Bruno Peyron évoque l’avenir de la Cup

Bruno Peyron
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Question : Bruno, de l’extérieur on a l’impression que huitième n’est pas la place que méritaient les jeunes Français de Next World Energy engagé dans la Youth America’s cup, car ils ont montré de belles choses. En un mot ce score parait un peu cruel. Est-ce aussi votre avis ?

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Bruno Peyron : “C’est toujours facile, quand on a une contre-performance, de dire qu’on méritait mieux. C’est sur que ça peut paraitre cruel parce qu’ils pouvaient espérer beaucoup mieux. Mais deux erreurs de quelques secondes sur deux manches suffisent à passer de podium potentiel à une place de huitième. C’est le jeu. Les leaders étaient un cran au-dessus. En revanche il y avait huit équipes qui pouvaient se battre pour le podium… dont Next World Energy. J’ai envie de dire qu’on apprend plus de ses échecs que de ses succès, a fortiori quand on est jeune ! C’est mieux de gagner, bien sûr, mais je pense que les gars ont énormément grandi avec cette expérience. Le tout dans un excellent état d’esprit depuis le début de la constitution et de l’entraînement de cette équipe réalisée avec l’aide de la FFVoile et l’appui de notre Club de référence, le Yacht Club de France. On en reparlera dans quelques années… Et puis, le pire n’est pas de ne pas réussir, le pire est de ne pas essayer !”

D’une manière plus générale, quel bilan tirez-vous de cette expérience en AC45 avec de jeunes marins ? 

Bruno Peyron : “Il est trop tôt pour faire un bilan global de ces trois dernières années, mais en ce qui concerne la Youth Team, c’est vraiment ce que j’anticipais. On voit qu’il y a un potentiel énorme. Quand l’idée est arrivée tout le monde l’a saluée, mais en réalité nous étions peu à croire que c’était légitime et qu’on pouvait aboutir à un spectacle aussi exceptionnel. A San Francisco, il y avait plus de monde à regarder les départs de la Youth America’s Cup que ceux de la Louis Vuitton Cup. C’est probablement un signe. C’est très rafraichissant et cela ponctue trois ans d’AC45 d’une belle manière. Il y a beaucoup de positif dans cette ‘Youth’ ! Quand nous avons pris la décision d’y aller, voilà six mois, j’étais persuadé que cela avait du sens sur plusieurs plans : humain, sportif, économique. Car oui, dans le contexte économique qui nous entoure, un certain nombre d’entreprises sont intéressées par cet axe de la transmission aux générations futures, de la relève, en un mot par la dynamique d’avenir. La Youth America’s Cup est en train de démontrer qu’on peut réussir à n’utiliser que les bons côtés de l’America’s Cup tout en en gommant certaines valeurs négatives… et ça c’est très intéressant !”

Quelles sont selon-vous les perspectives pour les AC45? Souhaitez-vous à titre personnel poursuivre cette aventure et si oui comment? Avec la formule des World Series? A l’intérieur de la Cup ou en dehors ?

Bruno Peyron : “C’est un vaste sujet ! On en parle depuis la première épreuve en AC45 au Portugal – où je note au passage qu’il y avait eu plus d’un million de vues sur Youtube, c’est à dire davantage que la Louis Vuitton Cup. Je ne peux pas imaginer un instant que les AC45 restent dans les containers, après tout ce que nous avons démontré. Au sein du petit monde de l’America’s Cup, c’est d’ailleurs la seule chose sur laquelle il y a unanimité : le spectacle, le niveau sportif, la production télévisée, la haute technologie développée et la qualité des marins qui sont les meilleurs au monde en inshore….tout est exceptionnel en AC45 ! Il va y avoir forcément un temps mort après la Cup. Le futur Defender, par définition, aura tous les droits. Alors faut-il garder les AC45 accolés à la marque America’s Cup ou pas? C’est un vrai débat. Tant qu’on n’arrive pas à gommer les valeurs négatives de l’America’s Cup (trop d’argent, égos surdimensionnés, individualisme etc), ce n’est pas simple. En tant que patron d’équipe, je me sens personnellement beaucoup plus capable de vendre un circuit AC45 déconnecté de la marque America’s Cup que l’inverse. J’ai peut être tort, mais c’est ce que je pense ! En attendant, la solution serait peut-être de déconnecter le circuit AC45 de la Cup, tout en proposant des solutions de passerelles que le futur Defender peut utiliser à l’avenir, s’il le souhaite. Il y a des solutions pour cela qui ne me semblent pas si compliquées à mettre en oeuvre. La flotte existe. On dit que si Oracle gagne, le circuit pourrait redémarrer dès le printemps prochain et que si ETNZ gagne, la question sera de toutes façons soulevée aussi. Tout va se décanter dans les trois mois, je pense. Personne n’a intérêt à faire trop trainer les choses : ni Oracle, ni ETNZ, ni les autres challengers. D’un point de vue plus personnel, je suis fier pour les garçons de notre équipe, de ce que nous avons réussi avec Energy Team : deux podiums en deux saisons de course en flotte, ce n’est pas rien ! Je pense aussi aux partenaires qui nous soutiennent : Corum depuis la première heure, Marinepool, puis tout récemment Next World Group qui s’est engagé à nos côtés  pour cette Youth America’s Cup».

