Malgré sa longue domination, Loïck Peyron (Gitana Eighty) sait que rien n’est établi. Que la route est encore très longue. Ses passes d’armes régulières depuis hier avec Sébastien Josse (BT) prouvent à quel point cette régate est serrée. N’importe quel solitaire du peloton de tête peut pointer en haut de chaque classement. Et la situation météorologique actuelle et à venir s’avère plutôt compliquée à négocier.
Retour par derrière
Le ralentissement du groupe de tête à l’approche de cet anticyclone offre la plus belle opportunité aux retardataires de fondre sur le peloton de devant. Même si les écarts se réduisent plus ou moins rapidement, c’est un cadeau du ciel qui se présente à eux. 22e de la course, le Suisse Bernard Stamm (Cheminée Poujoulat) a établi la plus forte progression sur les dernières 24h. Même à 900 milles des premiers, tous les espoirs sont bons…
Voix du large…
Sébastien Josse (BT), leader à 16h00 : « J’ai croisé Loïck (Peyron) tout à l’heure : c’est sympa de trouver un bateau par 32° Sud… Gérer l’anticyclone n’est pas facile : c’est une zone de transition où on peut perdre ou gagner beaucoup. Je navigue sur une mer plate avec de gros nuages noirs, comme un Pot au Noir. »
Loïck Peyron (Gitana Eighty), 2e à 6,4 milles : « Je vois Sébastien (Josse) et Armel (Le Cléac’h)… Hier, juste derrière un gros nuage, je me suis fait planté dans un calme. Mais ce n’est pas fini… En monocoque, c’est rare de se séparer. Il y a eu deux ou trois passages à niveau qui ont été favorables à nos poursuivants. Et demain, il y a une zone très molle, dans l’œil de l’anticyclone. Le premier qui s’en sort va bénéficier d’un bon coup de pied… »
Yann Eliès (Generali), 7e à 23,2 milles : « Ça ressemble à une nouvelle ligne de départ ! Certains ont peut-être trop donné physiquement pour ne pas être récompensé de leurs efforts : ça sent la Solitaire du Figaro… Je n’ai presque rien cassé : un taquet et un cordage. »
Jean-Pierre Dick (Paprec-Virbac 2), 8e à 26 milles : « Pas facile en ce moment : le vent change, mollit, forcit… J’ai essayé de me recentrer la nuit dernière : pas génial pour le classement mais on est tous groupés. Cela tient à rien, il ne faut pas se focaliser sur la hiérarchie. Cette nuit, j’ai cru ” péter les plombs ” à tirer des bords : impossible de dormir ! En ce moment, je vois Vincent (Riou) et Roland (Jourdain), deux concurrents de longue date : on se croirait dans une régate de deux jours, à se tirer la bourre… »
Marc Guillemot (Safran), 10e à 131 milles : « Ça fait plaisir de revenir sur le groupe de tête, mais j’ai beaucoup donné pour ça ! Je me suis arraché plus “cérébralement” que physiquement : j’ai bien géré ma trajectoire en essayant de ne pas trop m’user à manœuvrer. J’ai la tête dans la météo… C’est dur de juger la position des autres car l’anticyclone n’est pas évident à appréhender. »
Dominique Wavre (Temenos II), 12e à 206 milles : « Le spectacle est magnifique : une mer bleu profond, un ciel bleu pâle, quelques petits nuages blancs. On dirait un tableau de Magritte ! Certes, il fait plus froid… Et je gratte des milles sur les leaders : l’Ouest paye mais il faut voir à l’avenir. »
Samantha Davies (Roxy), 13e à 240 milles : « Je suis au soleil dans l’Atlantique Sud ! Il ne fait pas trop chaud, avec 18 nœuds de vent, au près sur une mer plus plate. Et le vent est stable depuis minuit. Je ne me sens pas du tout seule grâce aux communications avec vous, aux mails de mes amis et des autres concurrents, et je parle avec mon équipe à terre. »
Michel Desjoyeaux (Foncia ), 14e 290 milles : « PLe compteur des milles de retard diminue tous les jours… Ça me va, mais ça ne va durer que quelques heures encore, car ça devrait s’arrêter. Je suis dans des grains qui rendent la route moins bonne avec une mer croisée et courte. Il y a du chemin encore ! »
Le mot du tour…
Quille et bulbe : La quille est un voile en acier ou carbone qui soutient quatre mètres plus bas un bulbe en plomb. Ce bulbe d’environ 3 tonnes (pour des bateaux de 8 tonnes environ) sert de contrepoids à la force exercée par le vent dans les voiles afin que le bateau ne chavire pas comme un simple dériveur de plage. Pour augmenter ce couple de rappel, les quilles modernes sont basculantes de 40° d’un bord sur l’autre. Le mécanisme de basculement de la quille est hydraulique. Deux concurrents n’ont pas d’hydraulique et manœuvrent leur quille à la main avec des palans – Rich Wilson (Great American III) et Raphaël Dinelli (Fondation Océan Vital). Un vrai exercice physique. Deux anciens bateaux – Akena Vérandas d’Arnaud Boissières et Nauticsport-Kapsch de Norbert Sedlacek – ont des quilles fixes.
Les 5 premiers au pointage de 16h00
1- Sébastien Josse (BT) à 19626 milles de l’arrivée
2- Loïck Peyron (Gitana Eighty) à 6,4 milles du premier
3- Armel Le Cléac’h (Brit Air) à 14 milles
4- Jean Le Cam (VM Matériaux) à 14,6 milles
5- Roland Jourdain (Veolia Environnement) à 22,7 milles
Premiers étrangers
9- Mike Golding (Ecover) à 46 milles
11- Brian Thompson (Bahrain Team Pindar) à 190 milles
12- Dominique Wavre (Temenos II) à 206 milles