L’arrivée dans le Sud n’a pas été de tout repos pour Éric Bellion. Le contournement de l’anticyclone de Sainte Hélène s’est révélé être un océan de doutes. Epuisé, déshydraté et bourré d’appréhension à la vue de ce Sud tant attendu, Éric a songé à « mettre le clignotant à gauche » au Cap de Bonne Espérance. Quatre jours plus tard, et alors que l’Indien se rapproche d’heure en heure, l’état d’esprit à bord a changé du tout au tout. « Ce ne sont pas des endroits où l’on va sans avoir peur » rappelle le skipper aujourd’hui. Il a pris la décision de poursuivre grâce à un soutien sans faille de son entourage. Desjoyeaux, Goodchild* et des gens très proches l’ont rassuré sur ses capacités à mener cette histoire à son terme. Alors qu’une première dépression est passée hier et qu’une seconde – avec des vents de 35 nœuds – s’apprête à le cueillir dans les heures à venir, Éric est plus concentré que jamais et découvre « l’aventure dans l’aventure » que symbolise ce grand Sud.
Les latitudes évoluent et la manière de naviguer aussi. L’ordinateur, qui donnait en permanence la position des concurrents il y a peu, est maintenant éteint la majeure partie du temps. « Je me détache de plus en plus de la compétition » explique Éric qui mesure combien il est dangereux de vouloir « faire comme les autres » dans ces zones hostiles. Le réveil ultra strident, insupportable, est lui aussi relayé aux oubliettes pour permettre un repos plus réparateur. C’est donc un skipper plus que jamais à l’écoute de son bateau qui se prépare à rentrer, dans moins de 48 heures, dans l’océan indien.
* Sam Goodchild était le co-skipper d’Eric sur la dernière Transat Jacques Vabre
« Je me prépare pour la deuxième dépression. Je reste concentré car c’est une découverte. Je ne me suis jamais pris autant de vent en étant seul à bord. Jusqu’ici ça s’est bien passé. J’y suis allé très prudemment. C’est en forgeant qu’on devient forgeron ! Quand tu vois cette grosse masse qui t’arrive dessus, que tu reçois les alertes de la direction de course, tu sais que tu vas avoir de l’air et il faut réduire à temps pour ne pas être dépassé. En ce moment, je me traine, mais ça va arriver dans la nuit et monter à 35 nœuds. Ça va pousser ! Mardi dernier, je n’étais pas bien. J’avais de l’appréhension et de la fatigue. Ça n’est pas rien d’arriver dans ces mers là en solo et ça m’a sauté à la gueule. Ce ne sont pas des endroits où l’on va sans avoir peur. A chaque fois, ce sont des sauts de fou pour moi. Tu remets tout dans la balance. J’ai eu pas mal de gens qui m’ont écrit. Michel Desjoyeaux, Sam (Goodchild, ndlr) ainsi que des intimes et ils m’ont rappelé que j’étais capable de le faire et que je risquais de m’en vouloir si j’arrêtais. J’ai donc pris ma décision. Je fais un pas, puis un deuxième et ainsi de suite. Je ne veux pas avoir de regrets mais je ne veux pas non plus me mettre en danger.
Je suis encore plus déconnecté de la compétition qu’avant. C’est l’aventure dans l’aventure qui commence. On a quitté notre zone de confort. L’ordinateur est presque tout le temps éteint maintenant. Je ne suis pas un compétiteur. Pour être en phase avec moi-même, j’ai besoin de décrocher de ce que fait le reste du peloton. Je ne veux pas faire comme les autres. Je suis beaucoup moins rivé à l’écran et je n’utilise plus le réveil. Je n’ai que les alarmes en cas de vent plus fort ou d’éléments particuliers. J’arrive à me caler un peu plus. Je fais des rêves. Ça n’est pas encore l’harmonie que je recherche mais ça viendra plus tard, quand j’aurai eu du vent fort. »