On efface (presque) tout et on recommence

Arrivée brumeuse à Dingle - Solitaire du Figaro
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« Quand Dieu créa le temps, il en créa assez » dit un des plus célèbres proverbes irlandais. Il le créa en tous cas suffisamment accueillant pour faire tenir 47 bateaux en 45 minutes la nuit dernière, dans un final digne de la légende de La Solitaire avec ce regroupement général en baie de Dingle. Dingle où l’on pourra toujours faire semblant de gentiment polémiquer – en vain et comme d’habitude – sur le placement géographique, trop ceci ou pas assez cela, de la ligne d’arrivée. Il se trouve pourtant que la pétole fait partie du jeu depuis des lustres, non ? Comme d’ordinaire encore en pareil cas, « ceux qui étaient en tête et ont perdu leur avance n’ont pas trouvé ça très marrant et ceux qui étaient aux choux dont je fait partie ont trouvé ça très drôle », note avec malice un certain Michel Desjoyeaux (Foncia), au passage toujours en piste pour un éventuel quatrième titre : 8e à 28 minutes.

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Le podium en 11 minutes

Bien sûr, avec des écarts si faibles à l’étape, le classement général ne connaît pas de grands bouleversements. Mais à y regarder de plus près, quelques nuances d’importances s’y sont néanmoins glissées. Première indication : Nicolas Lunven (CGPI) est toujours leader et du haut de ses 26 ans, il contemple encore une armada de gros bras : pour faire simple, il y a là tous les grands favoris dont les six anciens vainqueurs de La Solitaire. Il a néanmoins concédé de 7 à 15 minutes à ses principaux rivaux, d’où un resserrement certain. Désormais le podium provisoire tient en 10 minutes, contre 25 à Saint Gilles Croix de Vie… Sur ce podium justement, on retrouve toujours un Yann Eliès (Generali, 2e) qui a repris les deux tiers de son retard et n’est plus qu’à 6 minutes du leader. Sur la troisième marche, c’est spectaculaire : Jérémie Beyou (Bernard Paoli, 3e) est monté de deux crans dans la hiérarchie et a repris un petit quart d’heure pour ne plus accuser que 11 minutes de débours (pour l’anecdote après une pénalité d’une minute pour… une canette de soda en trop à la pesée d’avant course). Le grand perdant de la nuit s’appelle Charles Caudrelier Benac (Bostik). Le vainqueur de l’édition 2004 n’a pourtant concédé que 10 minutes, mais dans ces hautes altitudes du classement, cela lui a valu de dégringoler de huit places, en 11e position. Dix minutes, huit places en moins… l’équation donne une idée assez précise du niveau d’excellence de ces Figaristes-là et surtout de la petitesse des écarts qui n’ont pas été aussi insignifiants depuis belle lurette sur La Solitaire : les 10 premiers tiennent en 30 minutes, les 15 premiers en moins d’une heure, 22 en 1h30 et 25 en deux heures !

Tout, absolument tout va donc se jouer sur cette quatrième et dernière étape à destination de Dieppe, la plus longue et la plus piégeuse manche de cette 40e édition. Que demande le peuple des marins ? Dans les 30 premiers, personne n’est réellement hors course après trois étapes…

Serré aussi chez les bizuths

Chez les bizuths, on fait comme les grands et on n’est donc pas en reste côté suspense. Fabien Delahaye (Port de Caen Ouistreham) a grappillé quelques poignées de secondes – 4 minutes – mais il devra lui aussi ferrailler jusqu’au bout pour repousser les assauts de Paul Meilhat (Domino’s Pizza), 2e à 10’09 de ce classement des débutants dans l’épreuve, ou encore ceux de Yannig Livory (CINT 56), 3e à 23 minutes et de Joseph Brault (Samsung Mobile), à un peu plus d’une demi-heure. En outre, Christophe Espagnon (Groupe Legris Industries) et Matthieu Girolet (Entreprendre Lafont Presse) sont toujours en embuscade à une heure et quart.

