La Solitaire, ça se mérite…

Podium de la troisième étape
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Qu’est-ce qu’on les aime ces visages aux arrivées d’étape ! Ces yeux explosés de sommeil, les traits tendus par l’effort, la démarche chaloupée des corps titubants gentiment sur les pontons. « Quiconque s’engage dans le Figaro est voué à se faire mal » prévient Laurent Gouezigoux. « On se fait mal, parce que La Solitaire, ça se mérite » rétorque Kito de Pavant. Pour Jérémie Beyou, « si c’était trop facile, ce ne serait pas aussi marrant ». « A chacun sa montagne » approuve Didier Bouillard.

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Depuis le début de cette Solitaire, ces quatre garçons ont pourtant souffert : dos bloqués, déchirures musculaires, hématomes, douleur dans les reins. « Sur cette édition, la plupart des problèmes (mais pas tous) sont liés à de la traumatologie à causes de chutes à bord du bateau. Ce n’est pas très grave mais c’est embêtant car ça fait mal et on perd ses appuis. Les gens tombent parce qu’ils sont fatigués et le bateau n’est pas simple au niveau de l’ergonomie. La descente est casse-gueule, la position à la barre n’est pas du tout adaptée, et cela induit plein de problèmes » explique Jean-Yves Chauve, le médecin de la course depuis 23 ans.

Jérémie Beyou est tombé pendant la première étape, de tout son poids, le torse contre la barre d’écoute, ce qui lui a provoqué des contusions intercostales. A Kinsale, il est aussi couvert de bleus mais en ignore la cause. Didier Bouillard a chuté lui aussi, en arrière, le bas de son dos s’est écrasé sur la tourelle de grand-voile. Une mésaventure qui fait suite à une déchirure du mollet dans la première étape. Pour Laurent Gouezigoux, le problème est antérieur au départ. Il souffre au niveau du rein gauche et dans l’interminable bord de près de la 3e étape, entre Wolf Rock et le Fastnet, la station assise lui est devenue quasiment insupportable. A 49 ans Kito de Pavant a le dos cassé après avoir passé des centaines d’heures à la barre. Dans cette Solitaire 2010, il ne se déplace plus sans son ostéopathe personnel qui le remet d’aplomb entre chaque étape.

Ce sont les cas les plus sérieux répertoriés à Kinsale. Mais la liste des bobos ordinaires est bien plus longue. Les irritations dues aux frottements des vêtements et à l’humidité, les tendinites, les mains qui ont doublé de volume à force de tirer sur les écoutes… En Irlande, pendant cette longue escale (coup d’envoi de l’ultime étape lundi 16 août), les ostéopathes ont vu défilé sur leurs tables de massage en moyenne 30 personnes pas jour !

« Les bons moments sont si intenses que ça occulte tout le reste » tempère Laurent. « Le plaisir, on ne sait pas où il est exactement mais il y en a, il y a une part de jubilation à faire ça, à se bagarrer, à jouer les bons coups. Ce n’est pas que ça nous fait du bien de nous faire mal, mais c’est une contrainte qu’on arrive à supporter » remarque Kito. L’acharnement à barrer quand le pilote est en panne, à remplir des ballasts défaillants à coup de bouteilles d’eau minérale, à virer 20 fois dans l’heure (et matosser à tous les coups), à plonger la tête dans l’eau glacée pour virer les algues, à s’extirper de sa bannette, bref, le mal que l’on consent à se faire demande aussi beaucoup de fraîcheur et un énorme esprit de compétition. « Ca va encore parce que je suis jeune reconnaît Jérémie Beyou. Mais à 50 balais, on ne me reverra pas tous les ans sur La Solitaire. Ca c’est sûr ! »