La souris a accouché d’une montagne. La plus petite étape de cette 37e Solitaire, la plus courte, a vu se créer des écarts monstrueux. L’exploit insensé réussi par Nicolas Troussel (Financo) et Thierry Chabagny (Littoral), partis seuls dans l’ouest, laisse groggys 42 des 44 navigateurs. L’immense majorité de la flotte a la gueule de bois aujourd’hui, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Crucifiés chez les Gillocruciens. Jimmy Le Baut (Port Olona) a fermé la marche cette nuit hors temps, plus de vingt heures après Nicolas Troussel. Tous les grands favoris accusent des retards compris entre sept et onze heures. On fait grâce des minutes… Des exemples ? Pourtant signataire d’une belle 4e place à l’étape, Gérald Véniard (Scutum) est désormais également 4e du général, mais avec 6h33’ de retard. Gérald vient en outre d’écoper d’une pénalité de 24 minutes sur la première étape pour dépassement du poids à embarquer (lire par ailleurs). Mais il n’a pas perdu pour autant toutes ses illusions de voir briller ses couleurs orangées sur le sol irlandais. Il dit : « mon objectif est toujours de finir dans les 10 premiers au général et je vais me battre bec et ongles. »
Chez les grands favoris, on a déjà fait les comptes. Info ou intox, façon peut-être de mettre la pression sur les deux leaders, on leur accorde volontiers déjà les deux premières places à Concarneau. On répète à qui veut l’entendre que seule la troisième place d’Armel Le Cléac’h est éventuellement attaquable. On simplifie. C’est un peu tôt. En fouillant, on finit par dénicher des raisons d’espérer. Par trouver un Erwan Tabarly (Iceberg Finance, 7e au général à 7h32) qui tempère l’écrasement en se souvenant : « une fois, à l’arrivée à Dingle justement, j’étais juste derrière le trio de tête. Et puis le vent est tombé pile devant moi et ils m’ont mis six heures dans la vue. Six heures ! Alors même si Nico et Thierry ont une énorme avance, tout est encore du domaine du possible. » On l’a déjà écrit ici : impossible n’est pas figariste. Et si un coup tel a statistiquement peu de chances de se reproduire, son impossibilité totale n’est inscrite nulle part.
479 milles vers la verte Erin
Armel Le Cléac’h (Brit Air, 3e à 5h29) sait mieux que quiconque, qu’il ne faut jurer de rien, lui qui a déjà gagné La Solitaire pour 13 secondes. « En distance, on n’est pas encore à la moitié de l’épreuve. Il peut se passer beaucoup de choses dès cette étape, notamment après la pointe Bretagne où on va tirer des bords dans de la mer et du vent fort, sans doute 30 nœuds dans l’axe ».
Car voilà. Fourbus ou pas, revigorés ou pas par deux petites nuits de sommeil et des passages chez les kinés de la course où l’on sait que certains sont déjà allés taquiner la limite (avalanche d’hallucinations de fatigue : certains ont vu des pelleteuses en pleine mer, d’autres ont perdu 5 kg depuis le départ), ils repartent demain.
La direction et le comité de course leur ont toutefois accordé deux « faveurs », prévues par le règlement : le départ sera donné à 13h au lieu de 11h et surtout, on fera route directe vers l’Irlande, sans descendre au préalable virer la bouée du pertuis d’Antioche. « Nous les faisons partir directement vers une porte sous l’île d’Yeu, puis ils doivent laisser Ouessant et le Fastnet sur leur tribord » résume Christian Gout, directeur de course.
Raboté de 70 milles, le parcours se trouve « réduit » à 479 milles. Près de deux fois l’étape qui vient de faire tant de dégâts. C’est toujours à un Tourmalet de la voile que vont être confrontés les 44 solitaires… Et comme souvent quand on parle d’accéder à la verte Erin depuis le bas des cartes, on s’attend à ce que ce ne soit pas un concours de poésie. Le fighting spirit (l’esprit de combat, ndr) cher aux rugbymen du trèfle va s’appliquer aussi aux marins : il va falloir ferrailler ferme pour espérer, qui gagner l’étape, qui revenir au général, qui jouer le classement Bénéteau des bizuths où Christopher Pratt (Espoir Crédit Agricole) met jusqu’ici tout le monde d’accord.