Pour eux aussi, tout se jouera sur l’ultime passe d’armes vers Dieppe. Un autre célèbre proverbe irlandais prétend : « l’espoir est ce qui meurt en dernier ». C’est en tous cas la chose la mieux partagée du monde chez les 52 marins de cette Solitaire du Figaro. A Dingle, sur les quais du charmant petit port envahi par la brume et sur les bancs de bois patiné des plus chaleureux pubs du monde, on se passe les classements en rigolant. Quand chacun a encore ses chances, l’ambiance est forcément plus détendue. Le mot de la fin est signé Nicolas Bérenger (Kone Elevators, 9e à 29 minutes) : « depuis le Salon Nautique, je prédis que cette Solitaire se jouera dans les tout derniers milles avant Dieppe… et pour l’instant je suis toujours dans le match pour gagner ce pari ! »
BM

Les échos de pontons

Jérémie Beyou (Bernard Paoli) : « j’explose mes statistiques ! »

« Hier soir, j’ai eu du mal à m’endormir. J’étais excité par la victoire. Deux étapes sur quatre, c’était inespéré. Jusque-là, j’avais mis neuf ans avant de gagner ma première étape ! Là, deux coup sur coup, j’explose toutes mes statistiques. Le déclencheur ? Un peu de réussite, plus de confiance en moi, moins de stress, une façon un peu différente d’aborder la course. Et un peu de maturité. C’est un mot important dans notre sport et que n’apportent pas forcément que les victoires. Les coups durs, les années sans, ça forge aussi un peu la carapace. Du coup, je reviens sur la course en étant heureux comme un gosse. T’as la maturité mais tu retrouves aussi des sensations du début, le fait d’être heureux d’être là, tout simplement, sans se dire : je dois absolument gagner, je dois remplir mon contrat. Je ne devrais pas le dire mais le fait de ne pas avoir de sponsor, ça change tout ! Ca change la relation du financeur au coureur. Ils ne me demandent rien, ils ne me mettent aucune pression. Ils sont contents d’être avec moi au départ. Et puis il y aussi le fait que je n’étais pas revenu sur la Solitaire depuis 2005. Je pense que la notion de fraîcheur est aussi hyper importante. »

Jean-Paul Mouren (M@rseillentreprises) : « La Walkyrie pour le final »

« Il y avait un certain confort à naviguer sur cette 3e étape, ni trop de vent, ni pas assez, pareil pour l’état de la mer. Et c’était bourré de subtilités. Toutes les 3 heures il y avait quelque chose de nouveau à négocier, sans que ce soit vraiment prévu par la météo. Donc, il fallait s’adapter à la situation qui a été parfois assez surprenante, c’est pourquoi il y a eu de gros chamboulements car les scénarios n’ont pas fonctionné comme prévu. J’étais en milieu de flotte. De temps en temps, je me réveillais en ayant perdu un petit paquet, de temps en temps, en ayant gagné. L’avantage de la maturité sur ce type de course (à 56 ans et à sa 23e participation, Jean-Paul est le vétéran de l’épreuve, ndr) ? Le problème avec l’expérience, c’est que ça a un poids. Des fois ça vous pèse, ça vous ralentit parce qu’on est trop prudent. L’audace de la jeunesse gagne souvent sur la sagesse du vieux loup de mer. Il faut arriver à naviguer entre l’expérience et l’audace, se servir de l’un et de l’autre.
n tout cas, vu le classement, le final de cette Solitaire sera une véritable Walkyrie. Les 10 premiers tiennent en 30 minutes, ça va être un délire de suspense ! »

Gildas Morvan (Cercle Vert) : « un grand final »

