Sous spi depuis 36 heures, les 45 solitaires se hâtent lentement. Le scénario de la veille qui prédisait une procession d’escargot dans le golfe de Gascogne a fait long feu. Finalement, la dorsale qui poursuit la flotte n’est pas si virulente et, si elle a provoqué quelques ralentissements pour les concurrents les plus à l’ouest, il n’y a pas eu d’arrêt buffet total. Dans un vent de d’est-nord-est de 6 à 7 nœuds, on est certes très loin de l’excès de vitesse, mais au moins, les Figaro Bénéteau 2 avancent. Le souci de la grosse pétole évacué, reste celui de la fraîcheur pour dérouler les 65 derniers milles jusqu’à Gijón, terminus de cette première étape. Car, parole de marin, ils se sont tous mis dans le rouge pendant les 48 premières heures de course.
« Après le raz de Sein, j’étais très très fatigué et je commençais un peu à faire n’importe quoi » raconte le leader Armel Le Cléac’h (Brit Air). « Je m’écroulais littéralement dans le bateau » confesse Jonny Malbon (Artemis). Adrien Hardy, lui, se voyait cerné de toute part par les algues alors qu’elles ont disparu depuis Ouessant… Le requin heurté cet après-midi par Groupe Bel est-il lui aussi le fruit d’une hallucination de Kito de Pavant ? Certainement pas. Mais ce dernier avoue quand même avoir fait « un coma de 5 heures d’affilée » faute d’avoir entendu l’alarme de son réveil ! "Il n’y a pas eu de bobo, pas de dégât cette fois, mais j’ai trouvé ça assez cocasse", a expliqué le skipper de Groupe Bel, "parce que la baleine de la dernière fois, non merci". Au printemps dernier en effet, pendant la Transat Ag2r, Kito de Pavant et Sébastien Audigane sur ce même Groupe Bel avaient heurté une baleine. Et cette fois là, oui, il y avait des dégâts.
Etalés sur 30 milles d’Ouest en Est, les navigateurs ont choisi leur stratégie dans cette navigation à la lisière de l’anticyclone. Il est désormais trop tard pour changer de camp. Emmené par le bizuth Yoann Richomme (DLBC), le groupe du large, calé sur la route directe, semblait avoir pris l’ascendant en fin de matinée. Le problème est qu’ils ont flirté d’un peu trop près avec la bulle sans vent. Vitesse en berne, Richomme et ses compères ont chuté dans le classement aussi spectaculairement qu’ils l’avaient remonté quelques heures plus tôt.
Dans la foulée, Armel Le Cléac’h, éclaireur du groupe de l’Est, reprenait les commandes. Le skipper de Brit Air est sans nul doute l’homme de cette deuxième partie de course. Depuis qu’il a pris les affaires en main à la pointe Bretagne jeudi au petit matin, il n’a été délogé que deux fois de la première ligne du classement. A 16 heures, il devance l’autre homme fort de cette étape : Eric Peron (Skipper Macif 2009). Yann Eliès (Generali-Europ Assistance) complète ce tiercé légèrement détaché du lot. Suivent dans l’ordre François Gabart (Skipper Macif 2010), Thomas Rouxel (Crédit Mutuel de Bretagne), Erwan Tabarly (Nacarat), Corentin Douguet (E.Leclerc Mobile), Alexis Loison (AllMer Ineo-GDF-Suez), Adrien Hardy (Agir Recouvrement) et Jeanne Grégoire (Banque Populaire).
Ils ont dit :
Armel Le Cléac’h (Brit Air) :« La flotte est assez répartie. On a une dorsale qu’on a traversée cette nuit mais qui descend aussi avec nous. Alors on lutte pour gagner dans le Sud. On n’a pas encore eu de pétole pétole et c’est tant mieux. Mais ce n’est pas simple, on surveille le baromètre… Il fallait absolument que je récupère parce que j’étais très très fatigué et je commençais un peu à faire n’importe quoi après le raz de Sein. »
Adrien Hardy (Agir Recouvrement) : « A priori, ceux de l’ouest ont moins bien passé la dorsale que nous. Ce serait dans la logique, après, dans la pratique… Aujourd’hui, on est encore fatigué. ça m’arrive régulièrement, toutes les 2 ou 3 minutes, de voir des algues encore partout sur l’eau et même d’aller les ramasser alors qu’il n’y a plus d’algues depuis Ouessant !. Ce sont des petits signes qui disent qu’on est fatigué. Il faut trouver le bon compromis entre dormir mais pas trop car il faut encore être dessus.»
Jeanne Grégoire (Banque Populaire) : « J’entends que les autres sont archi-morts de fatigue ou qu’ils ont été cramés à un moment. Moi, ça va. Je suis prête pour cette dernière nuit de mer. Je vois les premiers, même s’ils sont tout petits devant moi et il y a plein de bateaux autour de moi que j’avais un peu perdu en passant dans les cailloux à Ouessant. En tout cas, c’est une étape intéressante, typique Solitaire où on est tous bien dans le rouge, où les situations ne correspondent pas forcément aux prévisions, où on navigue à toutes les allures. Je me dis que dans les 515 milles de l’étape, c’est le dernier 5 qui compte. »
Classement de 16 heures
1 LE CLEAC’H Armel BRIT AIR à 65,1 milles de l’arrivée
2 PERON Eric SKIPPER MACIF 2009 à 1,5 milles
3 ELIES Yann GENERALI-EUROP ASSISTANCE à 1,7 milles
4 GABART François SKIPPER MACIF 2010 à 2,8 milles
5 ROUXEL Thomas Crédit Mutuel de Bretagne à 3,3 milles