Pour l’instant, on voit la flotte arriver à Ouessant 24 heures après le départ, doubler les Scilly un jour plus tard et toucher Dingle dans la nuit de lundi à mardi. Mais la dernière étape a prouvé que la météo n’était pas près d’émarger au rayon des sciences exactes. Enfin, on rappelle avec Gildas Mahé (Le Comptoir Immobilier) et Thierry Chabagny qu’il ne faut jamais perdre de vue que « la voile est d’abord et avant tout un jeu ». Et dans la plupart des jeux on peut tout perdre à tout moment. Ou tout gagner.
L’écho du Large:
Nicolas Troussel, (Financo, leader) : « Le temps de récupération est extrêmement court, même pas eu le temps de fêter la victoire et on repart. Franchement, j’aurais bien pris un jour de repos supplémentaire…Et encore pour moi ça va, mais j’ai une pensée pour ceux qui sont arrivés dans la nuit, ceux qui n’ont pas assez de budget pour avoir un préparateur. J’ai été dans ce cas là souvent et je sais que ce n’est pas évident. Je vais me plonger dans la météo dès ce midi et me reposer encore pour être d’attaque demain. »
Thierry Chabagny (Littoral, 2e à 1h31’) : « Nico et moi avons fait un bon coup, mais en ce qui me concerne je n’ai pas encore épanché ma soif de victoire d’étape. Alors bien sûr que je vais attaquer et tenter de gagner ! »
Armel Le Cléac’h (Brit Air, 3e à 5h29’) : « L’écart créé par Nico et Thierry n’est pas un drame. C’est la place qui compte et pour l’instant troisième c’est déjà très bien. Je suis sur le podium, avec du monde qui pousse derrière. Je vais continuer à faire ma course sans penser aux deux premiers, pour l’instant je suis dans le bon tempo. »
Le Prix Argos pour Christophe Lebas (Armor Lux)
Christophe Lebas (Armor Lux) a remporté le Prix Argos de la deuxième étape qui récompense le skipper ayant réalisé la meilleure progression entre la bouée Radio France (dernière marque du parcours côtier de Santander) et l’arrivée. Parti en 35e position, Christophe Lebas a gagné 22 places tout au long du parcours vers Saint-Gilles-Croix-de-Vie où il est arrivé 13e.
Record Hublot et Grand Prix Suzuki pour Nicolas Troussel (Financo)
Vainqueur à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, le skipper de Financo cumule les récompenses. Il a réalisé la plus grande distance parcourue sur 24h00 entre le 15 et le 16 août : 153 milles, à 6,4 nœuds de moyenne. Il remporte donc le prix Hublot, décerné par le chronométreur officiel de la Solitaire Afflelou le Figaro. En tête à la marque des Birvideaux, il s’adjuge également le Grand Prix Suzuki.
Bouleversement chez les bizuths
Cette deuxième étape a provoqué du remue-ménage dans le classement Bénéteau des bizuths. En tête, Christopher Pratt (Espoir Crédit Agricole) a pris la place de Gildas Mahé (Le Comptoir immobilier) et dispose désormais d’une confortable avance d’une heure sur ce dernier. Erwan Israel (Delta Dore), régulier, complète le podium. Ce trio se tient en 1h37 et laisse sur le carreau la plupart de ses poursuivants qui ont accusé, comme l’ensemble de la flotte, des écarts importants à l’arrivée. Les grands gagnants du parcours Santander/ Saint-Gilles-Croix-de-Vie sont Robert Nagy (Théolia) et Jean Pierre Dick (Virbac-Paprec) qui ont respectivement gagné 5 et 6 places au classement général. A l’inverse, Corentin Douguet (E.Leclerc Bouygues Telecom) a beaucoup perdu sur ces 314 milles de course. Il est passé de la deuxième à la septième position et cumule désormais 5 heures de retard sur Christopher.