« L’étape était intéressante du début jusqu’à la fin. C’était tactique, c’était fin. Dans ces conditions, il faut toujours essayer d’avoir les systèmes météo dans la tête, toujours se positionner par rapport aux bascules. Pour ça, il faut savoir mettre le pilote, se poser pour réfléchir devant la table à carte, manger, dormir, récupérer dès que les conditions le permettent. Il faut se ménager pour ne pas louper les coups. Parce qu’être sur le pont pour gagner 300 mètres en vitesse, ça ne sert pas à grand-chose. Par contre, bien négocier une rotation, un passage de dorsale, là, c’est important.
L’arrivée, en revanche, s’est un peu jouée aux dés. Il fallait un peu de réussite. De mon côté, je ne m’en sors pas trop mal parce que je fais 12, mais un gars comme Charles (Caudrelier) prend cher sur ce coup là. De 3e au général, il passe à 11e. Il doit être assez déçu. Cela dit, le classement est quand même super serré, il y a 15 bateaux en une heure. La prochaine étape sera-t-elle comme les 3 premières ? Ca va être intéressant. Ce sera vraiment le grand final de cette Solitaire. »

Fabien Delahaye (Port de Caen Ouistreham), 1er au classement général bizuth

« Le classement bizuth est un des objectifs mais je fais mes étapes du mieux possible. C’est la deuxième fois en trois étapes que je passe dans les 10 à la bouée de dégagement, après, j’ai même regagné des places sur mes options à l’intérieur de Belle-Ile. Je passe 6e à cap Caval. J’ai essayé de bien réfléchir en météo, de faire tourner les routages, j’allais plutôt vite. Mais la fatigue, je l’ai bien ressentie. Les premières 24 heures, j’ai du dormir quatre fois 10 à 15 minutes. C’était dur pendant la deuxième nuit. Il fallait que je barre et je sentais la fatigue assez pesante. La journée d’après, quand le vent est rentré, j’ai bien récupéré et emmagasiné pour la fin de course, ça c’était top. Heureusement parce qu’il fallait être vigilant jusqu’au bout. Mine de rien, tout s’est joué à la fin, sur rien, et il fallait être lucide. La dernière journée, on s’est tiré la bourre avec Michel Desjoyeaux, Athema et Suzuki, on était tous les quatre à tactiquer sous spi, à jouer toutes les petites pointes, à empanner régulièrement. Il fallait être en forme pour suivre, même si tout a été redistribué à la fin. Quant au classement général, aujourd’hui, Paul (Meilhat) est à 10 minutes alors qu’il pourrait être à quelques heures, mais bon, c’est comme ça. Je suis quand même super content de ma Solitaire. Je sais que je peux être devant et tenir le rythme. »

Nicolas Lunven (CGPI), 1er au classement général provisoire,

« J’aurais préféré arrêter le classement à l’entrée de la baie de Dingle ! Mais bon, je suis content de mon étape. J’ai bien navigué, j’étais dans le coup. Ce qui me réjouissait c’est qu’enfin, il aurait pu y avoir des écarts. Malheureusement, ça s’est passé autrement. Donc, on en est toujours au même stade : c’est celle d’après qui sera décisive et ça fait trois étapes qu’on dit ça ! Pourquoi je marche bien ? Je suis vraiment motivé et je me fais plaisir à naviguer. Je me suis bien préparé, comme les autres, je crois qu’il ne faut pas aller chercher plus loin que ça. J’ai aussi beaucoup de réussite cette année. Ca ne durera peut-être pas tout le temps, donc, je profite. Je suis encore jeune, j’ai encore plein de choses à apprendre…donc, il ne faut pas tirer de conclusions trop vite. Le classement s‘est beaucoup resserré devant. On verra bien sur la dernière étape… il ne faut pas que je me mette plus de pression que ça. Pas la peine de trop cogiter. Je n’ai rien à perdre. Je n’étais pas venu pour gagner La Solitaire du Figaro, je suis en tête au général, c’est super, mais si je fais 3e ou 5e à Dieppe je serais quand même très content. »