Après un louvoyage de plus de 10 heures sous les côtes irlandaises, les concurrents ont franchi hier soir le phare du Fastnet, sorte de bouée au vent de cette étape de 344 milles.
Au passage du fameux rocher, les grands spinnakers sont sortis de leur sac et voilà nos 50 solitaires au beau milieu de leur bord de portant (longueur totale 230 milles !), entre la pointe de l’Angleterre et la pointe de Bretagne.
Entre plaisir et fatigue
Les conditions restent fun mais fatigantes et les marins n’ont eu que peu d’occasions de se reposer depuis le départ de Crosshaven. A l’attention requise pour négocier les grains et les bascules sous les côtes irlandaises, s’est succédé un autre exercice de style qui exige tout autant de vigilance : le portant. Accrochés à la barre depuis 23 heures la nuit dernière, les marins font avancer leur machine et exploitent chaque vague, pour faire monter les ‘speedo’ et gagner de précieux mètres sur leurs proches adversaires. « La glisse est superbe » nous écrit Jacques Caraës à bord du bateau Direction de Course. « Ce matin, on s’est faufilé pour le plaisir entre les concurrents de tête. Il y a de très belles images de surfs et de passages dans les vagues. Parfois on ne voit que les gréements tirés par leurs spi,la coque masquée par les crêtes de vagues…»
Certains, comme Jean-Paul Mouren (M@arseillEnreprises), prennent dans cette allure instable « un plaisir perpétuel ». Inévitablement, d’autres ont connu quelques mésaventures. Eric Drouglazet racontait avoir déchiré son spi puis avoir mis une bonne heure pour effectuer une réparation de fortune. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, il était contraint de plonger, à trois heures du matin, pour couper au couteau un filet de pêche enroulé sur la quille de Luisina. A la vacation de 13h00, Thomas Rouxel (Défi Mousquetaires) et Jean-Pierre Nicol (Gavottes) relataient leur empannage rock’n roll, suivi d’un beau nœud dans le spi. Heureusement pour les figaristes les moins expérimentés, le nombre de manœuvres dans ce long run s’est limité à un ou deux empannages.
En rang serré vers l’arrivée
Cette course d’endurance, sur un seul bord (bâbord) n’est pourtant pas exempte de stratégie. Car pour viser la pointe Bretonne, chacun a choisi sa trajectoire. Le concurrent le plus au large (Marc Thiercelin) et celui le plus à l’est (Jean François Bulot), sont séparés de 20 milles. Mais le groupe des leaders, par précaution tactique plus que par instinct grégaire, est en revanche très compact. Les 15 premiers évoluent dans un rayon de 2 milles et de nombreux bateaux naviguent à vue. Au classement de 15h30, Michel Desjoyeaux (Foncia) a pris les commandes au détriment de Gildas Morvan (Cercle Vert), auteur de surfs à plus de 15 nœuds, classé en tête ce matin devant Christophe Lebas (Lola, La piscine assemblée). Ce dernier, qui s’était judicieusement recalé après un début de descente au large, reste toujours pointé 3e, juste derrière Gildas Mahé (Le Comptoir Immobilier). En pôle position, on retrouve en fait les partisans d’une trajectoire à droite de la route, un placement payant, destiné à profiter d’une bascule du vent au nord-est : Desjoyeaux, Mahé et dans leur sillage Thierry Chabagny (Brossard), Frédéric Duthil (Distinxion), et Ronan Treussart (Groupe Céléos). Au milieu de ce groupe, viennent s’intercaler des coureurs plus proches de la route directe : Lebas et Morvan mais aussi Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs), Thomas Rouxel (Défi Mousquetaires), Gérald Véniard (Scutum). Pour résumer la situation, les 18 premiers figaristes se tiennent en moins de 5 milles et d’ici le finish à Brest, aucune place n’est définitivement acquise. Les solitaires auront avalé à grandes bouchées les 230 milles de portant, véritable plat de résistance de cette deuxième étape. Ils trouveront peut-être le dessert moins digeste. Les derniers milles de course dans le goulet de Brest se joueront dans les courants et un vent faiblissant (moins de 10 nœuds), avec une possible redistribution des cartes demain matin sur la ligne d’arrivée.
