Caudrelier et Morvan, filent devant !

Charles Caudrelier
DR

A moins de 200 milles de l’arrivée à Santander, la flotte de la 37e Solitaire Afflelou Le Figaro est toujours bénie d’Eole et Neptune réunis : beau temps belle mer au-dessus des canyons bleutés, où dauphins et navigateurs rivalisent de vitesse en se moquant des 3000 mètres de fond qu’ils survolent. Après le premier sprint vers l’Angleterre, puis cette descente complexe du Channel sous Albion, les 44 ont eu droit depuis Wolf Rock à un de ces runs de portant sous spi qui réconcilient avec tout. Même avec la fatigue, puisque le flux de nord-est qui est monté jusqu’à plus de 20 nœuds a déroulé le tapis rouge aux Figaristes. Le bateau est parfaitement stable sous pilote à cette allure et par cette mer. Sur la route directe, ils ont pu enfin se reposer… et prendre ce fameux plaisir sur l’eau qui justifie à lui seul une carrière dans la marine à voile.

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« J’ai fait de jolis surfs ce matin et j’ai eu la visite des dauphins. On s’est bien amusé ensemble », confirme la Britannique Samantha Davies (Roxy), qui s’est fait mal au dos en tombant dans son bateau. « Rien de grave, juste un gros bleu », rassure-t-elle. « Je suis en terrasse en train de déjeuner, j’ai mis le short et le chapeau de soleil, j’ai bien réussi à prendre des périodes de sommeil », complète un Franck Legal (Lenze) qui prédit que cette étape « pourrait se jouer à pas grand chose » aux abords des côtes espagnoles.

Alors, en vacances les Solitaires ? Pas vraiment. Comme il n’est jamais interdit de joindre l’utile à l’agréable, tous ont cravaché sévère, engrangeant dans la nuit et encore ce matin des moyennes supérieures à 11 nœuds, ce qui indique des surfs à… bien davantage, sur la longue houle. C’est le cas de Charles Caudrelier (Bostik), qui au pointage de 16h s’invite sur un fauteuil de leader pour deux aux côtés de son ami Gildas Morvan (Cercle Vert). Mais les deux sentent sur leurs nuques les souffles envieux de Yann Elies (Groupe Generali Assurances 3e à 0,2 mille) et Gérald Véniard (Scutum, 4e à 0,3 mille), seul outsider parmi les grands favoris de ces quatre garçons dans le vent.

Les 15 premiers en 7 milles

Mais attention. La victoire finale ne se jouera pas forcément dans ce carré là. D’abord le vent mollit sur la zone. Cet après-midi il plafonne à 12 nœuds, faisant rechuter les moyennes des bateaux aux environs de 8 nœuds. Surtout, personne n’est réellement hors course, au moins jusqu’au 15e, Armel Tripon (Gedimat) dont l’écart aux leaders est encore inférieur à 7 milles. « On est aux deux tiers de la course et je suis plutôt content de moi. Je suis dans un petit groupe, celui des bons, ce qui n’était pas le cas les années passées », se félicite le skipper nantais.

Les quinze leaders en moins de sept milles, voilà qui promet pour cette probable dernière nuit de mer. Laquelle décidera peut-être du sort d’autres solitaires en confiance et qui ont parfaitement géré pour l’instant cette étape, à l’instar de Fred Duthil (Brossard, 6e à 3,1 milles) et ses suivants immédiats : Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs, à 3,2 milles), Laurent Pellecuer (Cliptol Sport) et Erwan Tabarly (Iceberg Finance) tous deux à 4 milles, Jeanne Grégoire (Banque Populaire, 11e à 5,8 milles). 

Sous la menace du chacal

Il en manque un. Pas le moindre. C’est « le chacal ». Armel Le Cléac’h. Peut-être le plus dangereux. Décalé à 5 milles dans l’ouest du quatuor de tête, il s’est comme souvent ménagé une position d’attaque, quand d’autres ne peuvent guère espérer mieux que suivre dans l’axe des leaders. Au pointage de 16h, le skipper de Brit Air avait repris trois places en l’espace de cinq heures pour pointer son museau en 5e position, à 2,8 milles des leaders. Il était aussi celui qui avait la meilleure vitesse de la flotte (8,7 nœuds).

La dernière fois qu’Armel Le Cléac’h s’est décalé au large comme ça, c’était avant la marque de Porto Santo, pendant la dernière Transat AG2R. Et il avait raflé la prime au passage dans un de ces déboulés au nez et à la barbe de tout le monde, dont il est un des rares à maîtriser la recette…

On en est là. Le vent mollit et devrait passer au nord, déclenchant peut-être une bataille d’empannages qui pour l’instant n’a pas lieu. Demain soir, demain dans la nuit, peut-être avant ça « tamponnerait » sous de capricieux orages – les météorologues y croient – et tout pourrait alors être remis en cause pour récompenser pourquoi pas un Etienne Svilarich (Sogeti, 16e à 7 milles) qui mène parfaitement sa barque depuis le départ. Voire un Eric Peron (Cigo, 21e à 8,8 milles) qui a visiblement oublié son opération au genou de lundi dernier. A l’extrême, cela pourrait même remettre en jeu un favori comme Eric Drouglazet (Pixmania.com, 29e à 12 milles), mal parti mais qui ne lâche rien depuis en espérant un coup d’accordéon.

Tous ont encore quelque chose à espérer. A l’arrière, le Capverdien Antonio Pedro Da Cruz ferme la marche, à 58 milles des leaders. Pour ses 40 ans fêtés hier en mer, le skipper de Baïko aux tatouages de baleines sur les bras avait demandé : « un peu de vent et un cargo de pensées positives ». On s’est exécuté et cela n’a pas suffi. Mais on sait bien aussi qu’Antonio prend sûrement du plaisir, en dépit du classement. Car ce gars-là, dernier de La Solitaire en ce moment, connaît la mer comme personne. Ce gars-là a traversé l’Atlantique à 33 reprises. On a bien lu. Trente-trois fois en quarante ans d’existence. Alors premier ou dernier, respect pour Tonio m’sieurs dames. Merci