L’Atlantique Nord se montrera t-il coopérant avec les marins du Gitana Team ? Rien n’est moins sûr. Avant toute chose, il convient d’expliquer une nouvelle fois, ce qu’est le flux de Mousson africaine : dans une situation standard, le Pot-au-Noir – zone de vents faibles et instables provoquée par l’opposition des alizés de l’hémisphère Nord (secteur Nord-Est) et ceux de l’hémisphère Sud (secteur Sud-Est) – est plus étendu à l’Est. Par conséquent, les marins ne tentent guère de le franchir près des côtes africaines. Mais certaines années, un flux de mousson, qui génère des vents de Sud-Ouest le long des cotes africaines entre le golfe de Guinée et le Sénégal, peut se former et venir troubler le scénario originel. On observe ce phénomène lorsque le continent africain chauffe suffisamment (en période estivale) pour créer une dépression thermique qui dévie les alizés de Sud Est de l’hémisphère Sud. Gitana 13 profite aujourd’hui de cette situation pour raccourcir sa distance au but.
Quatrième passage de l’équateur en un an !
« Nous avons franchi l’équateur en catimini au beau milieu de la nuit, le quatrième de Gitana 13 depuis le début de l’année ! Nous attaquons désormais la partie compliquée de cette remontée, avec beaucoup d’incertitude. D’un fichier à l’autre, ça bouge pas mal ! » expliquait Dominic Vittet. Un propos développé par Lionel Lemonchois : « Nous avons peur qu’une dépression, qui était sur le continent africain mais qui s’est décalée dans l’Atlantique, ne vienne affaiblir l’effet de Mousson. Alors aujourd’hui, nous croisons les doigts pour que ce vent de Sud-Ouest soit malgré tout suffisamment soutenu pour nous permettre de grimper jusqu’au 8° Nord, où se situe actuellement l’équateur météorologique (Pot-au-Noir, ndlr).» « Nous tentons une option … Il y a quelques jours nous avons choisi d’aborder le Pot-au-Noir en empruntant la route Est. Le pari est risqué, mais en vaut la chandelle, car si ça marche nous aurons gagné un temps considérable. » En effet, si le flux de Mousson n’avait pas été installé, le maxi-catamaran aurait du se décaler de plus de 500 milles dans l’Ouest pour espérer un passage efficace de la Zone de Convergence Inter-Tropicale.
Désormais contraints de gagner dans le Nord coûte que coûte, Lionel Lemonchois et ses neuf hommes d’équipage se montrent opportunistes. Car après le passage du Pot-au-Noir, prévu ce week-end, ils devront négocier la transition avec l’alizé de Nord-Est, qui souffle à la sortie et qui leur promet d’ores et déjà une navigation au près.
Pour Lionel Lemonchois et quatre de ses fidèles – Zolive, Léo, Ludo et David – l’aventure dure depuis plus de dix mois et le retour dans l’hémisphère Nord leur rappelle que bientôt elle touchera à sa fin. Mais à bord de Gitana 13, l’heure est bien plus à savourer ces derniers jours de mer qu’à se laisser gagner par un semblant de nostalgie. D’autant que l’Atlantique Nord semble encore réserver de nombreuses surprises à nos dix marins. Il ne leur faudra pas manquer d’énergie et de lucidité pour rejoindre l’entrée de la Tamise.
L’analyse météo de Sylvain Mondon (Météo France) :
« Gitana 13 navigue depuis hier soir dans le flux de mousson africaine. En effet, en début de nuit de mercredi à jeudi le vent a commencé à mollir lentement (passant de 17/19 nœuds à 12/14 nœuds), tout en partant à droite graduellement (de l’est-sud-est au sud-sud-est), et ce avant même le passage de l’équateur. Cette évolution va se prolonger en cours de journée et s’accentuer avec la progression vers le nord du maxi-catamaran sous l’influence grandissante de la force de Coriolis. Ainsi, les alizés initialement au sud-est seront déviés au sud en fin de journée et permettront à Lionel Lemonchois et son équipage (après un empannage) de faire une route quasiment parallèle à la côte africaine en bâbord amure dans des vents assez faibles (5 à 10 nœuds) mais plutôt bien orientés. Vendredi, les vents continueront leur rotation à droite jusqu’au Sud-Ouest pour accompagner Gitana 13 vers la Zone de Convergence Inter-Tropicale vers 8°Nord, qu’il franchira ce week-end. Une tout autre navigation commencera alors en bordure sud de l’anticyclone des Açores au près dans les alizés de Nord-Est établis. C’est le franchissement de ce nouvel obstacle qui mobilisera l’équipage une grande partie de la semaine prochaine.»
Les chiffres du jour
Départ de Hong-Kong : jeudi 14 août à 9h55’32’’ (heure française)
Jeudi 11 septembre à 15h30 (heure française)
Latitude : 2°53.08 N – Longitude : 14°23.04 W
Distance restant à parcourir : 3 200 milles
Un peu d’histoire
Deux clippers ont marqué l’histoire de la Route du Thé : le Thermopylae et le Cutty Sark. Le 17 juin 1872, les deux voiliers quittèrent Shanghai à destination de Londres par le Cap de Bonne Espérance (Afrique du Sud). Durant près de deux mois, les deux clippers se livrèrent une course sans merci tournant légèrement à l’avantage du Cutty Sark. Mais le 14 août, alors que l’équipage du Capitaine George Moodie possédait une avance de plus de 400 milles sur son rival, le gouvernail du navire s’arracha. Les réparations de fortune ne suffirent malheureusement pas. Le Thermopylae rallia Londres en 115 jours tandis que le Cutty Sark passa Gravesend le 18 octobre, après 122 jours de mer. Ce fut le seul voyage où les deux clippers se mesurèrent sur la Route du Thé.