Sous un ciel dégagé, entre les collines des pointes de Herminio et Seixo Blanco qui bordent la ria de La Corogne, la flotte s’est gentiment élancée au près dans un vent de nord de 10 nœuds, bercée par une houle ample de 2 mètres. Trois concurrents ont du revenir sur la ligne après avoir volé le départ : Thierry Chabagny (Brossard), Franck Le Gal (Lenze) et Pietro D’Ali (Kappa). A 15h43, à l’issue d’un petit parcours côtier de 3 milles, Christopher Pratt (Espoir Crédit Agricole) est le premier à affaler son spinnaker au passage de la bouée Radio France, suivi de Gildas Morvan (Cercle Vert), Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs), Armel Tripon (Gedimat) et Marc Emig (A.ST Group). A ce stade, avant d’entamer une remontée au louvoyage de 35 milles pour sortir des côtes espagnoles et laisser à droite le cap Ortegal, les écarts entre les concurrents étaient négligeables.
Méthode Coué
Ne pas penser au classement général et se concentrer sur cette ultime étape, comme si les trois autres n’avaient jamais existé, exorciser la pression et se convaincre qu’elle ne vous atteint pas, penser avant tout à se faire plaisir… Ce matin, juste avant de larguer les amarres, le leitmotiv finissait par tenir du lieu commun. Ces litanies d’avant départ ne trompent personne et relèvent surtout de la méthode Coué. Car sur les pontons du très aristocratique Royal Club Nautico de La Coruña, tôt investi par une horde de marins en bottes et de préparateurs en tongs, les visages trahissaient les discours. La pression, oui, ils l’ont, que ce soit pour les enjeux de la compétition, qui cette fois touche à sa fin, ou pour le coup de tabac qui va à nouveau s’abattre sur eux, dès lundi après-midi.
L’appétit vient en mangeant
Certes, quelques coureurs ont déjà atteint, si ce n’est surpassé leurs objectifs. C’est le cas de Corentin Douguet (E.Leclerc/Bouygues Telecom) et de Gildas Mahé (Le Comptoir Immobilier). Ces deux là n’en sont qu’à leur deuxième participation à La Solitaire et se retrouvent respectivement en 2e et 4e position au général. Frédéric Duthil (Distinxion) a pour l’instant rempli 100% de son contrat, à savoir gagner une étape et terminer dans les 5 premiers. A les entendre, ils pourraient bien se contenter de leur sort. Mais qui peut réellement prétendre que l’appétit ne vient pas en mangeant ? Michel Desjoyeaux (Foncia), déjà double vainqueur de l’épreuve, actuellement en tête au classement général, est le premier à proclamer qu’il n’a rien à prouver. « La pression me fait doucement rigoler » disait-il à la veille du départ. En réalité, ce qui ferait vraiment rire le ‘professeur’, ce serait de donner leçon à tout le monde après un an d’absence sur le circuit et accessoirement de réussir le triplé pour égaler Philippe Poupon et Jean Le Cam. Pour cela, il devra résister aux assauts de Douguet, motivé pour gagner par « l’envie de retrouver son fils et parce que son brûleur de gaz, qui a rendu l’âme, va l’obliger à manger froid jusqu’à l’arrivée » dit-il en plaisantant. Le danger viendra aussi du 3e Nicolas Troussel, le vainqueur de 2006, aussi discret qu’efficace. Quatorze minutes les séparent : une pichenette au regard des 355 milles du parcours.