Un mot sur la finale de la “grande” America’s Cup qui commence ce samedi. Vous supporterez votre ami kiwi Grant Dalton? Est-il favori comme le prétend Jimmy Spithill depuis les sanctions infligées à Oracle par le Jury International ?

Bruno Peyron : “Je supporterai effectivement mon ami Grant pour plein de raisons, j’ai beaucoup d’affinités avec lui… mais je n’aime pas trop ce mot, je ne suis pas dans une mentalité de supporter. Je suis juste proche d’ETNZ, culturellement. Jimmy joue son rôle quand il dit qu’ETNZ est favori… mais en réalité aucun des deux ne l’est ! Ce sont deux grosses équipes qui ont fourni un énorme travail technologique, humain, sportif. C’est le plus haut niveau qui ait jamais existé, tout ceci est vrai… mais aujourd’hui personne ne peut dire si une équipe est au-dessus de l’autre ! Voilà quelques semaines, on pouvait supposer qu’ETNZ avait de l’avance : premiers vols stabilisés parfaits, premiers empannages sans poser la coque et avec une sortie de trajectoire idéale. A ce moment-là, oui, on pouvait imaginer qu’Oracle était en retard, d’autant que les Kiwis semblaient capables de voler plus tôt, dans des vents plus faibles. Mais quand on regarde les derniers entrainements, manifestement il s’est passé des choses… car coté Américain désormais, c’est juste la perfection aussi ! C’est parfait des deux côtés ! Oracle réussirait peut-être à descendre un peu plus en VMG au portant… à voir. Un autre sujet est la capacité à ‘foiler’ au près, cela peut être une arme supplémentaire à utiliser en attaque ou en défense. Honnêtement, on devrait en savoir beaucoup plus ce week-end, après les premiers duels. Je serai sur l’eau, à bord du chase boat d’ETNZ. Le spectacle va être grandiose.”

Une dernière chose : Grant Dalton prétend que s’il gagne l’America’s Cup, il vous verrait bien dans un rôle d’ambassadeur-observateur pour recueillir les doléances des pays intéressés par la Cup. Notamment sur la fameuse question de l’avenir en multicoques ou en monocoques. Qu’en pensez-vous?

Bruno Peyron : “Le sujet n’est pas encore d’actualité, il va se passer beaucoup de choses dans les semaines qui viennent… et chaque chose en son temps. Déjà, il faudrait pour cela décider de mon avenir au sein d’Energy Team car je me vois mal juge et partie. Mais dans l’absolu, c’est forcément intéressant. Je ne peux pas m’empêcher, depuis des années, de rechercher des consensus autour d’une vision. C’est comme ça que j’ai créé The Race et que j’ai essayé d’apporter ma contribution à l’avenir de la Cup. La Cup doit engager sa troisième révolution, elle en a déjà réussi deux : la sportive et celle de la production télévisée. La troisième, ce serait de faire la révolution de sa propre image. C’est la seule discipline de la voile qui véhicule encore des valeurs négatives d’argent coulant à flots, d’égos mal placés, de querelles stériles, de suspicions en tous genres. Si je pouvais apporter une petite contribution dans ce sens-là, je veux bien y réfléchir ! Ce qui me choque depuis le début dans ce petit monde, ce sont toutes les formes d’individualisme qui aboutissent à des situations de blocage tout a fait évitables. Il y a un gâchis monumental : même quand tu as plus de points d’accords que de désaccords, tu n’arrives pas à faire bouger les choses. Au titre d’une exigence d’unanimité par exemple, alors qu’une majorité suffirait. Comment faire en sorte que les egos se gomment, que les haines ancestrales se calment, que les budgets deviennent commercialement accessibles (car c’est possible !)? Ce sont de grandes questions. Soit notre génération est capable de prendre ce virage, soit celle qui arrive va le faire… et dans ce cas, que les anciens dégagent ! Bon clairement, cela va prendre un peu plus de cinq minutes, tout ne va pas se régler cette semaine… mais le sujet est passionnant et avec un peu d’honnêteté intellectuelle, on doit pouvoir construire la confiance qui permet de faire avancer les choses.”

Mais peut-on réellement imaginer un retour au monocoque?

“Sans doute pas aujourd’hui effectivement, mais il ne faut préjuger de rien à l’avenir. Il faudra connaître les arguments sincères de chacun et examiner d’abord les points d’accord pour construire dessus. Il faut écouter tout le monde, tenter d’apaiser les désaccords. Trouver des consensus sans écarter a priori l’une ou l’autre des solutions. Et la question du support monocoque ou multicoque n’est que la première de la liste. Il y en a bien d’autres à suivre… mais nous n’en sommes pas là. »