Il aura fallu s’y reprendre à trois fois pour lâcher la meute ! Dans un premier temps, un souffle d’ouest permettait au Comité de course de La Solitaire Afflelou Le Figaro de donner un premier départ à 15h ce samedi après-midi, en rade de Brest, avant que la flotte ne soit rapidement neutralisée, suite à un changement de parcours non compris d’un grand nombre de concurrents. De 15h à 17h 30, la flotte a donc passé hors course le goulet de Brest, dans de petits airs et du courant déjà exigeants aux réglages et à la barre. Le spectacle était malgré tout au rendez-vous entre la pointe de l’Armorique – cette Armorique que l’on quitte – et la pointe des Espagnols, ibères amis chez qui l’on va toujours. Mais c’est finalement dans l’anse de Berthaume, à la sortie du goulet de Brest, que la flotte pouvait de nouveau être regroupée vers 17h30.
A 17h50, un deuxième départ était lancé… mais finalement annulé lui aussi par un rappel général ! Ce n’est donc qu’au troisième essai, donné sous le menaçant pavillon Z (deux heures de pénalité sans instruction) que la flotte était enfin lâchée à 18h10, dans un flux d’ouest-sud-ouest d’une dizaine de nœuds. Bon départ, cette fois pour toute la flotte, à l’exception du malheureux leader du classement bizuths Vincent Biarnes (Côtes d’Armor), rappel individuel, lequel part donc avec un lourd handicap.
A 18h45, la bouée au vent Radio France n’était toujours pas franchie. Au ras des cailloux, le spectacle était déjà somptueux dans une lumière rasante, avec une bagarre au près à gauche entre Michel Desjoyeaux (Foncia) et Pietro D’Ali (Kappa) et à droite entre Christopher Pratt (Espoir Crédit Agricole), Robert Nagy (Theolia), Fred Duthil (Distinxion) et Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs). Après cette bouée Radio France, la prochaine marque à respecter ensuite sera la bouée BXA, dans l’estuaire de la Gironde, où sera jugé le Grand Prix Suzuki. Car on sait depuis ce matin que pour voguer de Finistère en Finisterre on n’ira finalement pas escalader l’irlandais Fastnet, où le passage d’une importante dépression annonce des vents de 50 nœuds et des creux de 5 à 6 mètres. Trop. Le directeur de course Jacques Caraës n’a d’ailleurs enregistré aucune plainte des skippers suite à cette modification du parcours. Il faut dire que là-haut, même les Anglais diffèrent le départ la Fastnet Race – pourtant en équipage – pour les mêmes raisons. «La voile, ce n’est pas les jeux du cirque », a expliqué Jacques Caräes. « C’est une sage décision », a répondu le bizuth Nicolas Lunven (Bostik), résumant un sentiment largement majoritaire au sein de la flotte.
560 milles pour les costauds
C’est donc pour une étape de 560 milles que s’élancent finalement ce soir dans la jolie lumière du soleil rasant les marins de La Solitaire, qui sont désormais dans le vif du sujet et tentent de progresser au mieux vers cette fameuse bouée BXA. Côté météo, cette marque de l’estuaire de la Gironde pourrait d’ailleurs fort bien marquer une frontière entre deux portions de courses très différentes qu’on peut résumer ainsi : petits airs jusqu’à la Gironde, mais vent soutenu et mer formée ensuite. On annonce ainsi sur les 300 derniers milles du parcours du vent de sud-ouest de 35 nœuds qui obligera à louvoyer vers La Corogne, sur un terrain de jeu – le golfe de Gascogne – pas franchement réputé pour son hospitalité dans ces conditions. Saute-mouton au programme « pour les costauds du bûcheronnage » comme dit Thierry Chabagny (Brossard). « C’est un autre exercice que celui qui était prévu » confirme Jeanne Grégoire (Banque Populaire) qui résume à sa façon ce qui attend les marins : « la première partie jusqu’à BXA est typique d’une étape de La Solitaire dans le petit temps : de la pétole, du plein vent arrière, tout ce qu’on aime ! Après, ce sera baston au près jusqu’à la Corogne ».
Baston au louvoyage. Autrement dit stratégie et tactique dans des conditions inconfortables. Possibilité de donner un grand coup de pied dans la fourmilière du classement général. A condition de faire la meilleure trajectoire et d’être parmi les costauds qui tiendront le choc. Qui iront vite et au bon endroit. Car il ne faut pas s’y tromper : si cette troisième manche affiche 200 milles de moins qu’initialement prévu, elle est tout sauf une étape au rabais. Même amputée de 200 milles, elle reste de très loin la plus longue manche de cette édition 2007 et conserve intacte sa réputation de juge de paix d’un classement général où les sept premiers tiennent en une heure et où deux heures suffisent à loger la moitié de la flotte. On n’en est pas encore là. Pour l’instant, la flotte se débat aux abords de la Presqu’île de Crozon, où l’on distingue presque les accords lointains émanant du très réussi Festival du Bout du Monde. Sur l’eau c’est une toute autre musique qui se trame sous des crânes fatalement échaudés par ce départ mouvementé. Une petite ritournelle lancinante qui fait : ne rien lâcher-aller vite-au bon endroit-ne rien lâcher… Le jeu est grand ouvert et tout pourrait bien se jouer entre ce soir et mercredi, quand les premiers pourront enfin tutoyer les abords du Cap Finisterre.
