C’est reparti pour un tour. Lundi à l’heure du ‘fish and chips’, les solitaires remettent le couvert. Le jeune bizuth britannique James Bird s’est joint à la flotte et va pouvoir prendre le départ de cette étape, après ses mésaventures normandes. Le plateau est cette fois au grand complet et va s’élancer sur un parcours de 344 milles qui promet d’être rapide. Le départ sera donné lundi à midi à la sortie de la baie de Crosshaven et après un parcours côtier de 10 milles, en guise d’au revoir à la verte (et humide) Irlande, les Figaro Bénéteau seront lâchés en direction du phare du Fastnet, à laisser à bâbord.
Premier au Fastnet, premier à Brest ?
Cette première portion de parcours, longue de 63 milles environ, devrait se disputer au près dans un vent de traîne d’ouest-nord-ouest de 10 à 15 nœuds, fraîchissant à mesure que les bateaux approcheront du phare mythique. Il ne faudra pas se rater dans ce premier louvoyage sous les côtes sud de l’Irlande. Car les plus prompts au Fastnet seront aussi les premiers à envoyer le spi et à entamer une cavalcade de plus de 200 milles vers la pointe de la Bretagne.
« Les premiers au Fastnet seront peut-être les premiers à Brest » pressent Jacques Caraës, le directeur de course. Avec 20 à 25 nœuds dans les voiles (voire plus sous les grains) pour traverser la mer celtique, le rythme sera élevé avant de décélérer progressivement. En même temps, le vent va basculer à droite sous l’influence d’un anticyclone …un ou plusieurs empannages sont à prévoir.
A fond sous spi avant les pièges du goulet
Dans ce long run au portant, l’expérience et la conduite vont primer sur le flair. Il faudra être bon à la manœuvre, coriace à la barre et accessoirement ne pas casser, avant de souffler un peu à l’approche de Ouessant. Mais pas pour longtemps. Car une fois n’est pas coutume, le plus délicat viendra en fin de parcours. Le goulet de Brest poussera les coureurs dans leurs retranchements. Dans ces 10 deniers milles jusqu’au franchissement de la ligne d’arrivée, le vent du nord sera perturbé par le relief et baissera largement en intensité. Les ‘sangliers’ devront dès lors se métamorphoser en rusés renards.
« Le goulet de Brest est ultra spécifique, il faut pratiquement voir ça comme un lac. C’est à dire un plan d’eau presque fermé avec du relief autour. Ce n’est pas parce que tu es mal placé à Pen Hir (dernière marque de parcours avant l’arrivée) que tu ne peux pas gagner » commente Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs), 5e au classement général. Les deux entrées possibles (sud ou nord) pour pénétrer dans le fameux goulet font déjà débat et l’on pourrait s’acheminer, mercredi prochain, vers une ultime bataille navale en rade de Brest.
Cette étape, à priori plus technique que tactique, offrira un terrain de jeu idéal pour les vieux loups de la classe dont certains espèrent bien se refaire une santé. C’est le cas de Gildas Morvan (Cercle Vert), 22e à 58 minutes du leader, dont l’ambition est de « rattraper 40 minutes ». Même objectif pour Eric Drouglazet (Luisina) : «dans la situation où je me trouve maintenant (30e à 1h12 de Frédéric Duthil), j’ai tout à gagner… Je vais essayer de naviguer proprement et de creuser à la régulière. Si je peux ramener 30 minutes et me mettre en position d’attaque pour la troisième étape, ce sera bien ».
Il n’est pas le seul dans ce cas. Gérald Véniard (Scutum), Pietro d’Ali (Kappa) et quelques autres ont aussi du temps à gagner. Aucun de ces poursuivants n’aura cependant le champ libre. Car les leaders du classement et sont tous très bons lorsqu’il s’agit de faire marcher leur bateau dans un vent soutenu.
Une seule chose est certaine : les 50 marins ont une belle navigation devant les étraves et se réjouissent déjà de ces longues glissades sous spi.
Echos des pontons
Fred Duthil (Distinxion, leader) : « Il ne faut pas négliger les 60 milles de côtier jusqu’au Fastnet, car il y aura de petites options à ne pas rater. J’ai fait deux fois cette remontée en course et elle est assez piégeuse, avec du vent, des effets de sites, peut-être des changements de voile. Il y a de quoi jouer mais ensuite c’est une étape de mecs qui ont la vitesse, c’est certain. J’ai assez peu de repères là-dessus, mais je ne dois pas être collé sous spi. Beaucoup peuvent aller vite et gagner l’arrivée, c’est très ouvert. Partir en leader ne change pas grand-chose dans ma tête, je vais continuer de régater dans la même philosophie : chaque bord, chaque portion de parcours il faut que je navigue le mieux possible, c’est tout. Il y a un peu d’appréhension, mais j’étais dans le même état avant le départ… donc c’est bien, ça veut dire que je suis bien dans ma course.»
Eric Drouglazet (Lusinia, 30e à 1h12 minutes) : «Tout le monde me dit que c’est une étape pour moi…mais ce n’est pas assez serré sous spi, je préfère les conditions plus dures. La troisième étape de 700 milles si on peut la faire dans 35 nœuds au largue serré pendant quatre jours, là oui d’accord (rires) ! Mais cette deuxième, c’est une course de vitesse, les places vont se gagner à la barre, ça partira toujours par devant. C’est sûr que ça peut écrémer. Ensuite il y a le goulet de Brest que je connais par cœur depuis 20 ans, mais parfois c’est aussi dans ce cas que tu fais des bêtises. Il faudra avant tout prendre un bon départ, être devant dès le Fastnet et ensuite la tête dans le guidon jusqu’au goulet. Rien qu’en vitesse pure il peut se créer de vrais écarts.»
Gildas Morvan (Cercle Vert, 22e à 58 minutes) : « C’est l’étape de sprinters avant l’Alpe d’Huez : ce sera de la conduite à la barre sous spi, avec de bonnes trajectoires. Plutôt rapide et agréable, on déboulera peut-être à dix noeuds. Des conditions qui vont théoriquement avantager les cadors, c’est sûr qu’il y aura une prime à l’expérience, d’autant que le vent mollit sur la fin. Il ne faut pas se rater au départ pour être dans les premiers à envoyer le spi au Fastnet. Dans le goulet de Brest, beaucoup de choses peuvent se passer, tu peux y perdre ou y gagner beaucoup en très peu de distance. Je me suis fixé comme objectif de reprendre 40 minutes, ce serait parfait.
James Bird (GFI Group), de retour sur la course : « Je suis vraiment très, très content d’être ici et de reprendre la course, c’est un vrai soulagement, ouf ! On va avoir droit à des allures parfaites pour le Figaro et je crois que ça va être vraiment fun de faire toute la route au portant sous spi depuis le Fastnet, d’aller chercher les surfs. Mon objectif c’est de tout faire pour essayer d’arriver premier bizuth à Brest »
Jeanne Grégoire (Banque Populaire, 9e à 35 minutes) : « Au Fastnet on envoie le spi, on se scotche la main sur la barre et après on voit ! Il faudra faire attention à sa trajectoire, mais c’est vraiment une étape où on peut se faire plaisir à faire de la vitesse, prendre des surfs… en sachant que tout peut être remis en cause dans le goulet de Brest qu’il faudra d’ailleurs choisir d’aborder par son entrée nord ou son entrée sud. Il faudra parvenir à se reposer pour être lucide sur la fin, même si ce ne sont pas des conditions pour dormir, c’est tout le paradoxe du Figaro ! »