Les visages bouffis, encore tout froissés de sommeil, les coureurs émergent aujourd’hui d’une nuit de 15 heures, ce qui est bien le minimum syndical après une telle étape. Les mots de la veille pour décrire les maux de cette navigation de 65 heures résonnent encore dans les salons feutrés du National Yacht Club de Dún Laoghaire. « Tous les figaristes sont des fous et moi y compris » lançait le tonique Britannique Phil Sharp, yeux rouges et tignasse hirsute à l’arrivée. « Un calvaire presque du début à la fin » pour Damien Guillou, victime de soucis techniques à répétition, « un combat contre soi-même » pour Arnaud Godart-Philippe, « un tempo impressionnant » pour Thomas Ryuant , « la plus dure de toutes » pour pas mal d’autres, bref, quelque chose de physiquement dur, d’inconfortable, pour ne pas dire désagréable. Les bizuths ont eu leur dose d’avanies et de stress, au point que certains se demandent s’ils y reviendront, comme Morgan Lagravière qui s’écroulait mercredi sur les pontons. Les plus expérimentés qui en ont vu d’autres, relativisent : « ça a été pénible pour tout le monde », reconnaît Romain Attanasio juste après son passage chez les kiné-ostéopathes dont le « cabinet » ne désempli pas. Mais finalement, à l’exception de David Sineau qui a abandonné au large de Cherbourg après son talonnage, tout le monde est arrivé au bout de l’aventure et ce sentiment de travail accompli est peut-être la plus belle de toutes les récompenses.
Ces 440 milles où toutes les gammes du parfait petit figariste ont été passées en revue ont fait quelques dégâts. Matériels d’abord. Vingt-quatre spinnakers, pas moins, ont explosé en vol, notamment pendant l’équipée sauvage le matin de l’arrivée où l’armada s’est retrouvée malgré elle le spi en l’air dans 35 nœuds de vent, exécutant des pointes de vitesse à plus de 18 nœuds ! Cette chevauchée au portant (« une piste noire » pour le savoyard Alexis Littoz) restera sans doute dans les esprits. Sept génois ont aussi été troués ou déchirés. Si bien que des techniciens d’une voilerie française ont fait le déplacement en Irlande pour procéder à des réparations. Les soucis de ballast, de pilotes automatiques, d’électronique ont aussi été légion. Certains coureurs ont été la proie de problèmes en chaîne comme Fabien Delahaye qui n’avait « jamais cassé autant de trucs sur une étape de Solitaire » : pas de pilote pendant 30 heures, latte forcée de grand-voile HS, table à carte qui s’écroule, plus d’alarme de réveil et spi qui explose dans les derniers milles. Anthony Marchand a lui aussi vécu son chemin de croix : privé de pilote et d’une grande partie de son électronique, il est resté accroché à la barre pendant toute l’étape.
Pantins chancelants
Côté physique, les corps ont été meurtris par l’inconfort extrême des conditions de navigation (mer formée, bateau qui tape, grains, humidité générale). Dans la liste des bobos on trouve courbatures, contractures, bleus, maux de dos et surtout, des mains qui ont doublé de volume, quand elles ne sont pas à vif, comme celles d’Eric Drouglazet. Hier, sur les pontons de Dún Laoghaire, les Solitaires avaient des allures de pantins chancelants. Mais après une longue nuit de sommeil et un passage sous les mains expertes des kinés, ils retrouvent peu à peu forme humaine.
Pendant la deuxième étape, dès Cherbourg, le skipper de One Network Energies s’est senti très mal. Des boutons sont apparus partout sur son corps, avec de sévères démangeaisons. Baisse de régime, sensation de froid permanente. « J’étais claqué. Ca me grattait. C’était l’horreur avec le ciré ». Diagnostique en arrivant en Irlande : c’est la varicelle.
Les pénalités de la deuxième étape
Le Jury a dû se réunir pour dix réclamations et huit solitaires ont une pénalité. Yannig Livory (One Network Energies) et Louis Maurice Tannyères (St Ericsson) écopent d’une heure de pénalité pour ne pas avoir effectué la totalité du parcours : ils sont passés du mauvais côté des petites îles situées à deux milles de l’arrivée. Yoann Richomme (DLBC), Isabelle Joschke (Galettes Saint Michel) et Damien Guillou (La Solidarité Mutualiste) avaient le plomb de l’arbre d’hélice rompu : ils doivent rajouter 25 minutes à leur temps de course. Enfin, Sam Goodchild (Artemis), Sébastien Picault (Kickers) et Xavier Macaire (Starter Active Bridge) ont 5 minutes de pénalité pour un plomb de jauge de sécurité cassé. Ces pénalités ne modifient pas le classement des dix premiers.
Ils ont dit :
Gildas Morvan (Cercle Vert) : « En quinze Figaro, je n’ai jamais déchiré un seul spi. Là, j’en ai explosé deux ! Etre trahi par le matériel, c’est un peu dur à accepter. J’ai fait plus de 20 milles sous génois tangonné. C’était un peu la misère. Dans la tête, c’est un peu dur parce que j’étais dans le match de cette deuxième étape. J’aurais pu être entre 20 et 30 minutes derrière Jérémie au général et puis bon, voilà, c’est une heure. Donc c’est un peu lourd.»
Adrien Hardy (Agir Recouvrement) : « J’ai fait 16 heures de sommeil d’affilée. En fait, c’est marrant, c’est la faim qui réveille. Ou la soif. Je me sens encore fatigué. Je pense que si on avait été sous perfusion, on aurait dormi un peu plus encore ! Hier, j’ai eu du mal à monter les quelques marches de l’hôtel. La fatigue va commencer à s’accumuler donc il faut essayer de récupérer un maximum sur cette escale irlandaise ».
Alexis Loison (Port Chantereyne Cherbourg Octeville) : « Mon spi est chez le docteur. Côté physique, ce matin, j’ai mal au dos. Il faut remettre tout cela d’aplomb. Moralement… il faut que j’arrive à concrétiser les bons coups. Sur cette deuxième étape, j’ai dû me faire violence pour remonter de nombreuses places. Au final, je m’en sors pas mal. »