Tout va se jouer sur le dernier sprint

Vincent Biarnès skipper Figaro Cotes d Armor
DR

« Voila. Il y a des écarts, ça commence à causer ». En jetant un œil rapide au classement général, Michel Desjoyeaux veut parler de l’écrémage par l’arrière. Le skipper de Foncia, leader du classement général, fait les comptes : à partir de la 7e place d’Eric Drouglazet (Luisina), tous les concurrents accusent plus de deux heures de retard. Pas totalement rédhibitoire, mais très difficile à remonter sur une ultime et courte étape, surtout si celle-ci se joue sur un seul bord rapide, comme semble indiquer la météo pour le moment. « Sur La Solitaire, une heure et demie de retard avant la dernière étape est pour moi la barre quasi infranchissable », avait coutume de dire Yann Eliès, quand il menaçait Charles Caudrelier pour la victoire finale. Mais l’analyse a pris du plomb dans l’aile l’an dernier, quand à la faveur d’une option extrême et sur une remontée similaire entre Espagne et Vendée, Nicolas Troussel et Thierry Chabagny avaient infligé une punition de… 7 à 12 heures à toute la flotte. Prudence donc. Personne n’a encore perdu. Mais si jamais il n’y a pas de grandes options possibles de dimanche à mardi sur les 355 milles de la quatrième manche (et même s’il y en a, d’ailleurs) il est évident que les six premiers ont plus de chances de décrocher la timbale que les 44 autres. On peut toujours convoquer Lapalisse pour dire qu’en l’espèce, s’appeler Michel Desjoyeaux (Foncia), Corentin Douguet (E.Leclerc-Bouygues Telecom) ou Nicolas Troussel (Financo) est porteur de grandes espérances. Or, ces trois prétendants à la victoire se tiennent en 14 minutes…

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Le podium en 14 minutes 

Sur les 30 décisions du jury aujourd’hui (lire ci-dessous), deux concernent les leaders au général. Michel Desjoyeaux écope de 3 minutes de pénalité, Corentin Douguet de 4 minutes. Douguet se retrouve ainsi 2e à 8 minutes et 13 secondes de Desjoyeaux, Troussel 3e à 14’26’’. Voilà qui promet une empoignade finale à suspense. Voilà qui pourrait aussi impressionner Corentin Douguet. Pour sa deuxième participation, le voilà intercalé entre deux monstres : le marin le plus titré de la planète solitaire, Michel Desjoyeaux, et le seul a avoir remporté toutes les plus grandes épreuves en Figaro, Nicolas Troussel. De prime abord, on pourrait craindre le complexe d’infériorité de la part du skipper d’E.Leclerc/Bouygues Telecom. Sauf qu’on n’a pas affaire à un petit animal à grandes oreilles de trois semaines. Avant de faire irruption sur le circuit Figaro, Douguet a tout raflé en Mini, Transat 6.50 comprise. Et il connaît parfaitement « Mich » et « Nico », camarades d’entraînement au Pôle France de Port-la-Forêt. S’il respecte parfaitement l’icône Desjoyeaux – « Michel est impressionnant car très fort dans tous les compartiments du jeu » – s’il connaît la puissance de feu d’un Troussel en état de grâce depuis un an, Corentin Douguet ne fera pas le timide. Il dit simplement : « tout est possible.» Tout est possible. Avantage Desjoyeaux bien sûr. Evidence. Mais méfiance. Le skipper de Foncia est faillible. C’est une info. Il a reconnu et assumé une erreur sur la dernière étape. Reste que ce serait une belle histoire qu’il égale avec trois victoires Jean Le Cam et Philippe Poupon. Ce serait une histoire de fou aussi pour Nicolas Troussel, que 14 minutes de débours ne peuvent impressionner. Si le skipper de Financo l’emporte pour la deuxième année consécutive, il réalisera un exploit qu’un seul homme a signé, et en d’autre temps : Guy Cornou, en 1975 et 1976. Quant à Corentin Douguet, s’il l’emportait pour seulement sa deuxième participation, il rejoindrait sur les tablettes un seul marin dans l’ère moderne du Figaro, pour l’anecdote autre vainqueur de la Mini (tiens, tiens) : l’extraterrestre Yves Parlier. Cette dernière breloque symbolique pour amuser la galerie est valable aussi pour le 4e du classement général, Gildas Mahé. Le skipper du Comptoir Immobilier est en embuscade derrière le trio de tête, à 45 minutes de Desjoyeaux. Derrière lui ni l’ancien leader Fred Duthil (Distinxion, 5e à 1h08), ni Thomas Rouxel (Défi Mousquetaires, 6e à 1h41) n’ont dit leur dernier mot. Ce sera plus difficile pour Eric Drouglazet (Luisina), Jeanne Grégoire (Banque Populaire), Gildas Morvan (Cercle Vert) et le bizuth Vincent Biarnes (Côtes d’Armor) qui réalisent tous une très belle course en complétant la liste du Top Ten, mais accusent des retards compris entre deux et trois heures. 

