« Le rythme est infernal. J’ai harnais, gilet, combinaison sèche.. la totale pour affronter la tempête ! » Alors leader provisoire avant d’être supplanté à ce titre honorifique par Nicolas Troussel, Jean-Pierre Nicol (Gavottes) donne le ton, à la vacation. La pétole d’il y a 24 heures n’est plus qu’un souvenir, au même titre que le bord de portant entre Brest et BXA. Le pain blanc est mangé. Il faut désormais se battre. Aller au charbon. Place au près, au vent fort, aux changements de voile d’avant, aux barres de céréales dans les poches en guise de repas. On marche sur les murs dans le bateau qui gîte, la quille chante et hardi camarades. On y va, dans ce fameux gros temps annoncé depuis 48 heures. Ce matin, vers 10h, le vent est d’abord rentré par le sud, sud-ouest, en évoluant rapidement de 15 à 25 puis 30 nœuds, avec rafales. Bonjour le changement de rythme ! Les Solitaires se sont attachés à leur machine et redoublent de vigilance. « La mer est casse-pieds, il faut bien se tenir », témoigne le leader à 16h, Nicolas Troussel. « C’est assez humide, on prend des paquets de mer dans la tronche, pas super sympa… j’ai attaché ma ceinture de sécurité », témoigne en écho son poursuivant immédiat, Thierry Chabagny (Brossard). C’est déjà engagé donc. Et ça va empirer.
Rafales à 45 nœuds et creux de 5 mètres
Richard Silvani, de Météo France, est explicite: « aujourd’hui le vent fraîchit temporairement 30 à 35 nœuds de sud-ouest, avec des rafales à 40 qui monteront à 45 nœuds dans la nuit. La mer devient forte à très forte avec creux de 4 à 5 mètres. Elle sera encore plus croisée en fin de période, mercredi midi, quand le vent basculera ouest pour 22 à 28 nœuds avec rafales à 35 ». Tout est dit, ou presque. Beaucoup de choses vont se jouer cette nuit, dans le positionnement avant de plonger sur La Corogne, qui n’est plus qu’à 170 milles devant la tête de course. La négociation du gros temps et de cette bascule est l’équation à double-entrée proposée aux marins de cette 38e Solitaire qui progressent vers l’ouest à des vitesses de l’ordre de 6 nœuds cet après-midi. Au classement, avec les quatre premiers bateaux en un mille (Robert Nagy sur Théolia est 3e et Gildas Morvan sur Cercle Vert 4e) et les 18 premiers en 8 milles, tout est encore possible sur cette route cabossée qui remonte contre la mer et le vent. D’autant que le pointage, calculé en terme de distance au but, ne fait pas de cas du grand écart latéral entre ceux qui ont choisi un décalage au nord modéré par rapport à la route – comme Nicolas Troussel – et ceux qui, à l’inverse, ont réussi à faire du gain ouest en étant extrémiste dans le nord, à l’instar de Michel Desjoyeaux (Foncia), Gildas Mahé (Le Comptoir Immobilier), Christopher Pratt (Espoir Crédit Agricole) et Corentin Douguet (E.Leclerc/Bouygues Telecom). Ceux-là acceptent de perdre des places au classement provisoire dans l’espoir d’un meilleur placement par rapport aux événements météo à venir. Cette bascule d’ouest par exemple qui leur permettrait de virer en premier, faire la route et accélérer la foulée en ouvrant les voiles vers La Corogne. C’est pour cette raison que Thierry Chabagny, décidément ultra régulier aux avant-postes, n’est pas forcément content de sa position : « je me trouve un peu trop décalé à gauche (au sud, ndr) par rapport aux autres ».
