Cette troisième nuit de course ne ressemble en rien aux deux premières. Au large, à la latitude de l’estuaire de la Gironde, la flotte groupée a bien profité de ce véritable cadeau qu’est une nuit de glisse au portant, sous spi. Terminées les histoires d’algues coincées dans la quille et les safrans, les recherches de contre-courants dans les cailloux, l’interdiction absolue de dormir. On va toujours relativement vite, aux environs de 8 nœuds. Et si la superbe pleine lune de la première partie de nuit a disparu sous un manteau nuageux relativement bas, la visibilité est bonne, la mer à peine agitée d’une faible houle, et chacun voit des petits camarades à proximité. Une belle nuit passible et rapide. En somme, « de la vraie voile, quoi ! » plaisante Armel Tripon (Gedimat, 12e à 4 milles), qui imagine déjà un scénario avec une arrivée très groupée en Espagne.
La plupart a réussi à se reposer, sous pilote. Certains ont beaucoup dormi pour récupérer des deux premières journées de course éreintantes. Parfois trop, comme Kito de Pavant (Groupe Bel, 11e à 3,5 milles) : «j’étais parti pour une sieste de 20 minutes et j’ai fait un coma de 5 heures ! ». Au pointage de 4h, le trio de tête est inchangé : Armel Le Cléac’h (Brit Air) est toujours leader à 132 milles de l’arrivée à Gijon. Il précède Yann Eliès (Generali-Europ Assistance) de 0,8 milles et Thomas Rouxel (Crédit Mutuel de Bretagne) de 1,5 mille. Et si ces trois là semblent légèrement détachés… un rapide coup d’œil à l’extérieur, depuis le pont de notre catamaran DC Mer, montre qu’il faut se méfier des pointages: de fait, les feux de mâts font un joli arc de cercle, d’est en ouest, mais les bateaux sont proches les uns des autres. Rien n’est joué, donc. Il ne faut que 5 milles calculés en terme de distance au but – donc à relativiser – pour faire tenir les 20 premiers.
L’info du matin est que la bataille des empannages est déclenchée. On tricote de nouveau après ce long tout droit sous spi, engagé hier matin après la pointe du Raz. Pour l’instant, le vent ne mollit que très faiblement (12 à 13 nœuds au lieu de 15), mais comme il est désormais quasiment au Nord, les solitaires cherchent de l’angle, donc de la vitesse, tout en préparant la négociation de cette fameuse dorsale anticyclonique sans vent qui leur remue les méninges. La grosse molle est prévue cet après-midi, avec des vents potentiellement inférieurs à 5 nœuds…
Ils ont dit :
Karine Fauconnier (Eric Bompard Cachemire), 6e au classement de 4h30
« Il m’est arrivé un truc pas très drôle : j’ai fait un petit empannage pour essayer et au bout de dix minutes ce n’était pas ça, donc j’ai de nouveau empanné mais là, alors que j’étais debout à l’avant avec le tangon, une vague m’a ramené sur la mauvaise panne. Résultat : un cocotier avec des tours partout… le genre de truc indéfaisable ! J’ai finalement réussi à le défaire mais je pense avoir perdu au moins un mille dans l’histoire…»
François Gabart (Skipper Macif 2010), 7e au classement de 4h30
« Cette étape est d’anthologie : la Manche était superbe, avec des coups à jouer partout. Je suis passé du groupe de tête à trentième plusieurs fois successivement. Là, je suis plutôt dans le bon paquet, si je pouvais y rester jusqu’à l’arrivée en Espagne ce serait bien ! On a un ou deux empannages à caler pour se retrouver bâbord amures dans du vent de Nord-Est… avant de se méfiant de la pétole sur les côtes espagnoles où il y a de grandes chances que ça tamponne. »
Kito de Pavant (Groupe Bel), 11e au classement de 4h30
« J’en ai une bien bonne à raconter : je me suis réveillé il n’y pas longtemps… et je crois que j’ai dormi cinq heures d’affilée ! J’étais parti pour une sieste de 20 minutes et j’ai oublié le réveil… j’ai fait un coma ! Il y a plein de bateaux autour de moi et je ne sais pas qui c’est. On était sous pilote et le vent est assez stable donc je ne pense pas qu’il y ait de gros dégâts (en placement dans le flotte, ndr) mais je ne suis pas très content de moi ! Les deux premières journées ont été dures. Je ne suis toujours pas très bien placé, il a fallu s’arracher pour tenter plein de choses, plus ou moins bonnes. On ne sait pas trop ce qui va se passer dans le détail avec cette dorsale, moi je n’ai pas envie d’aller dans l’Ouest, je privilégie le côté Est de la piste. »
Armel Tripon (Gedimat), 12e au classement de 4h30
« Ca nous change de La Manche ! Là on fait de la vraie voile au portant, sans avoir besoin de surveiller les algues en permanence. C’est quand même sympa. On a pu se reposer et puis l’échiquier est en place. Deux ou trois bateaux sont un peu détachés, mais globalement c’est assez groupé : j’ai l’impression que ça va faire une arrivée sans trop d’écarts pour cette plus longue étape de la Solitaire. »
Classement de 8 h 30
1 LE CLEAC’H Armel BRIT AIR à 108,10 milles de l’arrivée
2 ELIES Yann GENERALI-EUROP ASSISTANCE à 0,4 mille
3 PERON Eric SKIPPER MACIF 2009 à 0,7 mille
4 GABART François SKIPPER MACIF 2010 à 1,6 milles
5 ROUXEL Thomas Crédit Mutuel de Bretagne à 2,1 milles