Les échos des pontons, juste avant le départ
Fred Duthil (Distinxion, leader au général) : « Il faut s’adapter et je pense que c’est une décision sage de ne pas envoyer tout le monde dans la grosse baston. De toute façon, on va quand même se faire 560 milles de course dans du vent assez fort. Simplement il va falloir réétudier rapidement ce nouveau parcours et se remettre très vite à la table à carte … »
Michel Desjoyeaux (Foncia, 2e) : « Entre le Raz de Sein et la bouée BXA, la route directe passe à 80 milles dans l’ouest de Belle-île, donc ce ne sera pas vraiment du côtier jusqu’à l’estuaire de la Gironde. D’un point de vue technique et stratégique, on a presque quelque chose de plus intéressant qu’en allant au Fastnet, puisque de BSA à La Corogne on va avoir du louvoyage, ce qui est très différent tout de même d’un tout droit sous spi comme cela aurait pu être le cas en redescendant du Fastnet.»
Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs, 3e) : « Pour moi, la difficulté était l’atterrissage à la Corogne, or, on va faire cette arrivée à peu près au même moment que si nous étions allés au Fastnet. On va quand même prendre cher au niveau de l’Espagne. Au Cap Finisterre, la pointe espagnole, avec ce genre d’orientation du vent, ça ne fait que s’accélérer et lever une mer forte. Il faut s’attendre à ce que ce soit dur. »
Thierry Chabagny (Brossard, 4e) : « De la baston, on va en prendre quand même. Car si jusqu’à BXA ce sont plutôt de petits airs, ensuite ce sera plein la face jusqu’à La Corogne, du bûcheronnage avec deux ris dans la grand voile, à se battre contre la mer. Le Cap Ortegal dans 35 nœuds, déjà au portant ce n’est pas très confortable. Alors au près… »
Gildas Morvan (Cercle Vert, 8e) : « Cette étape sera moins extrême que ce qui nous attendait en allant au Fastnet, mais il y aura quand même de quoi jouer pour les gros bras. Il peut y avoir des écarts à l’arrivée. Le fait d’arriver en Espagne est une motivation supplémentaire parce que j’y ai déjà gagné deux étapes, dont une l’année dernière à Santander. Peut-être que le dicton « jamais deux dans trois » prendra sens pour moi dans quelques jours… »
Jeanne Grégoire (Banque Populaire, 14e) : « Je pense que ce changement de programme est tout à fait raisonnable. Jamais on a eu un directeur de course (Jacques Caraës) avec autant d’expérience. Il sait très bien où il nous envoie et ce qu’il faut faire pour que ça colle pour la moyenne des 50 coureurs, c’est ça qui est important. »
Laurent Pellecuer (Cliptol Sport, 16e) : « Je suis un peu déçu car je m’étais préparé à faire cette grande guerre. Or, là, on aura une petite guerre au fond du golfe au lieu d’avoir une grande guerre au large. C’est sur que ce sera une étape difficile, mais pas avec le même jeu. Il reste encore du travail, mais ce n’est plus exactement la même mayonnaise. Et moi, avec mon heure et demie de retard au classement, j’aurais bien voulu avoir une très longue course avec un plus fort potentiel d’écarts à l’arrivée. »
Christophe Lebas (Lola la Piscine Assemblée, 29e) : « J’aime mieux qu’on fasse ça plutôt qu’ils neutralisent la course en vrac là haut. Les conditions de mer là haut n’auraient pas été top. Et avec la grosse mer dans le nez pour redescendre, il y’avait potentiellement de quoi casser du matériel. J’aime mieux qu’on fasse ça plutôt que risquer de ne pas valider la course. Au moins là, on va régater.»
Nigel King (Nigel King Yachting, 38e) : “C’était un dilemme pour l’organisation. La décision a dû être difficile à prendre, mais c’était la bonne. Je ne suis pas certain que les conditions seront favorables pour moi car je n’ai pas d’expérience, sur les Figaro Bénéteau, de navigation dans de telles conditions.»
Didier Bouillard (MEDevent) déclare forfait pour la 3e étape
Didier Bouillard a annoncé ce matin à la Direction de course qu’il ne prendrait pas le départ de la 3e étape. Il a néanmoins l’intention de rejoindre la Corogne directement, en convoyage, pour retrouver la flotte au départ de la quatrième et dernière étape. Pour sa première participation, le skipper de MEDevent ne souhaitait pas prendre de risques alors que des vents forts et contraires sont annoncés en deuxième partie de parcours. Il sera donc classé DNC (did not compete) et écopera du temps du dernier concurrent plus 6 heures de pénalité.