Desjoyeaux. « Je la voulais tant ! »

Multi Cup 60: Michel Desjoyeaux
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– Cette deuxième étape fut-elle aussi dure que la première ?

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« Oh que oui ! Là, je suis bien cassé. Cette victoire-là, je suis vraiment allé la chercher, je la voulais tant ! Si je me suis fait plaisir ? Disons que j’ai pris du plaisir à me faire mal parce qu’elle était vraiment dure cette étape. C’est la première fois que je passe deux jours et deux nuits en mer sans dormir une seule minute. Je n’ai pas mis le pilote une seule fois car il fallait barrer et régler en permanence. Choquer, border, choquer, border… Je ne sais pas combien de tours de manivelle j’ai pu faire. Pour autant, ce n’était pas monotone car il s’en est passé des choses, notamment en début d’étape. En Irlande, c’était très sollicitant. Ensuite, peu après le Fastnet, j’ai connu un petit passage à vide et il a fallu que je mette du charbon pour revenir devant. »

– A quel moment êtes-vous passé en tête ?

« A la bouée Racon, à l’ouest d’Ouessant. Là, j’avais un mille d’avance sur mes poursuivants et j’aurais pu faire fort… Hélas, j’ai commis quelques erreurs dans les changements de voiles d’avant. Sous spi, Mahé et Duthil sont passés devant moi. Puis, j’en ai repassé un, puis deux. Ensuite, il y avait le passage dans le goulet qui était assez incertain avec des trous d’air et du courant. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne fallait pas rester les mains dans les fouilles à attendre que ça se passe. Disons que le résultat final valait bien toute cette dépense d’énergie. »

– Fred Duthil vous a menacé jusqu’au bout. Avez-vous eu peur ?

« Ben non, pas vraiment, car je ne savais pas où il était. Je ne voyais pas son feu en tête de mât (sic). En revanche, il va vite le Duthil… C’est presque indécent ! Maintenant, on connaît bien mieux les forces en présence, ceux qui vont vite. Cela dit, je trouve qu’en vitesse, je ne suis pas si mal que ça… J’ai repéré les clients les plus rapides. Reste qu’avec la troisième étape qui se présente, tout reste à faire. » 

Propos recueillis par Philippe Eliès / Le Télégramme

Chronique des petites galères et autres bonheurs solitaires

Il s’en passe des choses sur une étape de 344 milles. Des choses que nous terriens, rivés devant nos écrans, suspendus à chaque classement, ne soupçonnons pas toujours, malgré les vacations quotidiennes. Voici quelques anecdotes vécues pendant la deuxième étape… entre bonheurs et petits soucis quotidiens.

Petite galères et incidents techniques 

La liste des spinnakers emmêlés dans l’étai à l’empannage, troués dans les barres de flèches ou pendant l’affalage, est longue comme un jour sans pain. Celui de Robert Nagy est passé sous le bateau. Handicapé par son poignet gauche, blessé lors du prologue à Caen, Robert a d’abord tenté de le hisser d’une main avant de passer une heure à le dégager de la quille de Théolia… à la force de son unique bras vaillant. Pour poursuivre l’état des lieux non exhaustif, Etienne Svilarich (Grain de Soleil) et Jean-Philippe Le Meitour (Crédit Mutuel de Normandie-Ville de Caen) ont galéré avec leurs ballasts et Pietro D’Ali (Kappa) talonné à son arrivée à Brest.

Frayeurs passagères 

A la frayeur d’Eric Drouglazet, obligé de plonger en pleine nuit pour couper un filet pris dans la quille de Luisina, s’est ajoutée celle de Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs) qui passait par là au même moment. « On était sous spi pleine balle et là je croise un bateau arrêté face au vent, voiles faseyantes. Je ne vois que la lumière de ses répétiteurs NKE, mais pas de frontale ni de lampe torche. Là, je me dis ‘le mec est dans l’eau’. J’appelle la direction de course et manque de bol, c’était le début de l’émission de Jean-Yves Chauve, donc j’attends la fin du générique, et finalement, j’aperçois enfin une frontale. Je comprends que le mec est de nouveau à bord. Mais je me suis fait une grosse frayeur »

Dans un autre registre, Frédéric Rivet (Novotel Caen) revient sur un départ au tas un peu violent après le départ de Crosshaven : « j’étais sous spi empétolé, quand j’ai vu une sorte de micro risée venue de je ne sais où. En fait de micro risée, il y a avait peut-être 50 nœuds dessous, le bateau a empanné et je me suis retrouvé au tas. Heureusement, je n’ai rien cassé. »

Au chapitre des hallucinations… 

Elles sont visuelles ou auditives, mais toujours cocasses. Gérald Véniard (Scutum) cherchera plusieurs minutes à quatre pattes dans son bateau d’où venait le drôle de bourdonnement… avant de prendre conscience qu’il était dans sa tête. Fred Rivet est poursuivi par les bulletins météo et les informations boursières de RFI et France Info, d’autres perçoivent de la musique (le chant des sirènes ?). Christian Bos (Belle Ile en Mer) a vu la mer prendre les couleurs d’un patchwork un peu kitch, rouge, vert et violet, et une myriade de petites embarcations à moteur au creux des vagues. Alexis Loison (All Mer Inéo Suez), confie avoir été victime d’un tas d’hallucinations, apercevant des bateaux à chaque crête de vague.

