Avec la confirmation du début du duel le 8février, on imagine que vous mettez les bouchées doubles pour être prêt et que la pression monte à Valence?
«Depuis six mois, on n’arrête pas beaucoup mais depuis que nous sommes à Valence (le 3janvier), le rythme s’est encore intensifié. On a eu trois semaines sept jours sur sept avec des horaires de 6h 30 à 21h. On sent que ça se rapproche. Mais ce sont des équipes très professionnelles qui ont l’habitude de gérer ce type de situation. La pression est à peine palpable. On la ressent surtout au niveau de la charge de travail.»
Chacun fourbit ses armes de son côté mais en espionnant son adversaire. Comment évaluez-vous son potentiel?
«On s’est juste croisé sur l’eau. Par contre, on a une équipe qui les surveille en permanence. C’était valable à San Diego et ici aussi bien sûr. Ils font la même chose de leur côté. Quand on a navigué sur le Lac (Léman) ou à Gênes en Italie, il y avait tous les jours quelqu’un d’Oracle sur l’eau. On s’observe, on a pu tirer des données des informations qui ne sont pas aussi précises que celles qu’on collecte sur un bateau. On peut savoir à quelle vitesse ils vont, mais ce qui est plus problématique, c’est la vitesse du vent à 60m d’altitude et sa direction exacte. Sur un pneumatique, on a la vitesse du vent à cinq – six mètres mais on n’a pas les effets qu’il peut y avoir en tête de mât. Or comme ces bateaux ont des mâts très élevés, cela joue dans l’analyse fine des performances. Du coup, on a quelques doutes. On ne connaît pas le potentiel exact en VMG (distance vers le but) qui est l’élément clé sur la Coupe de l’America notamment sur la première manche.»
Avec son aile géante «Oracle» semble être très puissant dans certaines conditions. Il semble aussi très réactif dans les phases de transition, empannages, virements. Cela vous inquiète-t-il?
«On sait qu’Oracle peut aller très vite à certaines allures. Mais si c’est à 50° du vent c’est moins bien qu’à 35° ou 40°. On verra mais Alinghi a aussi ses arguments… Oracle a l’air d’aller pas mal dans certaines configurations mais dès qu’ils ont une voile d’avant c’est un peu moins bien. Ils ajoutent une voile d’avant à l’aile dans certaines conditions et là on pas vu des manoeuvres très fluides pour l’instant.»
Ce duel un peu fou en multis bouscule les règles et les habitudes. Pensez-vous que cela peut changer la face de la Coupe de l’America à l’avenir?
«Mis à part le côté juridico- sportif qui est affligeant, au niveau technologique l’histoire est assez géniale. Voir ces deux bateaux naviguer en duel sera un grand moment de voile. Pour ce qui est de l’avenir de la Coupe tout dépend du vainqueur. Si c’est Larry Ellison (Oracle) qui gagne, il va vouloir revenir à des monocoques, certes plus agiles que des ACC mais des monos quand même. Si c’est Alinghi, je pense qu’Ernesto Bertarelli voudrait plutôt repartir sur des multicoques mais il faut aussi trouver des challengers que ça intéresse. Pour moi, l’image de la Coupe aujourd’hui c’est celle d’une vieille anglo-saxonne qui a besoin d’un sérieux lifting ou de partir à la retraite et laisser la place à quelque chose d’autre".
Gilbert Dréan/Le Télégramme