A fond jusqu’au finish
En dehors du podium provisoire, Gildas Mahé est le plus redouté des prétendants. D’abord parce qu’il n’est qu’à 30 minutes de Troussel, ensuite parce qu’unanimement reconnu comme un des tout bons. « J’ai toujours l’espoir de monter sur le podium et pourquoi pas gagner pendant qu’on y est ! » confie Mahé sur les pontons. Cet espoir est aussi caressé par quelques relégués du classement. Gildas Morvan (Cercle Vert), 9e à 2h28 du leader, se remémore avec envie une étape de 2005 où un passage de front avait créé des écarts de deux heures au sein de la flotte… comme celui qui les attend lundi. Corentin Douguet rappelle à juste titre que le moindre souci technique ou la moindre manœuvre ratée, lorsque les bateaux avanceront à 10 ou 12 nœuds lundi soir, peut très vite faire des dégâts. Le coup du sort, la stratégie magique, ils y croient, ils espèrent, malgré ce parcours apparenté à un ‘tout droit’. Ce qui est certain, c’est qu’ils se donneront tous à fond dans cette dernière bagarre de 355 milles jusqu’aux Sables d’Olonne, ville de départ et d’arrivée d’une autre grande classique en solitaire que connaissent bien Bertrand de Broc (les Mousquetaires), Marc Thiercelin (Siemens) et Michel Desjoyeaux qui y a déjà été accueilli en vainqueur… En attendant la longue cavalcade au reaching ou sous spi, accompagnée d’un vent de nord-ouest, fraîchissant lundi soir jusqu’à 40 nœuds dans les rafales, les 48 solitaires ont d’abord droit à une partie de louvoyage de 35 milles pour sortir des côtes espagnoles. Leur première nuit sera relativement douce. Ils en profiteront peut-être pour dormir avant de s’accrocher à la barre jusqu’à la ligne d’arrivée.
Les échos du large
Christopher Pratt (Espoir Crédit Agricole) à la vacation de 17h00 : « J’étais en train de me dire que l’Espagne me réussit bien car l’an dernier aussi j’étais parti en tête. On est au près vers le Cabo Ortegal. Le vent vient de rentrer un peu, ça ne mouille pas encore mais je viens d’enfiler un ciré car il y a déjà pas mal de mer. Il y a des petites bascules de vent à gérer, on attend la bascule à gauche (à l’ouest, ndr) en fin d’après-midi, celle-ci nous permettra de virer pour nous mettre sur la route des Sables d’Olonne. Pour une fois cette année j’ai pris un bon départ et j’espère que c’est de bon augure pour la suite. Je suis tellement pressé de retrouver ma petite fille que je vais me dépêcher d’arriver aux Sables pour la prendre dans mes bras ».
Gildas Morvan (Cercle Vert) à la vacation de 17h00: « Le vent grimpe, on a 18 nœuds déjà, ça va être du près, sous le soleil, être devant, c’est pas mal… Ceci dit il y a déjà de la mer, ça cogne pas mal. Il y aura sûrement du boulot au vent des côtes espagnoles, il faudra être aux aguets. J’ai Koné Ascenseurs juste derrière moi et sous mon vent, assez loin, Espoir Crédit Agricole. »
Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs) à la vacation de 17h00 : « Sur ce genre d’étape, c’est bien d’être devant dès le début. Donc tout va bien pour Koné Ascenseurs sous le soleil espagnol. L’idée c’est de se positionner pour la suite. La mer est chaotique, ça bouge dans tous les sens et ce n’est pas facile, il y a du ressac dû à la proximité de la côte. Ce sera le même format de sommeil que sur la deuxième étape, à savoir zéro sommeil jusqu’à l’arrivée.»
Les échos des pontons
Corentin Douguet (E.Leclerc/Bouygues Telecom): « On ne peut pas faire du marquage pendant 350 milles, la nuit tous les chats sont gris. Donc, je vais plutôt essayer de naviguer comme je l’ai fait depuis le début sans me prendre trop la tête. J’ai rien à perdre sur cette étape, je suis déjà bien au-delà de mes objectifs fixés avant La Solitaire. J’ai tout à gagner et je ne vais pas commencer à chasser Mich sur la ligne de départ ! Mes motivations : j’ai envie d’être le premier à retrouver mon fils… Sinon, mon brûleur de gaz a rendu l’âme définitivement. Cela sera donc une étape froide ! J’ai une cocotte de pâtes, un thermos de café pour la première nuit, après ce sera café froid, ça fait une autre bonne raison pour arriver vite. »