De drôles de freins sous les bateaux 

Des poissons lunes, des caisses de pêcheur, des algues, des filets… rien que de l’ordinaire dans la liste des OFNI inopportuns qui font se questionner les marins sur leur manque subit de vitesse. Jeanne Grégoire (Banque Populaire), elle, a fait une rencontre du troisième type : « j’avais la main d’E.T accrochée à ma quille. On aurait dit quatre doigts, je m’imaginais déjà un drôle de corps derrière. Je ne sais pas si c’était une algue ou une branche d’arbre, mais c’était très déroutant ». Gildas Mahé (Le Comptoir Immobilier), quant à lui, bénit sa rencontre avec une bille de bois. Un petit choc sur les safrans et voilà un nouveau réglage apparemment très efficace qui lui inspire à l’arrivée une métaphore culinaire « c’est un peu comme la tarte tatin, une recette réussie découverte tout à fait par hasard »

Oublis et autres étourderies 

Michel Desjoyeaux a été contraint de manger sa salade avec son tube de crème solaire en guise de cuillère, faute de couverts embarqués sur Foncia. Corentin Douguet (E.Leclerc Bouygues Telecom), s’est retrouvé sans gaz, obligé de manger froid ses repas lyophilisés et de boire son Nescafé bien frappé. Mais l’étourderie de Christian Bos s’est révélé bien plus handicapante. Le skipper de Belle Ile en Mer a passé toute l’étape sans ciré (oublié dans son hôtel de Crosshaven), avec une seule sous-couche polaire et un coupe vent… « Je me suis gelé pendant deux nuits, mais j’étais quand même à l’attaque ». 

Petits bonheurs

Antonio-Pedro Da Cruz (Baïko), s’est réjouit de la bonne marche de son pilote automatique (pour la première fois dans une étape de La Solitaire, dit-il) et des grands surfs sous spi arrivés comme un cadeau d’anniversaire pour ses 41 ans, le lendemain du départ.

A 18 ans, Quentin Le Nabour (Votre nom pour le Figaro), plus jeune marin engagé dans cette édition, s’émerveillait de doubler pour la première fois le Fastnet : « Je suis passé à 5 ou 10 mètres du caillou, c’était comme dans les livres d’images ». Le bizuth Aymeric Belloir (Cap 56) s’est étonné des “gouttes d’eau de la taille d’une balle de tennis” sous les grains, et régalé du coucher de soleil au passage du Fastnet puis des lumières du petit jour à son arrivée dans la rade de Brest. Pendant toute leur descente sous spi jusqu’à Ouessant, les solitaires ont été escortés par une multitudes de dauphins très joueurs. « Ils étaient peut-être charmés par le grincement de la poulie de mon bras de spi. C’est assez rare, en général, ils ne restent jouer que quelques minutes » raconte Etienne Svilarich. Même écho chez Marc Thiercelin (Siemens), qui n’avait jamais vu autant de dauphins rester aussi longtemps au contact des bateaux. Gildas Morvan, après s’être extasié sur la beauté des côtes irlandaises, jugeait ces mammifères marins certes charmants mais un peu trop envahissants : « A la longue, ils sont pénibles ! Ils n’arrêtent pas de jouer avec les safrans, ils te surprennent de tous les côtés, j’ai bien cru que l’un d’entre eux finirait sur le pont ».

Echos des pontons

Réunion du Jury
Le Jury s’est réuni à Brest pour instruire 15 cas d’infractions bénignes commises par certains concurrents. Seuls 6 de ces cas ont fait l’objet de pénalités (en temps) minimum, la bonne foi des concurrents ayant été retenue systématiquement.

Jean-Pierre Nicol (Gavottes), Patrice Bougard (Kogane) et Marc Thiercelin (Siemens) écopent de pénalités de 5 minutes pour des descellements de plombages dans la première étape.

Dans la deuxième étape, Didier Bouillard (MEDevent), reçoit un malus de 20 minutes pour cause d’arbre d’hélice déplombé, Jimmy Le Baut (Port Olona-Arrimer) 4 minutes pour son niveau de gasoil non conforme avant le départ. Enfin, Pietro D’Ali (Kappa), reçoit 5 minutes pour ne pas avoir passé la porte de Penhir. Ces pénalités n’ont eu que peu d’effet au classement général : seuls Didier Bouillard et Marc Thiercelin perdent une place.

A Brest, les skippers récupèrent

Les skippers de La Solitaire Afflelou Le Figaro émergent peu à peu de leur léthargie. Depuis leur arrivée, la plupart ont dormi une bonne vingtaine d’heures pour tenter de combler leur déficit de sommeil. De longues siestes sont encore au programme car la deuxième étape, unanimement qualifiée d’épuisante, a laissé des traces, comme en témoignent les mines encore défraîchies, les démarches mal assurées et les dos toujours un peu raides. Les préparateurs, eux, sont à pied d’œuvre pour s’occuper du matériel : il faut rafistoler de nombreux spinnakers, régler quelques problèmes de ballasts, changer l’arbre d’hélice et l’hélice de Foncia (endommagés pendant la levée du bateau pour la jauge des appendices), réparer le bulbe de Kappa, Pietro D’Ali ayant talonné avant l’arrivée…