Au fur et à mesure que les bateaux plongent dans les latitudes Sud, le froid se fait de plus en plus cruel. Dans un brouillard tenace, une visibilité presque nulle, et sous des précipitations neigeuses sporadiques, les paquets de mer balayent le cockpit en permanence et obligent les équipiers de quart à monter sur le pont parfaitement équipés. Tels des cosmonautes, pas un seul centimètre carré de peau n’est offert aux éléments naturels. Certains, comme Sidney Gavignet, barreur sur ABN AMRO ONE, n’hésitent pas à se protéger la tête et surtout les yeux avec un casque de pompier intégral.
Ces conditions sont celles de tous les dangers, où les secours ne viendront que des autres concurrents. Dans la case « ne pas se prendre les pieds dans le tapis », Ericsson vient de se faire une énorme frayeur en opérant sans le vouloir un violent empannage « chinois » (lire notre rubrique "dépêches", ndr), figure artistique aléatoire où le VOR 60 SEB avait laissé son mât dans la précédente édition de la Volvo, en 1998.
Brasil 1 qui a décidément mis le turbo depuis le passage de la deuxième porte a bien recollé au groupe de tête. Pirates et Movistar continuent à mettre la pression sur l’équipage de Mike Sanderson, preuve que la flotte est désormais homogène.
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Sébastien Josse, le skipper de ABN AMRO TWO, fait un point sur la situation alors que son VO 70 ferme actuellement la marche de la 7ème manche de la Volvo Ocean Race.
Pas trop déçu de votre route nord ?
Non, car deux jours après le départ de Wellington, nous avions parfaitement vu cette dépression qui se formait à l’ouest. Nous avons misé dessus car nous étions à ce moment là déjà sur une route assez nord et que globalement, devant nous, les prévisions étaient très floues. A quelques heures près, c’était les gars du Sud qui se retrouvaient coincés au près alors que nous nous aurions déboullé au portant. Mais bon, si cela n’a pas marché ce coup-ci, cela marchera la prochaine fois.
Vos conditions de navigation actuellement ?
C’est comme dans les livres. Il fait très froid (5-6°), l’eau est glaciale (9°), il y a un brouillard à couper au couteau avec une visibilité d’à peine 1 km. Il fait très humide et tu ne vois jamais le bleu du ciel. Tu sais qu’il n’est pas loin, mais tu ne le vois pas. Il n’y a pas de doute, on est bien dans le Sud. Le vent s’est un peu calmé car nous n’avons plus que 20-25 nœuds au portant. Nous avons beaucoup navigué sous spi, mais quand c’est monté à 35-38 nœuds, nous avons affalé le spi pour envoyer notre reacher. Cela allait trop vite. Sinon, je pense que nous allons rester sous spi jusqu’au Cap Horn avec des vents de 20–22 nœuds.
Et la grand-voile ?
Elle est déchirée, à peu près au même endroit où elle avait lâché lors de l’étape précédente. C’est à dire au niveau du 1er et maintenant du 2ème ris. On a réparé une première fois et puis plusieurs fois après. Mais en fait cela ne tient pas vraiment car le kevlar est cuit par le soleil, par l’eau salée qui s’accumule dans les poches quand nous avons les ris. Là, c’est l’écoute de spi qui est venu taper dans la grand voile ce qui a provoqué une nouvelle déchirure sur 1 mètre. Jusqu’au Cap Horn nous allons être obligés de naviguer sous deux ris et je pense que cela va pas mal nous handicaper pour revenir sur les autres. Même si pour l’instant nous arrivons à limiter la casse. Mais quand le vent va mollir un peu, les autres vont renvoyer de la toile alors que nous nous ne pourrons pas. Mais bon, cela fait partie aussi de la course.
Quand pourrez-vous changer votre grand voile ?
A Rio. Sans doute pas avant même si nous étudions une vague possibilité de nous arrêter en route pour en récupérer une neuve. Mais ce n’est pas très facile, vu les endroits déserts de cette partie du globe. Donc très vraisemblablement, il va falloir tenir jusqu’à Rio où nous attend un jeu de voiles neuf puisqu’il était prévu que l’on change toute notre garde-robe là-bas. D’ici-là, on va naviguer avec deux ris jusqu’au Horn. Après, quand le vent sera plus sec et moins fort on tentera de nouvelles réparations. Mais d’ici là, rien ne tient. Les tissus que nous posons avec la colle néoprène ne tiennent que quelques heures. C’est comme de gros pansements qui n’adhèrent pas sur une peau humide. Mais après le Horn, quand nous aurons un peu moins de vent et du soleil, ces réparations tiendront beaucoup mieux.
Comment résistes-tu au froid, toi le Méditerranéen ?
En fait super bien. Cela ne m’affecte pas du tout. J’ai de la chance, car je vois bien que certains de mes équipiers commencent à courber un peu l’échine. Mais nous sommes tous très bien équipés. On met trois couches de polaires dont la dernière avec une peau en gortex pour éviter que l’humidité rentre, le tout sous un ciré high tech avec des gants en néoprène. Plus une combinaison de survie pour les plus frileux. Donc si tu fais un peu attention à rester sec, tu es vraiment bien protégé du froid. Quand tu sens que tu es un peu humide, tu dors dans ton duvet avec tes polaires et quelques heures après, c’est sec. Commode… Mais c’est vrai que ce n’est pas facile de rester au sec, même à l’intérieur où il y a beaucoup de condensation. En plus notre chauffage ne marche pas, il est en vrac depuis Wellington. Dommage, c’était bien commode. Sinon, pour lutter contre les effets de l’humidité, j’ai converti l’équipage à l’usage du talc. C’est radical, sur les mains et sur le corps. J’avais découvert cela sur Orange, et aujourd’hui, à bord d’ABN AMRO TWO tout le monde s’y est mis.
Comment va le moral ?
Côté course, c’est vrai que c’est un peu frustrant de se retrouver à l’arrière, presque en condition de convoyage car nous ne pouvons plus tirer vraiment sur le bateau à cause de la grand voile. Pour l’instant cela va, car nous maintenons notre vitesse, mais si le vent molli cela va être plus pénible. Mais, il ne faut pas oublier qu’on est dans les mers du Sud entrain de naviguer sur une superbe machine à 20-25 nœuds. Cela reste génial, même s’il fait un peu frisquet. En plus s’offrir le Horn après 10 jours de mer, c’est presque pas mérité. Les deux fois où je l’ai passé, c’était après plus d’un mois de grisaille et de froid dans les mers du sud sur Orange et sur VMI. Là, en 10 jours, c’est presque du vol.
Source ABN AMRO



