80 secondes chez les bizuths

Chez les bizuths, la bataille est formidable elle aussi. Vincent Biarnes et Nicolas Lunven (Bostik) se disputent le leadership des débutants dans l’épreuve pour… 80 secondes ! Alors qu’il avait écopé de 2h de pénalité au départ de Brest pour départ anticipé sous pavillon Z, Biarnes a réussi à faire annuler cette sanction auprès du jury international. En grand gentleman, Nicolas Lunven a réagi : « sportivement, c’est mieux, car Vincent est revenu pour passer la ligne et ça aurait été très sévère de prendre deux heures pour cela ». Chapeau bas pour Nicolas. Et pour Aymeric Belloir (Cap 56) qui s’apprête à défendre becs et ongles sa très belle troisième place à ce classement des débutants dans l’épreuve où on ne l’attendait pas à pareille fête. Aymeric Belloir devance pour le moment des marins bien plus connus que lui : le pilote de multicoques Thierry Duprey du Vorsent (Domaine du Mont d’Arbois) et les deux régatiers de haut vol que sont Frédéric Rivet (Novotel Caen) et Jean-Pierre Nicol (Gavottes). Tout se jouera entre ces six-là chez les rookies pour un match dans le match palpitant. Avec une relève de ce niveau, La Solitaire a de belles années devant elle. Voilà pour les comptes. Sachant que ceux qui n’ont plus rien à perdre seront forcément dangereux, puisque pouvant attaquer de toutes parts. Sachant que les courses ne sont jamais sur l’eau telles qu’on les imagine à terre. Sachant encore que quoiqu’il arrive il faudra féliciter 50 marins, pas seulement trois, dans le chenal des Sables d’Olonne.

Hier soir dans les bars à tapas de La Corogne, il y eut de belles phrases. De grands moments de rigolade et de fraternité des gens de mer. On s’est chambrés gentiment les uns les autres. Antonio-Pedro Da Cruz (Baïko) a reçu le non officiel et totalement improvisé prix Saint-Lys Radio pour sa VHF surpuissante qui a fait de lui un relais incroyable entre concurrents dans la furie de cette troisième étape : « j’étais le seul à capter tout et à pouvoir émettre vers tout le monde, alors j’ai fait le petit standardiste ! » Eclats de rires. On s’est claqué les pognes entre vainqueurs et battus. On s’est promis une belle fête finale aux Sables d’Olonne, chez Jimmy Le Baut (Port Olona-Arrimer, 49e à 30 h) qui sera forcément capitaine de soirée, là bas, du côté de La Chaume. Où l’on dit joliment d’un accent inimitable que « les marins vont tellement loin en mer qu’ils sortent de la géographie ». Mais avant cela, il y a une dernière manche à courir. Un quatrième temps fort pour élargir encore un peu plus le sourire désarmant du directeur de course Jacques Caraës, lui aussi en train de réussir son bizuthage. Départ dimanche à15h.

Echos des pontons

Résultat des 30 cas examinés par le Jury

Plus de la moitié de ces 30 cas concernait des problèmes de plombages arrachés. Le jury a estimé que compte tenu des conditions de navigation dans cette troisième étape, la pénalité maximum de 2 minutes par tranche de 100 milles, devait être ramenée à 10 secondes. Ainsi, les 18 bateaux concernés ont pris des pénalités en temps comprises entre 1 et 4 minutes maximum, qui ne modifient pas grand chose au classement général provisoire. Le vainqueur de l’étape Corentin Douguet (E. Leclerc Bouygues Telecom) écope de 4 minutes et le troisième Michel Desjoyeaux (Foncia) de 3 minutes, ce qui profite à Nicolas Troussel (Financo) qui voit son prédécesseur se rapprocher et son plus proche poursuivant s’éloigner. Cinq autres cas concernaient des pertes de mouillage lorsque certains concurrents ont jeté l’ancre dans le Raz de Sein. La bonne fois des coureurs a été retenue par le jury qui n’a octroyé aucune pénalité. Bertrand de Broc (Les Mousquetaires) et Pietro D’Ali (Kappa) n’avaient quant à eux pas passé correctement la ligne d’arrivée de La Corogne. Le fort trafic sur zone (pêcheurs et cargo) et la présence de plusieurs gyrophares, outre celui du Comité de Course, auraient induit les deux coureurs en erreur. Les voilà blanchis. Enfin, l’instruction qui a eu le plus d’effet sur le classement est la réclamation de Vincent Biarnes. Ce dernier devait théoriquement être pénalisé de deux heures après avoir pris un départ anticipé à Brest sous pavillon Z. Mais le skipper de Côtes d’Armor a eu gain de cause en évoquant de possibles erreurs de visées sur la ligne… Il récupère ses deux heures et retrouve sa place de 1er bizuth (et 11e au général).

Remise des Prix

Le très chic Real Club Nautico de A Coruña accueille, ce vendredi à 19h, la remise des prix de la 3ème étape Brest-La Corogne. Une réception très attendue puisque le classement a sensiblement évolué suite à de nombreuses réclamations (30), pour la plupart liées à des plombs qui ont sauté lors de cette difficile étape. Ce sont vu remettre le prix du classement d’étape Afflelou : Corentin Douguet (E.Leclerc/Bouygues Telecom) 1er, Nicolas Troussel (Financo) 2ème ,qui reçoit également le Prix Argos de la meilleure progression et Michel Desjoyeaux (Foncia) 3eme et détenteur du prix de la bouée Radio France. Le Grand Prix Suzuki revient à Jean-Pierre Nicol (Gavottes). Quant au Prix Bénéteau des bizuths, il revient au jeune Nicolas Lunven (Bostik).