Nicolas Troussel sera sans doute le premier à virer Les Birvideaux ce soir, peut-être vers 19 ou 20h. Sur son Financo, le Finistérien est à 100 milles de l’arrivée et avance à 6 nœuds. Il a réussi à se tricoter un matelas de 12,5 milles d’avance sur Thierry Chabagny (Littoral). Derrière eux, le désert. Du leader au troisième (Eric Drouglazet sur Pixmania.com) l’écart est énorme : près de 33 milles. Des favoris comme Charles Caudrelier (Bostik) et Gildas Morvan (Cercle Vert) sont à plus de 44 milles. Le leader du général provisoire Gérald Véniard (Scutum), pourtant 7e, est relégué à plus de 37 milles, soit l’équivalent de la moitié du chemin qu’il restera à parcourir entre Belle-île et Saint-Gilles-Croix-de-Vie, que les deux leaders devraient atteindre dans le milieu de la nuit, au pire à l’aube.
Car sauf accident, on a du mal à voir quel improbable scénario pourrait empêcher ces deux-là de monter sur les deux plus belles marches du podium de l’étape et pourquoi pas d’en faire autant au classement général où ils n’ont respectivement que 1h54’ (Troussel) et 1h11’ de retard (Chabagny). Or, avec plus de 32 milles de débours au minimum – 76 milles pour le dernier ! – les 42 autres marins risquent fort d’accuser un retard à Saint-Gilles se comptant en heures. Au pluriel.
Seuls au monde
Troussel et Chabagny ont donc tous les atouts en mains pour se partager un gâteau énorme en terre vendéenne. On pèse nos mots. Jamais dans l’histoire du Figaro Bénéteau II, depuis 2003, jamais deux hommes seuls n’avaient réussi à creuser un écart aussi conséquent sur tous les autres. La question est davantage de savoir combien de temps ils prendront à tous. En outre, Nicolas et Thierry sont en train de réaliser le rêve absolu de tout marin. Oser envers et contre tous partir seul dans son coin chercher le vent. Le trouver. Cueillir les lauriers et goûter à ce sentiment narcissique mais jouissif d’avoir eu raison en faisant fi de l’avis général. Contre les 42 autres partis à l’est de la route directe, pourtant tous avec de bonnes raisons.
L’histoire est belle. Deux cow-boys solitaires partis chercher fortune en leur Far West sont en train d’y dénicher un fabuleux butin. « Ils ont fait preuve d’une clairvoyance assez nette », juge Jean-Paul Mouren (MarseillEntreprises). « Ils ont été opportunistes », appuie Kito de Pavant (Groupe Bel). « Les deux se sont barrés… c’est bien vu et bien joué de leur part, ils ont réussi à contourner la bulle par l’ouest. C’est un peu inquiétant pour nous autres », admet Erwan Tabarly (Iceberg Finance). Voguant dans les profondeurs du classement hier, aux alentours des 35e et 40e places, les deux têtus Bretons sont effectivement seuls au monde depuis le pointage de 20h hier. Pendant une vingtaine d’heures, bénéficiant de vent bien plus soutenu au grand large, ils se sont ainsi autorisés des moyennes de 6 à 7 nœuds. Pendant ce temps le paquet s’engluait à l’arrêt dans une molle infernale où tourne en grinçant la roue de la fortune.
30 nœuds de vent cette nuit ?
Le vent qui est enfin rentré ce midi sur la zone de course, de l’ouest d’une dizaine de nœuds, devrait s’orienter sud-ouest en forcissant nettement à 20 nœuds, peut-être jusqu’à 30 dans les rafales. Cela donne un avantage supplémentaire aux deux leaders. Car ces conditions autoriseront un grand run de vitesse tout droit, peu propice à revenir. Il n’y aura sans doute pas grand chose à tenter pour la meute derrière eux.
« Je ne pensais pas que ça marcherait aussi bien », avoue Thierry Chabagny, le seul du tandem de l’extrême ouest à avoir pu être joint aujourd’hui. Le premier aussi à être parti totalement en travers de la route à peine quitté Santander. « Quand tu quittes le peloton et que tu pars tout seul dans ton coin, il y a un risque énorme. Tu te demandes si tu n’es pas un peu inconscient. Ce n’est pas évident, il faut se faire confiance ! Je crois que j’avais envie de faire un truc différent… » Et Chabagny ajoute : « celui qui passera en tête aux Birvideaux aura toutes les chances d’être aussi premier à Saint-Gilles, car ensuite c’est tout droit à fond la caisse. »
Yann Elies (Groupe Generali Assurances) confirme que la fin d’étape sera rapide et musclée : « on va attaquer costaud. Fini les réglages fins, ça va être du lourd ». Lui se voit aux Birvideaux vers 23 h ce soir. Nicolas Troussel y sera probablement déjà passé trois heures plus tôt. Pour l’immense majorité qui ne peut plus guère prétendre à la victoire, il sera l’heure de jeter ses dernières forces dans la bataille, tenter de limiter la casse et espérer des écarts intermédiaires favorables.
Une chose est sûre. Qu’on ne vienne plus parler sempiternellement aux deux leaders de «Bretons de Panurge » et autres « chevaux de bois qui se copient les uns les autres ». Troussel et Chabagny sont en train de réussir un truc de marins. Un grand truc. Un grand truc de grands marins. Sortez la caisse à superlatifs. On va en avoir besoin.