Echos du large
Jean-Pierre Nicol (Gavottes) : « Je suis un peu déçu car je suis loin du paquet de tête et c’est un peu moins rigolo de courir comme ça derrière les copains. Mais sinon je fais de beaux surfs et ça déboule, c’est sympa. J’ai pris un départ catastrophique à l’entrée de Cork, je suis resté dans une bulle et j’ai regardé tout le monde passer devant moi en restant collé. Depuis je rame, j’ai fait un petit cocotier cette nuit histoire de confirmer ma place de dernier… mais ça va j’essaie de récupérer un peu dans la perspective de la troisième étape. C’est une course difficile ! »
Gildas Morvan (Cercle Vert) : « On est toujours impatient de rentrer à la maison mais les conditions sont agréables je viens de dormir 20 minutes, ça fait du bien et ça roule ! Depuis le Fastnet j’étais à la barre non stop, y’avait des trucs à faire, il fallait barrer. Là ça se calme un peu, je vais manger un morceau. Rentrer à Brest c’est sympa car c’est là que j’ai démarré le bateau. J’ai fait un surf à 16 nœuds, donc des fois ça va pas mal mais là ça vient de mollir un peu… »
Nicolas Troussel (Financo) : «On a une belle journée, maintenant j’ai pris un peu de retard cette nuit donc voilà, on va voir comment ça va se passer d’ici la fin de parcours. J’ai bien croisé dans la nuit devant Comptoir Immobilier, je pensais que ça passait à droite et c’était un peu plus à gauche. Il y a plein de spis partout, j’ai Leclerc à côté et Intermarché (sic) et puis Drouglazet et Liz Wardley. J’espère qu’il y aura deux ou trois coups à faire malgré tout dans le goulet où ça peut être un peu foireux.»
Thomas Rouxel (Défi Mousquetaires) : « Bilan mitigé des premières 24 heures, le début a été bien difficile le long des côtes irlandaises où malgré un paysage magnifique, on a eu des conditions compliquées avec des grains, du vent de la pétole… Je passe en milieu de flotte au Fastnet. Ensuite, c’était le bord de vent arrière et si j’ai bien choisi le moment en attendant plus que les autres, j’ai raté ma manœuvre et j’ai perdu une demi-heure à défaire les nœuds dans un cocotier dans l’empannage. J’étais assez en colère contre moi, mais heureusement j’ai une bonne vitesse et j’ai pu revenir. En revanche je me suis bien crevé. On est passé du vent arrière au largue un peu plus serré, donc c’est délicat de lâcher la barre. J’ai quand même réussi à dormir un peu en début de nuit et à bien manger. »
Eric Drouglazet (Luisina) : « Que des soucis pour Luisina, que des soucis.. J’ai explosé mon spi dans les barres de flèche dans les grains, j’ai fait un gros trou dedans… J’ai réparé mais je suis un peu fébrile. Ensuite, j’ai pris un filet de pêche dans la quille et j’ai été obligé de plonger, du coup Nicolas Bérenger a appelé le bateau sécurité car il craignait que je ne sois plus à bord, vu que j’étais bout au vent. J’ai eu un coup de flip dessous, avec le filet autour de la taille, ce n’était pas très rassurant en pleine nuit vers 3h du matin. Quand Koné a appelé, j’étais sous l’eau. J’ai perdu 3 milles et quand on voit comment c’est dur de gagner 100 mètres… mais bon, content d’être en mer quand même parce qu’on a des conditions exceptionnelles et on a eu une belle trajectoire inhabituelle près des côtes irlandaises où on a bien remarqué que les cailloux sont hostiles. On arrivera demain matin, ça tombe bien car avec la grande course à suivre, deux ou trois jours à terre c’est pas mal.»