Reste que ces hypothèses de positionnement ne sont que théorie, rarement vérifiée à 100% sur l’eau. Il y a encore une journée et au moins une nuit et demi à passer sur l’eau avant de toucher le sol de Galice, terre promise de cette troisième étape où il fallait vraiment savoir tout faire : pétole, portant, près… Sous solent et grand voile le plus souvent arrisée au premier ris, les solitaires font le gros dos. Savent qu’ils ne pourront pas confier le bateau au pilote automatique dans cette nuit des braves. Que tout se joue dans les heures à venir, l’arrivée des premiers étant désormais envisagée à La Corogne tôt jeudi matin. Au pointage de 16h, Nicolas Troussel mène donc les débats, quasi à égalité avec Thierry Chabagny (Brossard, 2e à 0,5 mille) et Robert Nagy (Théolia, 3e à 0,7 mille). Non localisé par sa balise, Jean-Pierre Nicol est aussi dans les parages de ces hautes sphères du classement. Où l’on note le retour en force du leader du général, Fred Duthil (Distinxion) qui se hisse en 5e position à moins de 2 milles de Financo. Qui est surtout repassé devant son plus dangereux rival, Michel Desjoyeaux (Foncia, 7e à 3,3 milles). Mais attention encore : les deux hommes ne sont pas à la même latitude. Desjoyeaux veut gagner et suit son idée, Duthil n’est évidemment pas disposé à le laisser faire. Telle est bien la seule certitude. Bien malin enfin qui s’hasarderait à un pronostic gagnant. Pietro D’Ali (Kappa) n’est qu’à 6,5 milles et il est pourtant classé en 15e position… c’est dire si c’est serré dans le premier wagon. Suspense dans la baston, cela ferait un très mauvais titre de série B. C’est pourtant assez représentatif de ce qui se trame en ce moment au beau milieu du golfe de Gascogne.
Les échos du large
Nicolas Troussel (Financo) : « Ca saute un peu là ! Dans le bateau, il faut se tenir parce qu’il y a des petites vagues sympa. On va faire une bonne dose de près pour aller jusqu’à la Corogne. Je suis en train de me faire chauffer de l’eau pour manger un plat déshydraté, le premier qui me tombe sous la main sera le bon. Je n’ai fait que dormir toute la nuit pour être en forme la journée. J’ai des bateaux autour de moi, donc je sais où j’en suis, c’est toujours bien de pouvoir comparer sa vitesse. »
Ronan Treussart (Groupe Céléos) : « Ca pourrait être pire, on pourrait avoir 45 nœuds ! On est au près dans 30 nœuds établis. On va avoir plus fort cette nuit, exactement ce qu’ils avaient annoncé. J’ai réduit la toile ce matin au levé du jour. J’étais sous génois et c’est rapidement monté à 20 puis 30 nœuds. En l’espace de 2 heures, j’ai mis le solent et j’ai pris un ris. On va peut-être devoir prendre encore un ris devant. Ca tape pas mal et c’est très humide. Là, je venais juste de rentrer à l’intérieur pour changer de veste. J’ai bien dormi la nuit d’avant pour emmagasiner un maximum d’énergie car ça va être à la barre toute la nuit prochaine. Je ne suis pas tout seul, j’ai Kappa (Pietro D’Ali) à mon vent, on est tout les deux en bâbord. »
Thierry Chabagny (Brossard): « C’est assez humide. D’après les prévisions, ça devrait forcir encore, mais je trouve que c’est déjà pas mal comme ça. Ce sont des conditions fatigantes, pas aussi plaisant que les bords de spi ! J’ai la ceinture de sécurité à la barre sinon dans les grosses vagues, tu pars par devant et tu te casses la figure. »
Jean-Pierre Nicol (Gavottes) : « Ca va faire 24 heures que je suis en tête. Je suis content d’y être mais les conditions deviennent un peu dantesques. C’est la machine à laver, la marmite. On a 30 noeuds de vent mais c’est la mer qui est vraiment creuse. Ce n’est pas le moment de casser un truc. Il faut arriver à bon port, en bon état. Je suis sous solent, grand-voile haute et je me demande si je ne vais pas prendre un ris. J’ai un peu dormi cette nuit mais le rythme est infernal. Quand on est devant, c’est plus difficile de dormir. J’ai harnais, gilet, combi sèche, la totale pour affronter la tempête. »
Nicolas Lunven (Bostik) : « Là, tu me déranges en pleine petite sieste de récupération. Ca va pas mal, j’ai changé de foc juste au bon moment cette nuit avant que le vent monte, du coup, ça m’a pas mis dans le rouge. J’ai pris un ris dans la grand-voile. Le pilote barre assez bien le bateau. J’en profites pour me restaurer et me reposer. J’ai croisé Christian Bos, il était en tribord, moi en bâbord. Je ne vois personne d’autre. Il y a en permanence de quoi s’occuper, toujours des petits trucs qui pètent et puis il va falloir barrer. J’ai 25 nœuds en moyenne à l’anémomètre et le vent devrait forcir un peu. Je suis content que Jean-Pierre Nicol soit en tête parce que c’est un copain, mais j’espère quand même arriver à le dépasser ! »