Un chavirage « au ralenti »
Stève Ravussin, d’habitude si enjoué et débordant de joie de vivre est sous le double choc d’un chavirage puis d’un sauvetage qui ont failli lui coûté la vie. Son trimaran Orange project s’est retourné cette nuit, dans des conditions de vent fort, 35 nœuds, et sur une mer courte. Dégagé de tout impératif de résultat après son arrêt forcé aux Açores la semaine dernière, Stève naviguait selon ses dires avec le maximum de sécurité, deux ris dans la grand voile et solent, ballast rempli au maximum pour garder le bateau bien à plat. Alors qu’il s’employait à l’avant du bateau à fixer le gennaker aux filets, le pilote automatique a brusquement décroché et le bateau a commencé à lofer en grand, c’est à dire à serrer le vent, offrant un maximum de surface portative à la force du vent. Alors que Stève se précipitait depuis l’avant du bateau vers le poste de barre, le pilote a de nouveau fait des siennes en forçant le trimaran à abattre violemment. Le trimaran mû par une énorme inertie venue de l’arrière à ainsi enfourné très fort et la plateforme est montée à la verticale, tête de mât profondément enfoncée dans l’eau. « C’est l’arceau de protection installé par la volonté de Lalou Roucayrol (ex skipper de ce multicoque sous les couleurs de Banque Populaire) autour du poste de barre qui m’a sauvé la vie » explique Stève. « Car lorsque le bateau a basculé, j’y suis resté accroché, ne sachant pas de quel côté il allait retomber. Le mât a un long moment résist&ea cute;, empêchant le chavirage complet, mais il s’est finalement enfoncé dans l’eau et le trimaran s’est complètement couché à l’envers » poursuit Stève. « Je me suis retrouvé sous les filières. J’étais en combinaison de survie, que j’avais enfilé pour me protéger la peau de l’agression de l’eau salée. Je ne suis pas un bon nageur et j’ai lutté pour garder la tête hors de l’eau. Une première fois, je me suis vu mourir. J’ai reçu le bras de liaison sur le dos et ce sont les mouvements de la houle qui, en soulevant le bateau, m’ont permis de respirer. » Stève a trouvé les ressources pour se hisser sur les filières d’Orange project retourné. Il a pu déclencher ses balises de détresse dont les signaux ont été récupérés par le Maritime Rescue Center Control de Norfolk aux Etats-Unis. Norfolk a prévenu la direction de la Route du Rhum et mis en alerte les cargos naviguant sur zone. C’est le pétrolier Okhta Bridge qui croisait le plus près qui s’est détourné. Ironie de l’histoire, ce pétrolier appartient à la compagnie Sovcomflot, sponsor de Stève l’été dernier durant la Oops Cup en Scandinavie.
Un sauvetage dantesque
Voir arriver sur soi la masse d’un pétrolier est à n’en pas douter une expérience effrayante. Le gros navire russe s’est présenté ce matin par le travers d’Orange project. « Le bateau s’est approché à 5 mètres de moi. J’étais empêtré dans une masse de bouts, ficelles et cordages et je ne comprenais pas comment l ‘équipage souhaitait effectuer sa manœuvre. Ils ont à plusieurs reprises tenté de m’envoyer des filins depuis l’avant du bateau. J’étais sous la voûte de l’étrave qui culmine à plus de 20 mètres ! Je me suis confectionné une espèce de baudrier et j’ai réussi à attraper leur filin. Celui-ci était relié à un enrouleur automatique et dès que l’équipage a cru que j’é ;tais arrimé, ils ont tiré violemment et je me suis vu propulsé le long de la coque. J’avais gardé sur moi des ciseaux avec lesquels j’ai coupé comme j’ai pu tous les câbles qui m’enserraient et me retenaient au trimaran…J’ai hurlé comme jamais, croyant ma dernière heure arrivée… »
Stève est ainsi depuis en sécurité aux bons soins de l’équipage Russe. « Ils sont formidables de gentillesse et d’attention. Physiquement je vais bien. Moralement, j’ai l’impression d’avoir « crâmé » toutes mes cartouches… »
Une Route du Rhum cauchemardesque
Le bateau dérive à présent loin de toutes côtes habitées. Une balise continue d’émettre et de donner sa position aux autorités maritimes. Il n’est pas pour l’heure question de récupérer ce qui ne sera plus bientôt qu’une épave. « Je voulais cette Route du Rhum. Je m’y étais préparé, ainsi que toute mon équipe. Elle a tourné au cauchemar… » conclut Stève.